Il est surprenant encore de nos jours de constater que, dans une grande majorité de cas, des parents se focalisent uniquement sur la santé organique de leur enfant lorsqu'il vient au monde. Certains d'entre eux oublient ou même ignorent que le petit d'Homme, dès les premiers instants de sa vie sur terre, est malmené par les éléments extérieurs qui lui sont étrangers...
Les mois de gestation ont protégé le fœtus en l'isolant du bruit, des odeurs. Cette période intra-utérine l'a aussi tenu à l'écart de problèmes psychologiques possibles de sa mère, de son père, de sa famille... Ainsi, quitter ce cocon idyllique lui permettra certes de pousser son premier cri rassurant mais, passé ce réflexe, d'autres cris, suivis de pleurs, témoigneront de son état de détresse difficilement interprétable par les adultes... S'il est bien évident qu'il ne s'agit pas d'étouffer littéralement le nourrisson en le gardant dans ses bras à longueur de journée, s'avère raisonnable l'attitude qui revient à accompagner l'enfant dans son développement en fonction de ses besoins propres.
Les besoins affectifs
Francine Ferland, ergothérapeute et auteur de l'ouvrage " Le développement de l'enfant au quotidien " publié aux Éditions Hôpital Sainte-Justine, indique qu'aujourd'hui, " on admet de plus en plus que le développement de l'enfant est influencé par deux facteurs : son bagage génétique et son environnement ". Elle poursuit en soulignant que " grâce à son bagage génétique, au bon état de son cerveau et à la maturation progressive de son système nerveux, l'enfant acquiert des habiletés de plus en plus complexes. Son environnement est déterminant aussi. Dans une large mesure, la manière dont son entourage réagit à ses actes et les expériences qu'il lui offre contribuent à son bon développement. "...
. Jeanne, 32 ans, esthéticienne, parle de sa fille qui a somatisé en permanence dès son deuxième mois : " Je ne comprenais pas pourquoi elle était toujours malade. Mon pédiatre m'a conseillé de consulter un psychanalyste, ce que j'ai fait. Après avoir observé ma relation avec Justine, il m'a simplement demandé de lui dire combien elle était importante pour moi et de le lui rappeler chaque jour. Pour moi, comme ça tombait sous le sens, je n'avais jamais éprouvé la nécessité de verbaliser mon amour à mon bébé sous cette forme-là. J'ai donc suivi ce conseil étonnant et ses somatisations ont disparu ! "...
Francine Ferland insiste sur le fait que " les parents étant la première source d'amour pour l'enfant, ils constituent la base de sa sécurité affective. L'enfant apprend à faire confiance. Se sentant aimé et entouré, il se perçoit digne d'amour et développe son estime de soi. ".
Le besoin d'être respecté
Des siècles de domination parentale, voire de déni de la personnalité de l'enfant et son utilisation notamment dans les campagnes, ont laissé des traces sévères. Elles ont cependant commencé à s'estomper avec le rappel récurrent de Françoise Dolto, devenu dorénavant familier pour la bonne cause : " Le bébé est une personne ". La célèbre psychanalyste n'a eu de cesse d'égrener sur les ondes radio et dans ses conférences qu'un tout petit être éprouve déjà des sentiments et qu'il a besoin que ses sentiments soient respectés. " En grandissant ", souligne de son côté Francine Ferland, " ce respect doit continuer, tout comme ses goûts et ses intérêts - souvent différents de ceux de ses frères et sœurs au même âge -, ses capacités - différentes aussi de celles des autres enfants -, et enfin sa personnalité qui lui confère un caractère unique. ".
. Olivier, 56 ans, militaire de carrière, évoque avec regret et émotion la dureté avec laquelle il a élevé son fils unique : " Il a mal tourné à l'adolescence. L'ambiance était insupportable. Le jour de ses 18 ans, il a quitté définitivement la maison sans crier gare. C'était un dimanche. Sa mère et moi étions à la messe. Il nous a laissé un mot nous signifiant qu'il partait à l'étranger, de ne pas nous inquiéter mais qu'il ne voulait plus nous revoir pour l'instant et de ne pas chercher à savoir où il vivait. Je ne saisissais pas le pourquoi de cette rupture qui me semblait brutale et excessive. Cinq ans et demi plus tard, il est passé à la maison sans nous prévenir. Il nous a présenté sa compagne, une japonaise apparemment très gentille. Sans que nous ne lui demandions quoi que ce soit à ce sujet, il nous a annoncé que cette jeune femme ne pouvait pas avoir d'enfant ! Mais il n'a pas voulu nous confier où il habitait précisément et quels étaient ses moyens de subsistance. Il est reparti avec son amie au bout d'une heure environ et depuis, plus de nouvelles... Le hasard fait malgré tout parfois bien les choses. C'est en écoutant dans la voiture une émission sur la Pensée positive que j'ai ressenti la violence verbale avec laquelle j'avais élevé cet enfant qui, pourtant, était adorable. J'ai su alors que j'étais entièrement responsable de ses dérives et de la distance qu'il avait mise avec nous... ".
Ce triste récit fait réaliser combien un enfant, marqué par la non-prise en compte de sa fragilité liée à son jeune âge, pourra faire en sorte inconsciemment de ne pas être parent à son tour. Éduqué comme un soldat, devant répondre sempiternellement aux injonctions paternelles, le fils d'Olivier n'a pas pris le risque d'être, le cas échéant, un mauvais père... Dans cet ordre d'idée, Francine Ferland ajoute qu'il ne faut jamais omettre que " tous les enfants sont distincts et doivent être appréciés selon leur individualité. ". " Les comparaisons avec les autres, ", affirme-t-elle, " qui font mieux ou plus rapidement, n'apportent rien à l'enfant, sinon un sentiment de dévalorisation "...
Ces fondamentaux intégrés et acceptés par ses géniteurs favoriseront effectivement son envie d'avancer. Ceci étant, le métier de parent reste épineux et ce, tout au long de la vie. Le psychologue Bruno Bettelheim encourageait d'ailleurs les parents à être " suffisamment bons " plutôt que de vouloir être " parfaits ". Se montrant seulement perfectibles, commettant par conséquent erreurs et ratés, ils demeurent avant tout humains. Une opportunité pour l'enfant de le devenir à son tour...
Estelle Rigaud