La psycho
      dans Signes & sens

      L’aphasie,
      la richesse du silence...

      L’aphasie, la richesse du silence...
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      L’aphasie est la diminution pouvant aller jusqu’à l’impossibilité totale de la faculté acquise de parler. Dans la conclusion de son ouvrage « Contribution à la conception des aphasies » (1891), Sigmund Freud  tient à souligner qu’il est essentiel, dans cette pathologie, de s’intéresser aux conditions fonctionnelles de l’appareil du langage. En psychanalyse, la condition rejoint la notion d’interdépendance qui, mise à nu, permettra de déjouer la résistance, de dénouer le nœud borroméen. Si Jacques Lacan partageait avec ses analysants le « parlêtre », c’est-à-dire, comme l’explique le dictionnaire Larousse de la psychanalyse, « de celui qui pose la question de l’être parce qu’il parle », le cas clinique que Chantal Calatayud, psychanalyste, propose, fait émerger jusqu’à quel point le symptôme peut se défendre du principe de réalité.

      Paul ne parle plus, il est aphasique. Lors de sa première consultation, Paul, qui avait pratiqué le métier de vétérinaire, est accompagné de l’un de ses fils et d’un caniche nain, nommé « Zazou ». C’est le fils qui « prend la parole » et peut-être allais-je comprendre pourquoi ce père s’était castré jusque dans le langage.
      Deux enfants ont très vite comblé le couple, Patrick et Pierre, nés à treize mois d'intervalle. Patrick, l’aîné, qui raconte l’histoire parentale, est étudiant en pharmacie ; Pierre, passionné de voitures, a arrêté ses études dès la classe de quatrième et travaille comme mécanicien dans un garage. Paul, à la verbalisation de l’existence de Pierre, est pris d’une quinte de toux violente et bruyante. Patrick se fait prévenant. La mère, infirmière libérale, exerce son métier depuis toujours. Je demande à Patrick de me raconter les semaines précédant la maladie. Ses propos ne dévoilent rien de particulier, hormis des conflits fréquents entre Pierre et son père, qui lui reproche son manque d’ambition et l’exclut de toute rencontre familiale. Pierre s’en moque apparemment mais ne supportant plus l’attitude de son père, il a fini par partir de la maison en claquant la porte. La mère n’est pas intervenue. Ce vétérinaire appartient à une famille de médecins depuis plusieurs générations. Son épouse, par contre, est issue d’un milieu ouvrier et le mariage a déclenché, en son temps, les foudres paternelles dans la famille de Paul qui n’a plus été accepté jusqu’à la naissance de Patrick. Il reproduisait donc ainsi sa propre histoire.

      Je m’adresse à Paul, particulièrement crispé, sa bouche semblant tendue comme un arc. Il laisse deviner un autoritarisme sous-jacent et inflexible.
      - « Si quelque chose ne vous semble pas exact, vous pouvez intervenir à votre manière »…
      Je ne fais aucune allusion à son aphasie et le laisse libre d’utiliser à nouveau sa langue pour parler ou un geste pour réagir. Mutisme et impassibilité en guise de réponse me permettent de continuer à dialoguer avec le fils. Patrick me dit avoir compris, dès le début de la maladie du père, que celui-ci ne supporte pas ce qu’il considère comme un échec, à savoir le parcours de son frère. Il en éprouve une honte certaine, d’autant qu’un temps, une carrière automobile, vite arrêtée, avait été envisagée. Toutes les ambitions pour ce fils nourries par le père s’étaient avérées stériles.

      Les cinq consultations suivantes, toujours en compagnie de Patrick, se déroulent sans qu’aucun changement ne survienne. Je laisse cependant au champ du langage la possibilité de s’exprimer. Le mistral souffle en rafales et Paul arrive « emmitouflé », ne voulant enlever ni son pardessus, ni son écharpe qu’il tient serrée autour du coup. Je suis déçue de voir mon travail non seulement stagner, mais s’empêtrer.

      - « Bonjour Monsieur P., peut-être serait-il plus raisonnable de vous dévêtir ? Vous risquez de prendre froid en sortant, mais vous êtes libre aussi de rester couvert dans cette pièce bien chauffée ».
      Pour la première fois, Paul m’adresse un geste de mépris, me faisant comprendre que je le laisse en paix. Curieusement, cette attitude agressive, non habituelle de cet homme de bonne éducation, m’emplit d’espoir, la réaction projective étant de toute façon libératrice pour l’analysant, aussi singulier soit-il. Patrick, en raison d’une période d’examens, n’a pu accompagner son père. C’est l’employée de ménage qui le fait. Elle reviendra le prendre dans une heure. Paul n’exprime aucune résistance, s’assied, sans laisser filtrer la moindre expression sur son visage, engageante ou désobligeante. Je romps le silence pour tenter de briser la neutralité :
      - « Patrick étant absent, la séance d’aujourd’hui va être un peu particulière. Je vais avoir besoin de vous car mon métier, sans le langage, est amputé de sa spécificité. J’admets cependant que vous désiriez garder le silence et même refusiez toute coopération ».
      Paul se lève, s’éloigne et va regarder des gravures murales humoristiques, dessinées par un psychiatre sur le thème de l’inhibition. Sept sont accrochées, il les regarde une à une et s’arrête plus longuement sur la représentation de deux escargots qui s’affrontent, l’un étant sorti de sa coquille et criant à son congénère, rentré dans sa coquille, Je sais que tu es là, avec pour légende : « Repli sur soi-même ».
      Je saisis l’occasion en souriant, bien qu’il me tourne le dos.
      - « J’aurais la faiblesse, Monsieur P., de penser que vous êtes rentré en quelque sorte dans votre coquille. J’aimerais vous aider à en sortir »…
      Il se retourne, saisit une feuille de bloc sur mon bureau et trace maladroitement : « juste »…
      Quand on dit que le bonheur « envahit », il s’agit-là d’un euphémisme. Je suis transportée. Je veux croire à cet instant, plus que jamais, au miracle.
      D’un commun accord avec la famille, Paul sera désormais seul en consultation.

      Les semaines qui suivent notent de légères améliorations. Paul prend l’habitude d’inscrire des mots sur mon bloc, non systématiquement interprétables au nom d’une logique mais que je développe à sa grande joie qu’il laisse éclater sur son visage, riant parfois aux éclats, même si cela ne semble pas justifié.
      Jusqu'ici, devant ces résultats plutôt encourageants, j’avoue que j’avais évité de parler de Pierre. Et pourtant, il le fallait car je savais que le mal était là. En n’y revenant pas, je subodorais que je pouvais m’exposer sinon au pire, du moins à laisser grossir un comportement infantile. Je décide de prendre mon courage à deux mains et croyant aux vertus de l’authenticité, je démarre l’entretien :
      - « Monsieur P., vous savez le désir que j’ai de vous aider à reconstruire votre personnalité. J’ai le sentiment que vous savez que j’ai compris que votre relation à votre fils Pierre est à l’origine de vos troubles comportementaux alors que votre médecin vous trouve en pleine forme physique ».
      Je ne suis pas fière en cet instant de face à face, d’autant que deux grosses larmes se mettent à couler le long des joues creusées par le remords ? Le regret ? L’inquiétude ? La lassitude ? À ce stade de l’analyse, peu importe et pourtant, je décide lâchement de les interpréter comme un abandon du contrôle de Paul sur l’entourage.
      - « Pour moi, je pense que vous êtes en train de jeter l’éponge… ».
      Cette expression que je n’apprécie pas particulièrement est sortie de mes lèvres, malgré moi.
      - « Oui », balbutie-t-il… « Merci pour… »...
      La voix est faible et hésitante mais je suis sûre d’avoir entendu. Et pourtant, je m’obstine, à tort, à vouloir lui faire répéter.
      - « Vous êtes d’accord avec mon interprétation, Monsieur P ? »…
      Aucune réponse. Je m’en veux d’avoir eu ce besoin de me rassurer.
      Les séances qui suivent amènent une impression de régression. Paul continue à mettre des mots sur le bloc sténo.
      - « Je sais que non seulement vous êtes capable d’écrire des phrases mais j’ai la certitude que vous pouvez parler. Je suis désolée de ne pouvoir davantage vous aider. »
      Je me sens abattue et me surprends à m’interroger sur mon honnêteté professionnelle. Ai-je le droit de continuer ce travail ? Dois-je passer le relais ? Mais à qui ?
      Je ne sais si Paul a eu peur que je l’abandonne à son triste sort mais alors que mes forces  me lâchent et que le doute continue à m’envahir, il marmonne :
      - « Merci pour… ».
      Je n’en saurai pas plus ce jour-là mais je ne recommencerai pas l’erreur précédente et, doucement, je conclus l’entretien :
      - « Merci à vous, Monsieur P…, qui me permettez de prendre des notes au travers de cette relation un peu particulière qui s’est établie entre nous ».
      Je me lève, il se lève à son tour et pour la première fois, me tend la main pour me saluer.

      Tout a changé à partir de ce tournant. Je symbolisai alors ces remerciements et ce salut comme s’inscrivant dans un renouveau de processus de socialisation. Je tenais la famille régulièrement au courant. En fait, je ne voyais que Patrick lorsqu’il était disponible et je le sentais dubitatif puisque son père ne parlait toujours pas à la maison.
      Je ne sais si « la télé rend fou » mais, à certains moments, je pense que la psychanalyse transporte vers des sphères hors normes et l’idée me vint de rencontrer Pierre.
      Gentil Pierre, à la révolte mal contenue mais si coopérant. Cette conversation, seul à seul, ressemble, à quelques détails près, à la version familiale de Patrick. Rien de nouveau donc et je décide de mettre en face à face Pierre et son père !
      Ils ne se sont pas revus depuis plusieurs mois et Pierre s’approche pour embrasser son père qui n’oppose aucun refus.
      - « J’ai demandé à votre fils de m’aider, Monsieur P., je suis au bout de mes possibilités professionnelles ».
      - « Sortez, me dit Paul, de façon audible et en articulant clairement l’injonction qui ne me laisse aucune possibilité de répliquer.
      Pierre sort de mon bureau un quart d’heure plus tard surexcité :
      - « Il m’a dit : J’ai compris… et il me l’a répété trois fois ! ».
      Je ne suis pas étonnée. Je ne saurai jamais ce que se sont dit ces deux êtres, cela leur appartient et ils n’ont pas désiré me le communiquer.

      Paul a continué durant quelques mois ces séances qui, paradoxalement, n’avaient rien de spécifiquement analytique. Petit à petit, il évacuait la partie nébuleuse de son existence, parcelle conflictuelle dans son rapport au fils qu’il restaurait par un fin jeu du langage. Quant à Pierre, il avait pris son indépendance et l’avait gardée. Patrick, devenu pharmacien, faisait des remplacements qui l’éloignaient de la maison le plus souvent. Madame P., que j’avais entr’aperçue, effacée et timide, continuait son métier sans ménager ses forces. Seule Zazou, future maman, menait sa grossesse paisiblement ; elle avait « fauté » avec un affreux bâtard, aux dires ironiques de Paul, qu’elle était arrivée à imposer puisque Monsieur P. avait décidé de garder un bébé chiot dont je suis maintenant convaincue que même s’il n’a pas la parole, il aura « voix » au chapitre…

       

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