La résilience et moi

     
    C'est un moment insolite, inattendu, parfois difficile de leur existence. Ils ont choisi de témoigner et de nous confier comment ils s'en sont sortis... seuls. Ils nous expliquent aussi ce qui a changé en positif et " pour de bon " dans leur vie à partir de l'obstacle ou de l'épreuve qu'ils ont eu à franchir et à dépasser. Si vous avez connu un épisode de ce type auquel vous n'étiez pas préparé, adressez-nous votre courrier qui sera lu et mis en ligne si son contenu a été sélectionné par la Rédaction...
     

    " Le chirurgien voulait
    m’enlever mon utérus
    "

    Le chirurgien voulait m’enlever mon utérus
    ©iStock

     

    Claire à 45 ans. Mère de quatre enfants, son métier de bibliothécaire l’absorbe aussi beaucoup. Active, elle aime bien aider Philippe, son mari, à bricoler dans leur nouvelle maison…

    Nos deux aînés étaient en fac et il fallait davantage compter financièrement. Nous venions d’acheter une très jolie maison, solide, de belle allure, mais qui nécessitait des agencements intérieurs importants. Philippe est très doué manuellement bien qu’il soit professeur de français. S’il adore la littérature, bricoler le détend. De toute façon, nous n’avions pas le choix. Il travaillait énormément dans notre bâtisse après ses cours et il soufflait peu durant les week-ends. S’étant mis dans l’idée de vouloir installer une cheminée lui-même, je trouvais qu’il s’épuisait. C’est ainsi que je lui proposai, sous sa guidance, de commencer à repeindre les portes intérieures…

    Je suis très peu habile de mes mains. Cependant, heureuse de pouvoir soulager Philippe, je me mis à la peinture avec un entrain inattendu de ma part face à ce genre de tâche. Je respectais scrupuleusement les conseils de mon mari qui n’en revenait pas de ma minutie quant à un travail que je ne connaissais pas jusque-là. Il venait vérifier de temps en temps si tout se passait bien et je le sentais heureux de notre partenariat.
    Les réflexes humains sont parfois surprenants. S’il m’était apparu normal de rendre service à mon époux, il est certain que j’avais décidé de peindre uniquement pour essayer de lui rendre service car, si quelques-unes de mes amies raffolent de ce genre de « distractions » - plutôt masculines -, pour ma part je n’aime pas les activités manuelles. Je préfère un bon bouquin pour me relaxer. Là, consciencieusement, je me prenais de plus en plus au jeu. Le joli résultat m’encourageait à continuer et à en faire chaque fois un peu plus. C’est ainsi qu’après les portes, je décidai de m’attaquer aux portes-fenêtres et à leurs croisillons. Philippe me montra comment protéger les petits carreaux et je me lançai à nouveau dans cette belle aventure. C’était fatiguant mais j’étais grisée. Malheureusement, grisée j’allais l’être bientôt au sens propre.
    Mon mari continuait à œuvrer de son côté et nos enfants n’en revenaient pas de ma participation. À l’unanimité, ils trouvaient que j’avais un certain talent ! J’étais fière de moi, sentiment que j’éprouve rarement, et je sais aujourd’hui que cette petite forme d’orgueil commençait à me jouer des tours. À mon insu. Prise d’une frénésie de plus en plus tangible par mon entourage, je proposai à mon mari de peindre l’escalier en bois… Cet escalier avait une histoire dont je ne saurai jamais quel rôle elle a joué dans mes problèmes à venir. Effectivement, lorsque nous avions acheté cette maison, elle possédait un escalier étroit, minable, de mauvaise qualité, particulièrement abîmé (notre habitation est très ancienne). N’ayant que peu d’argent disponible pour rénover l’ensemble du lieu, mon mari avait contacté - par le truchement d’une de ses relations - un menuisier un peu à la dérive. Cet homme, visiblement fatigué par la dive bouteille, avait perdu son entreprise et était redevenu employé. Il vivait modestement et arrondissait ses fins de mois en acceptant de travailler en dehors de la journée. La première fois que je l’ai vu, il ne m’a pas rassurée mais ses tarifs étaient bas et nos finances ne pouvaient pas avoir d’autre prétention pour l’heure… Il avait pris soin de nous demander une avance que nous lui avions consentie. Le temps passait, il ne venait toujours pas démarrer les travaux. Il fallait absolument démolir une partie de l’ancien escalier et, en y réfléchissant, Philippe avait conclu que cette partie des travaux pouvant peut-être effrayer ce menuisier qui semblait diminué sur un plan physique, cette étape épuisante était sûrement à l’origine de sa non-venue. Mon mari prit les choses en main et prépara le travail du menuisier. Il l’en informa et… l’homme arriva. J’ai gardé le souvenir de sa boîte à outils pathétique et d’une scie à main ! La réfection de l’escalier fut tout aussi pathétique mais je reconnais que l’escalier présente l’avantage de ne ressembler à aucun autre ! Maladresses manuelles et nombreuses erreurs de calculs en font une œuvre d’art unique ! L’homme resta longtemps chez nous et, bien qu’étant des individus calmes de nature, nous n’en pouvions plus… Malgré toutes les imperfections, nous payèrent le menuisier, ravi de le voir enfin quitter notre domicile. Après son départ, Philippe et moi furent pris d’un fou-rire nerveux devant notre montée d’escalier… Pressés de voir partir l’homme qui l’avait réalisée, nous n’avions surtout pas envisagé avec lui les moindres finitions. Nous nous trouvions donc maintenant devant des marches et une rampe brutes de tout habillage esthétique. Nous avions convenu, au fur et à mesure des dégâts engendrés par l’incompétence du menuisier, de peindre cet escalier de la même couleur que les portes-fenêtres et les portes intérieures de la maison. Sauf que ce travail supplémentaire nous incombait encore… Je trouvais Philippe particulièrement fatigué et s’imposa ainsi à moi le fait de peindre l’escalier ! Il tenta de me décourager devant l’ampleur du projet mais, face à mon insistance réitérée, il finit par accepter. Finalement, ce n’était pas pire que ce que j’avais fait depuis quelques mois et puis, je ressentais qu’en peignant cet objet j’oublierais un peu le travail lamentable du menuisier. Je me mis donc à l’ouvrage avec une énergie démesurée. Il faut dire que le week-end de Pâques arrivait à point nommé. Je décidai de faire la surprise à Philippe : lundi soir, l’escalier serait totalement fini et arborerait une belle allure ! Quand je me mets ce genre de défi en tête, plus rien ne peut m’arrêter. Je me levai aux aurores le samedi et attaquai avec vigueur « mon » chantier. Je commençai par la rampe, comme me l’avait suggéré mon époux. Dans la journée, je sentis mes forces m’abandonner un peu. Je n’avais pas mangé grand-chose et mis cet état sur le compte d’une hypoglycémie. Raisonnablement, je pris une collation très équilibrée et continuai à peindre. Vers 20 heures, j’étais nauséeuse et en informai Philippe qui me conseilla d’aller me coucher, ce que je fis sans me faire prier. La nuit fut horrible : j’étais prise de douleurs abdominales insoutenables. Au petit matin, je m’effondrai, gémissant, pleurant comme une enfant. Philippe prit la décision de me conduire lui-même dans une clinique de la ville dont il connaissait très bien le chirurgien, ami de ses parents. Je ne trouvais pas la démarche logique mais n’arrivant quasiment plus à marcher, je me laissai faire. Bien qu’il se soit agi du dimanche de Pâques, le chirurgien prévenu nous fit dire qu’il arrivait tout de suite. Toutefois, il demanda une échographie abdominale qui fut réalisée par un radiologue odieux que je connaissais de triste réputation. Tandis que je me pliais de douleurs, ce médecin n’usa d’aucun soin particulier en déplaçant la sonde de l’échographie. Sans explication diagnostique aucune, il me laissa plantée là après l’examen. Mes forces me quittaient jusqu’au moment où deux aides-soignantes entrèrent pour me remonter sur un chariot jusqu’à ma chambre. Je souffrais le martyr, mon mari ne savait plus que faire et je captais qu’il regrettait de m’avoir conduite dans cet établissement privé. Je serrais les dents pour ne pas rajouter à sa culpabilité… À 11 heures, nous entendîmes frapper rapidement à la porte de la chambre et le chirurgien entra rapidement, accompagné d’une infirmière. Il faisait la tête et salua froidement mon mari qui, bien élevé, s’éclipsa. Aucun élément médical lié à l’échographie abdominale ne fut évoqué mais la palpation énergique me fit hurler. Un toucher vaginal entraîna « le » diagnostic : « Vous faites une nécrobiose utérine, je vais vous hystérectomiser »… Je tentai d’expliquer comme je le pu mon état gynécologique sur fond de fibrome, le chirurgien ne m’écouta pas, prescrit une perfusion pour calmer mes douleurs, demanda à son assistante que je reste à jeun et, sans même m’adresser un regard, quitta la pièce en précisant qu’il repasserait dans un moment… J’entendis qu’il parlait avec mon mari de façon peu aimable. Philippe entra. Il était foncièrement désolé. Il me précisa que le chirurgien m’opérerait a priori, sauf complications d’ici-là, le mardi matin. Non, dis-je à mon époux, dans un sursaut d’énergie, il n’en n’est pas question ! Mon mari était déconcerté. C’est un homme qui n’a pas pour habitude de faire des vagues et, excellent professionnel lui-même, il fait confiance aux professionnels. Surtout que, dans ce cas, le chirurgien était donc un ami de ses parents… La perfusion fut posée rapidement et mes idées s’éclaircissaient un peu. Philippe ne comprenait pas mon attitude. Je lui résumai la situation : indépendamment de l’accueil déplorable que j’avais reçu, j’avais eu affaire pour l’instant à un radiologue atrocement désagréable et muet, et à un chirurgien qui avait décidé de m’enlever mon utérus, sans même avoir pris connaissance de mon état gynécologique ! J’avais mis au monde quatre enfants et de cela, il semblait ne pas plus avoir tenu compte. Je voulais voir mon gynécologue avant toute décision définitive chirurgicale mais nous étions le dimanche de Pâques…
    L’infirmière connaissait mon mari qui avait eu dans sa classe, deux ans de suite, sa fille. Philippe me l’avait dit et cette information devenait soudainement un sésame. J’insistai auprès de lui pour qu’il demande à cette infirmière qu’elle contacte discrètement mon gynécologue, qu’elle lui relate les faits et qu’il… vienne ! Mon mari (il me l’avoua plus tard) trouvait que j’exagérais un peu mais, alors qu’il est plutôt du genre timide, accepta. Il revint avec l’infirmière à qui j’expliquai mes doutes quant à la nécessité de m’enlever mon utérus. Il fallait qu’elle nous fasse vraiment confiance car nous l’entendîmes nous dire : « Le docteur M. est comme ça, quand une femme n’est plus en âge de procréer, il considère que son utérus devient source d’ennuis médicaux graves qui peuvent survenir à la ménopause »… Je n’avais jamais entendu pareil discours et imaginai qu’il valait mieux que je sois couchée car, sinon, je serais tombée par terre devant un tel raisonnement ! Pas question, quoi qu’il en soit, que je me laisse « castrer », amputer de mon utérus, sans avis gynécologique. D’ailleurs, mon gynéco était certainement aux antipodes du raisonnement du chirurgien quant aux femmes ménopausées ! Mes douleurs ayant quasiment disparu chimie aidant, je retrouvais de la combativité. L’infirmière, devant sentir que j’étais prête à signer une décharge pour sortir de clinique, nous annonça qu’elle allait s’arranger pour prévenir mon gynéco. Il arriva dans la demi-heure qui suivit. Il s’agit d’un homme aimable et plein de bon sens. Le voir me rassura immédiatement et Philippe aussi ! Il me demanda de lui raconter les heures qui avaient précédé mes horribles douleurs abdominales, ce que j’avais mangé, ce que j’avais fait… Dans le menu détail, je lui racontai mes repas légers et, surtout, lui confiai mon histoire de peinture de l’escalier. Il m’examina et, tout en palpant, me dit qu’il ne trouvait rien d’anormal. Il ajouta qu’il pensait que mon état était sûrement dû à une intoxication à la peinture ! Il prescrit ma sortie de l’établissement, ce qui entraîna - je l’appris par la suite - un gros conflit avec le chirurgien (les deux hommes ne s’appréciaient déjà pas beaucoup…). Le chirurgien informé fit irruption dans ma chambre après le départ du gynécologue et, furieux, me lança qu’il ne faudrait pas que je me plaigne si, dans quelques années, je développais un cancer de l’utérus… Décidément, partir de là devenait une nécessité pour moi car je ne suis pas fan des menaces gratuites et méchantes. La suite donna raison à mon gynécologue qui, bien entendu, prit le relais médicalement : les analyses confirmèrent que j’avais bel et bien fait une intoxication à la peinture !
    Outre le fait que je ne touchai plus jamais le moindre pinceau, marquée à tout jamais par ma terrible mésaventure, et indépendamment du fait que Philippe se trouva dans l’obligation de terminer l’embellissement de l’escalier, j’allais en retirer une jolie leçon mais, auparavant, je m’interrogeai : qu’est-ce qui avait bien pu me prendre pour que je veuille me lancer dans des travaux purement masculins ?
    À l’époque, je savais qu’une collègue de mon mari lui « tournait autour ». J’avais compris que Philippe n’était pas insensible à cette jeune femme, charmante physiquement et intéressante intellectuellement. Prenant mon courage à deux mains, je décidai de faire mon examen de conscience. Très honnêtement, j’en arrivai à la conclusion suivante : je n’avais pas aidé Philippe par amour mais par séduction ! Autrement formulé, je ne l’avais soulagé dans ses travaux que par rivalité. L’enseignement fut douloureux, à tous les sens du terme et il aurait été plus simple que je parle à Philippe de mes inquiétudes sentimentales. Je reconnais aussi que l’attitude anti-professionnelle du chirurgien continua à me faire réaliser que mon problème de jalousie était lié, effectivement, à ma ménopause qui commençait à s’installer. Je considérais que ce passage de la vie d’une femme pouvait abîmer son couple. Inconsciemment et consciemment, je souffrais de ma pseudo rivale qui avait dix ans de moins que moi. Il fallait que j’évoque tout cela à Philippe et, même si certains peuvent en sourire, mes faiblesses n’étaient pas faciles à lui avouer…
    Mon fibrome entraînait un certain nombre de désagréments et je consultai à nouveau mon gynéco. J’en profitai pour lui faire part de mon angoisse du temps quant à ma sexualité. Le fond du problème était là. Il me rassura, non pas de façon superficielle et béate, mais en me donnant des précisions médicales, arguments suffisants pour me faire comprendre qu’à 45 ans et plus, ménopause ou pas, une femme peut continuer à s’épanouir dans sa sexualité. Aujourd’hui, dix ans ont passé et je peux assurer que mon gynéco avait raison…

     

     
    Mentions légales  Signesetsens.com ©