Le développement personnel
      dans Signes & sens

      De la voix à la voie

      De la voix à la voie
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      Les vibrations de la voix sont comme des molécules, des corps purs qui s'inscrivent dans la mémoire de notre organisme, dans la tonalité du lieu. S'en servir comme outil d'harmonisation et de guérison, c'est chanter l'être et le renaître dans ses énergies créatrices et ses silences intérieurs.

      La voix induit des états émotionnels qui sont autant de révélateurs de ce qui n'a pas été réglé en nous et qui se manifestent par une dysharmonie, une tension, un signal d'appel du corps dont nous ne tenons pas toujours compte. La voix signe, par ses inflexions, nos joies et nos faiblesses, et par ses silences ce qui n'a pas su grandir en nous : tous ces champs obscurs, voilés, étouffés, ces colères rentrées, ces blessures de la vie. Il y a donc nécessité de poser sa voix, tout autant que sa vie, sur un édifice stable, tant dans son corps que dans sa manière d'être : Être juste de voix (Ma Khrôou) disaient les Egyptiens qui connaissaient la science des sons et des incantations.

      Notre Moi sonore
      Le chant précède le langage structuré, accompagne le babil, les gazouillis du nouveau-né. Il se fait comptine, compagnon de jeu, frère du geste. Il chante le quotidien. Il exprime nos états d'âme et libère nos émotions. Il nous délivre du poids des mots, les transforme en sons plus signifiants, plus directs. Il calme la peur, l'anxiété. Il structure la personnalité, lui donne des repères. Il est en parfaite alliance avec les événements importants de la vie. Il est le précieux auxiliaire du souvenir car on associe souvent une chanson à un fait marquant. Il établit le dialogue. Il le rétablit chez la personne aphasique, emmurée, repliée. Il stimule nos énergies, nous centre sur la terre et nous relie au ciel. Il est celui qui nous initie. Il est, à ce point, le miroir de nous-mêmes qu'il révèle nos limites, nos conflits. Il y a alors, de notre part, acceptation ou refus et l'acte chanté devient plus difficile. Il l'est d'autant plus qu'il quitte le domaine de l'intuitif. Nous l'analysons, le comparons aux autres. L'éducation est passée par-là, avec son cortège d'évaluations, d'acquis et de refoulements, de pédagogiquement correct ou incorrect. Alors, nous nous sommes fait une raison car nous avons la conviction de chanter faux, d'avoir une voix peu harmonieuse ou trop faible. Nous n'osons pas sortir notre voix, sortir de nous-mêmes. Notre entourage nous a confortés dans cette opinion fort répandue que nous n'étions pas doués pour la musique et qu'il valait mieux nous taire pour ne pas égratigner les oreilles musicales, les oreilles absolues qui règnent avec un certain académisme sur notre espace vital. Le temps est venu de projeter notre Moi sonore, de nous affirmer ! Il faut, pour cela, gommer tout ce passé qui encombre, les souvenirs aigres-doux des cours de musique au collège, des dictées musicales et, notamment, la panique qui nous saisissait quand, après le signal du La du diapason, nous tentions vainement de nous frayer un chemin parmi ces sons brouillons qui s'entrechoquaient sur notre portée. Etait-ce un son aigu ? Ou plus grave ? Un accord ? Et à quelle mesure le train de l'oreille musicale avait-il déraillé ? Un bruit blanc et confus couvrait le diapason despotique et, sans repères, nous nous balancions au rythme des mesures répétées qui nous parvenaient en vagues anarchiques. Nous étions comme l'élève informaticien qui tente de déchiffrer son programme. Venait ensuite l'épreuve de la voix, devant nos camarades chahuteurs. Les joues rougissantes, ne sortait de notre bouche que l'affreuse voix, ce canard boiteux vocal qui faisait tant rire la classe.

      L'oreille et le chant
      Le son est un miroir aux multiples facettes et la perception de l'auditeur est sujette à de nombreux écueils et illusions dus aux limitations de l'oreille et aux difficultés du cerveau à analyser certaines fréquences ou timbres musicaux. L'oreille a besoin de plusieurs millisecondes pour reconnaître les grands intervalles et une mélodie dont les notes sont éclatées sur plusieurs octaves nous apparaît soudainement étrangère. On constate alors que le décodage du cerveau a ses temps de latence et n'apprécie guère les sons très éloignés les uns des autres. Dans une phrase rythmique, si nous accentuons certaines notes, nous renvoyons au second plan d'autres notes qui sont pourtant d'une durée équivalente. De même, nous ne percevons pas les harmoniques du son, c'est-à-dire les fréquences qui le composent car toute notre attention se porte sur le son dominant. L'oreille est placée en arbitre au centre d'un conflit qui oppose la densité à la subtilité. Pour y remédier, le travail sur les sons, en relation avec les centres d'énergies (les chakras), facilite l'ouverture de l'oreille intérieure et la perception s'affine progressivement. Nous ne percevons donc pas simplement par notre oreille mais par un réseau complexe de cellules, de nerfs, de plexus, de glandes qui enregistrent des informations qui seront stockées dans le cerveau, et ce, dès la vie intra-utérine. Ouvrir son oreille intérieure, c'est donc utiliser la capacité d'écoute et de transmission de ses capteurs physiques, énergétiques, psychiques, pour élargir le champ de son acuité auditive et de sa réceptivité en général. Cela permet d'aborder le son, non seulement dans son matériau dense mais aussi dans ses moindres « cellules » :
      < Fermez les yeux et prenez conscience de chaque bruit qui vous entoure, chaque son même le plus infime. Puis centrez-vous sur votre respiration, sur le léger frémissement du souffle qui entre dans chaque narine, sur son cheminement à l'intérieur de votre corps. Chant du souffle, chant des organes, rythme cardiaque, voyagez dans vos musiques internes... Sentez comme chaque nouvelle inspiration fluidifie vos cellules, les rend transparentes, limpides... Puis lâchez prise. Ne cherchez pas à analyser. Laissez-vous porter par le courant et demeurez un long moment dans cet état de paix, de confiance et de douceur.

      La musique et les cellules cérébrales
      La reconnaissance des notes, des timbres instrumentaux, des vibrations s'affine en même temps que l'être se réalise. Les connexions neuronales s'effectuent avec plus de rapidité, s'ordonnent en fonction de l'agencement des sons. En musicothérapie, on sait que les œuvres de Mozart ou de Bach sont particulièrement restructurantes au niveau des cellules cérébrales, rendant plus claires, plus limpides les constructions de la pensée. Mozart est plus ludique, Bach plus intellectuel. D'autres œuvres, comme le Boléro de Ravel, créent un fil circulaire, une cellule mantrique qui induit des états extatiques qui favorisent les régressions, les voyages dans les états modifiés de conscience. Encore faut-il être du voyage ! Si on a pu monter à bord du bateau « Boléro », le parcours est des plus oniriques et inspirants. Si on reste sur le quai, il y a forcément rejet de l'œuvre. Si le bateau a fait naufrage, s'il a sombré sur quelques récifs de notre inconscient, il y a révolte, remise en question de l'expérience. Le Boléro de Ravel est certainement l'œuvre qui a provoqué, chez mes stagiaires, le plus de réactions émotionnelles. Sa construction orchestrale n'est pas innocente puisque sa montée en puissance souligne à chaque fois davantage nos écueils, nos grands passages, nos épreuves mais aussi les perspectives de notre devenir, les portes de sortie possibles. Car ce crescendo est avant tout révélation, déchirement du voile, remise en question et la conclusion brusque du final n'est pas sans rappeler le bâton Zen du Maître, le rappel à l'ordre, le retour brutal dans la Voie juste, le droit chemin. Pour autant, le Boléro de Ravel crée des images mentales qui sont autant d'outils de transformation et de connaissance de soi et le voyage sonore vaut la peine d'être tenté :
      < Allongez-vous, fermez les yeux et écoutez les premiers accords du Boléro. Sentez comme les cordes et la rumeur des tambours créent en vous un état de réceptivité particulier. Elles introduisent le thème principal qui vous guidera tout au long de l'œuvre. Au fur et à mesure que se déroule le morceau comme un fil circulaire, la mémoire de votre corps semble se vider, des images surgissent venues de votre passé. Votre vie est comme un film projeté devant vos yeux et le caractère répétitif du Boléro vous entraîne toujours plus loin dans votre voyage intérieur. C'est à présent des images apaisantes et restructurantes qui se succèdent. Abandonnez-vous complètement à la musique et accompagnez-la d'un son continu émis bouche fermée. À la fin du morceau, demeurez un long moment silencieux.

      La vie à l'intérieur du son
      Un son qu'est-ce que c'est ? Des harmoniques, des vibrations, un matériau sonore qui est, pour le profane, bien complexe. Pourtant, les compositeurs, les musiciens, les chanteurs, les facteurs d'instruments tentent, depuis toujours, de percer son mystère. Mais le son que vous entendez, je ne le perçois peut-être pas tout à fait comme vous. De même, la couleur bleue que vous voyez n'est pas tout à fait la même que celle que je vois. Tout est une question de décodage, de spectre auditif et toute expérience demeure empirique et personnelle. Ainsi, la reconnaissance du timbre sonore, c'est à dire de sa coloration particulière, dépend du nombre de ses sons harmoniques, de la place et de l'intensité qu'ils occupent et des transitoires d'attaque et d'extinction qui font qu'un son a un début et une fin. En coupant ces transitoires, l'identification est rendue difficile car l'être humain est fait ainsi, il a constamment besoin de repères. Notre perception doit pouvoir restituer l'univers du son dans ses multiples dimensions. Les bruits, les souffles, les frottements sur les cordes d'un instrument, tout ce qui fait le grain de voix d'un chanteur, toute cette inorganisation apparente délivre des messages parallèles, des instantanés que l'auditeur perçoit inconsciemment et qui constituent la vie interne d'un son et, par extension, d'une œuvre. Ce milieu ambiant sur lequel l'œuvre repose, il faut savoir le préserver. Chaque voix recèle de sublimes imperfections et prises globalement, elles sont comme les taches colorées des tableaux impressionnistes : elles trouvent leur véritable dimension en prenant un peu de recul pour mieux en percevoir la totalité.

       

      Philippe Barraqué

       

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