Imposez-vous !

L’inhibition est une limitation fonctionnelle du moi pouvant avoir des origines très diverses, nous dit le « Dictionnaire de la psychanalyse », aux éditions Larousse. Ainsi, toutes les perturbations qui, avec une insistance et une redoutable efficacité, marquent la vie du sujet de leur empreinte, sont concernées. Il ne s’agit certes pas de pathologie caractérisée ; d’ailleurs, souvent, on fait avec mais sans comprendre le pourquoi de cette limitation qui, majoritairement, prend forme de répétition ramenant toujours les mêmes scenarii dommageables. Une insatisfaction latente plane. La sensation de voie sans issue est omniprésente. Et, quoi qu’on mette en place pour en sortir, rien n’y fait. Rares sont les personnes qui ne pensent pas que c’est la fatalité ou la faute à pas de chance ! Dès lors, tout au long de la journée se succèdent de multiples contrariétés. Certaines sont insignifiantes en apparence : se faire prendre son emplacement de parking, ne pas recevoir une livraison en temps et heure sous des prétextes fallacieux, se trouver devant le fait accompli parce qu’une bonne âme (ayant pensé pour soi !) a pris sur elle de décider à notre place – « Si si, le pique-nique de dimanche au bord de l’étang sera très bien » –… Nous voilà de fait confrontés à une situation non désirée avec laquelle il va pourtant falloir compter. Elle est là la pierre d’achoppement. Se manifestent alors soit la colère soit, à l’inverse – et c’est plus destructeur –, l’autodépréciation pour n’avoir pas su se sortir de la situation. Et, ainsi, ne pas avoir su se faire respecter. C’est l’enlisement assuré. On se voit renoncer mais sans le désirer, sous la contrainte en somme, à ce pour quoi nous avions opté initialement. On se résigne. C’est imposé, un point c’est tout, pense-t-on… Parfois, le désagrément va jusqu’à la déconvenue, la déception, la désillusion.

Dans la sphère sociale – autre exemple –, être oublié(e) lors de la répartition des justes lauriers après une tâche ardue, ne pas arriver à formuler ce qui paraît équitable, ne pas oser refuser, ne pas demander une augmentation légitime…, sont autant de sources qui alimentent une déstabilisation certaine. L’irritation alors est majeure, générant un profond mal-être, dirigé maladroitement – et par mauvais réflexe – sur un entourage qui n’y est pour rien. D’où les reproches de celui-ci qui fusent très vite : « Quel caractère ! ». La plupart du temps, de telles remarques laissent sans voix (voire sans voie). « Mais c’est injuste », croit-on... Et pourtant, nul doute qu’avoir laissé faire, c’est en quelque sorte cautionner sans le savoir. Le non que nous opposent les autres n’est que le reflet de celui que nous nous imposons, même si nous n’en avons aucune conscience. C’est qu’à l’inconscient, selon l’histoire de chacun, de tels refus – parce que refus il y a quant à son désir propre – correspondent à un affect refoulé ; déplacé, il prend forme manifeste de complexe d’infériorité. La tendance inconsciente sera alors de tout mettre en œuvre pour éviter ce qui génère l’angoisse, au prix même de ces non récurrents et de toutes les formes qui en viennent à cantonner la vie dans des limites qui ne sont pas celles que l’on aurait choisies. La lutte, interne au sujet, s’exprime ainsi.

Cependant, si de telles circonstances sont pour le moins inconfortables, elles représentent aussi l’opportunité de prendre conscience de ce qui nous perturbe à notre insu. S’interroger d’abord, lors de ce type de situations, en parler à d’autres ensuite en qui nous pensons trouver une oreille favorable, pourra permettre de comprendre ce qui a favorisé une telle négation de soi. Apprendre à se dire oui deviendra enfin possible. Mais parfois, les parasites qui brouillent la compréhension sont tels que lever ce qui la barre ne suffit pas et paraît compromis.
Selon le choix de chacun, différentes écoutes, psychothérapeutiques ou psychanalytiques, contribueront à des degrés divers à mettre à distance (et donc de voir) la problématique concernée. En raison de la source masquée des non successifs que l’on s’inflige, on se punit d’un intolérable, d’un inavouable dont l’inconscient se fantasme coupable et/ou responsable, qu’il tente par tous les moyens de rendre inexistant, inopérant. Ainsi, toute la force névrotique ne fait que croître et embellir. Les moyens mis en œuvre pour se défendre, paradoxalement, vont à l’encontre de soi. Se dire non devient alors la seule façon de dire non à ces non-dits inconscients. La démarche analytique, par la méthode, permet au sujet d’accéder à cet héritage qui, loin d’être léger, avait même mis en dette ! Se dire oui, c’est passer du refus de sa propre histoire à son acceptation. Cesser de se dire non revient à se respecter. S’il faut de l’humilité et de la constance, les fruits récoltés font les plus beaux des oui qu’un sujet puisse se dire puisqu’il se sera compris. De fait, ayant appris à se dire oui, il lui sera plus simple de dire oui aux autres. Un joli lien en somme.