|
Le développement personnel
dans Signes & sens
Le Kâmasûtra constitue un recueil dont le titre déclenche les fantasmes les plus fous dès qu’il est prononcé. Ainsi mobilise-t-il l’imaginaire qui convoque immédiatement des représentations plus érotiques les unes que les autres… Pourtant, à l’origine, il n’en contenait aucune !
Composé du terme sanskrit Kâma signifiant désir et de Sûtra se traduisant par aphorisme, le fameux Kâmasûtra est en fait un traité de savoir-vivre amoureux écrit entre les VIème et VIIème siècles, par Vâtyâyana, à l’intention des classes aisées. Il ne fut illustré qu’à partir du XVIème siècle, à la demande de l’empereur moghol illettré Jalâluddin Muhammad Akbar. Depuis 1963, date à laquelle le Royaume Uni autorisa sa publication, il est surtout connu pour ses 64 positions sexuelles, alors que celles-ci ne sont qu’un des sept livres de l’ensemble de l’ouvrage…
Les fondements
À l’origine du Kâmasûtra, au VIIIème siècle avant notre ère, existait déjà le Kâma Shâstra, textes ayant trait à l’érotisme. C’est dans un souci de synthèse que Vâtsyâyana entreprit d’en réunir les fragments épars et de les résumer. L’écrit renseigne sur la façon dont étaient éduqués les hommes de bien dans l’Inde ancienne. Philippe Gamby, auteur de « De l’étreinte à l’éternité, les rituels de l’extase en Orient et en Occident », explique : On y enseigne l’art des approches amoureuses, la bonne façon de choisir une épouse, les devoirs et les privilèges de l’épouse, la façon de se conduire avec les femmes des autres ou les courtisanes et des réflexions essentielles sur l’essence de l’amour et la nature des plaisirs… Par ailleurs, des chapitres entiers sont consacrés à la musique, à la nourriture, aux parfums… Témoin le sûtra qui suit : En même temps que l’étude de la sexualité, il est essentiel d’étudier la musique (sangîta), qui fait partie de l’art amoureux. De même que l’érotisme est en relation avec la procréation, la musique est liée à la science des sons (nâda vidya), qui est un élément fondamental de la compréhension de la création du monde…
Les idées reçues
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, si rien n’est tabou dans le Kâmasûtra, rien n’est non plus laissé aux caprices des relations hasardeuses. Ainsi est-il écrit qu’un érotisme incontrôlé est contraire à toute réussite. Alain Danielou, un des traducteurs de l’antique livre, insiste sur le sûtra suivant, induisant même la nécessité d’être guidé par un maître en la matière : Celui qui, ignorant les textes techniques, suit seulement sa fantaisie, ne connaît ni le succès, ni le bonheur, ni la félicité suprême. Un maître est celui dont les enseignements permettent de réaliser la vertu, le succès et le plaisir… Nous sommes bien loin de l’image d’Épinal qu’un large public associe au sulfureux kâmasûtra. Il est d’ailleurs à noter que, comme la plupart des textes de l’Inde Védique, le Kâmasûtra peut être lu telle une allégorie de l’union (yoga) au Divin, au même titre que le « Cantique des cantiques » de la Bible.
Une sexualité sans puritanisme
Paradoxalement, aucun puritanisme ne fait loi dans le Kâmasûtra. Vâtsyâna considère les étreintes, les modes de pénétration, les positions, la sodomie, la fellation, comme des constantes du comportement humain. Philippe Gamby, spécialiste de cette littérature, écrit qu’il est préférable de savoir, en fonction de ses goûts et « des coutumes locales » faire bien l’amour plutôt que mal. C’est meilleur pour la santé physique et mentale de « l’homme de bien »… Les injonctions de l’épouse fidèle y côtoient des conseils de séduction, ainsi que l’art et la manière de tromper son époux ! À l’époque de la composition du Kâma, le remariage des veuves, interdit par la suite, est encore accepté, la femme jouissant d’une liberté qui n’a rien à envier à celle de la femme d’aujourd’hui. Les courtisanes avaient d’ailleurs leur place dans la société. Elles percevaient des rétributions pour leur art érotique, incluant la danse et la musique. Ce sont les autorités britanniques qui finirent par interdire ce qui, pour un occidental, était une forme de prostitution. Bien avant nos civilisations modernes, l’homosexualité féminine et masculine était considérée, selon le Kâmasûtra, comme un aspect naturel de la vie sexuelle. Les sculptures du temple antique de Khajuraho attestent du reste de cette particularité. Il est cependant intéressant de souligner que le puritanisme plus récent de l’Inde contraste avec la liberté sexuelle décrite dans le Kâmasûtra. Il est même dit que Gandhi, pourtant apôtre de la non-violence, aurait demandé à certains de ses disciples de détruire des statues dans certains temples. Ce n’est que grâce à l’intervention de son ami, le poète Rabîndranath Tagore, que ce singulier patrimoine fut en partie conservé. Quoi qu’il en soit, la question qu’il est légitime de se poser est peut-être la suivante : Le Kâmasûtra, sorti d’une compréhension en lien avec le contexte sociétal de l’Inde ancienne, est-il à mettre entre toutes les mains ?
Nadine Vergès
|
