La résilience et moi

     
    C'est un moment insolite, inattendu, parfois difficile de leur existence. Ils ont choisi de témoigner et de nous confier comment ils s'en sont sortis... seuls. Ils nous expliquent aussi ce qui a changé en positif et " pour de bon " dans leur vie à partir de l'obstacle ou de l'épreuve qu'ils ont eu à franchir et à dépasser. Si vous avez connu un épisode de ce type auquel vous n'étiez pas préparé, adressez-nous votre courrier qui sera lu et mis en ligne si son contenu a été sélectionné par la Rédaction...
     

    " Un camion a failli
    me broyer
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    Un camion a failli me broyer
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    Serge a 54 ans. Infirmier libéral, il connaît son département jusque dans les moindres itinéraires. Bien qu’effectuant de nombreux déplacements de par sa profession, il aime conduire…

    Parmi mes patients, j’ai des commerciaux qui me disent que la route leur devient de plus en plus pénible à faire. Suis-je une exception qui confirme la règle ? Moi, je n’éprouve aucune lassitude à relier les lieux géographiques que nécessitent mes rendez-vous. Il faut dire que je suis très bien équipé : outre un véhicule qui est très confortable, je sélectionne les programmes de radio en fonction du moment de la journée. J’adore les émissions politiques et le sport. Autant dire que je ne suis jamais déçu ! Les propos sont denses, animés, admirablement dirigés par des journalistes qui dominent en général leur sujet et qui, de surcroît, souvent, mettent une touche d’humour qui me détend. En revanche, peu fan de variétés musicales, lorsque j’ai envie de me recentrer, notamment quand j’assure les soins de malades en fin de vie, je me mets un CD de Pensée positive. J’arrive ainsi le cœur léger et le moral au beau fixe au domicile de ma clientèle…
    En cette matinée de juin, le temps était particulièrement radieux. La nature resplendissait et bien que connaissant parfaitement le paysage, j’appréciais les arbres et autres bosquets que je ne manquais pas de saluer comme à l’accoutumée. Effectivement, cette attitude peut faire sourire mais la majesté de l’environnement nous fait des cadeaux à chaque saison et je pense qu’il faut savoir l’en remercier. Le printemps nous offre un spectacle exceptionnel avec une floraison d’une richesse incroyable. L’été nous renvoie sa force avec un feuillage qui présente la capacité de nous rafraîchir rien qu’en le regardant. L’automne nous enveloppe de ses tons chauds qui nous rassurent quant à la perspective d’un hiver où la couleur argent peut toutefois nous faire rêver… Les paysages de givre sont remarquables, laissant croire qu’un orfèvre a travaillé toute la nuit pour nous permettre d’admirer une végétation prise dans son manteau scintillant… J’aime la terre, ma terre natale, qui ne se révèle jamais ingrate avec moi. Si je travaille beaucoup, mes échappées belles personnelles me renvoient quotidiennement un sentiment de paix, de sérénité, de calme que je retrouve chaque jour avec le même bonheur indéfectible.
    Le sixième mois de l’année s’annonçait magnifique et j’écoutais tranquillement un débat sur la physique nucléaire quand un ralentissement se mit en place : un rapide coup d’œil me fit constater qu’il y avait un petit bouchon mais aucune inquiétude pour moi en terme d’horaire puisque j’étais en avance… Géographiquement, l’endroit que je traversais est surprenant. Pour des raisons de meilleure circulation, le département a opté il y a plusieurs années pour un faisceau routier qui, sur environ un kilomètre, constitue un pont. Les travaux ont été intelligemment réalisés et en dehors de quelques conducteurs pressés, la limitation de vitesse à 70 km/heure est respectée. Lorsque les véhicules redescendent de ce « monticule », ils ont la priorité et débouchent sur un sens giratoire très large dont la visibilité est excellente. Je devais pour ma part tourner à la deuxième intersection sur ma droite et suivais un énorme poids-lourd immatriculé dans un département éloigné du mien. Après avoir pris le virage qui me concernait, je me retrouvai toujours derrière ce camion qui tractait une remorque imposante. J’avais pu anticiper quelques instants auparavant toute manœuvre dans la mesure où le chauffeur avait mis son clignotant. Nous restions tous les deux sur la voie de droite mais le convoi impressionnant me coupait de toute visibilité convenable. Il continua à rouler à une faible vitesse tandis que la limitation était maintenant à 90 km/heure. Je décidai de le doubler après m’être assuré bien entendu que je pouvais le faire sans danger et - encore une fois - connaissant parfaitement bien ce tronçon à sens unique. C’est alors que le camion, sans le signaler, se déporta sur sa gauche, ce qui me fit réaliser qu’il cherchait sûrement à doubler à son tour un véhicule. Sauf que sa conduite fut brutale et que j’avais commencé mon dépassement ! Le routier ne m’avait non seulement pas vu mais ne me voyait absolument pas. Bien que le temps soit extrêmement rapide dans ce genre de situation, les secondes paraissent très longues. Un véritable étau commençait à se resserrer et ce d’autant plus que je n’avais pas pu voir que le camion ne doublait personne en fait mais avait été surpris par un rétrécissement de chaussée pourtant signalé par de très hauts panneaux (que je découvris plus tard). Je vis la glissière de sécurité à ma gauche se rapprocher horriblement et je sentis ma dernière minute arriver… J’oscillais entre le fait que le conducteur ne pouvait pas me voir mais, grâce à la hauteur de son habitacle, tout aussi étonnante que soit la scène, il me distinguait tout de même peut-être… J’avançais par fractions de secondes dans mon raisonnement, me rassurant en affirmant que les routiers sont de magnifiques conducteurs. Dans un désespoir le plus total, sentant que j’allais être écrasé tout de suite par l’engin devenu soudainement monstrueux, moi qui ne klaxonne jamais, je me mis à klaxonner avec une énergie décuplée. Les choses allèrent très vite à partir de là : mon rétroviseur droit fut arraché, le bruit me sembla violent et je suis incapable de dire aujourd’hui comment la scène se termina. Toujours est-il que nous pûmes nous immobiliser tous deux sur la nationale et que les véhicules qui nous suivaient nous ont évités à temps… Un vrai miracle !
    Je descendis de ma voiture, tremblant de la tête aux pieds. Le chauffeur en fit autant. Nous étions quasiment à l’unisson ! Je découvris un homme littéralement perdu. Il ne m’avait pas vu, semblait très perturbé, se confondit en excuses mais apparut obnubilé par le fait que sa remorque pouvait être abîmée… Naïvement, je lui relatai ce que je venais de vivre, ce que j’avais ressenti, mes émotions… Visiblement, il ne m’écoutait pas. Cet homme n’avait pas bu, c’était une évidence. Mais, pourquoi alors un tel comportement inexplicable ?
    En même temps que je lui faisais découvrir l’état de mon rétroviseur qui ne ressemblait plus à rien, il me raconta que le matin même, à 45 km de là, il avait retrouvé l’arrière de son camion très embouti et que la personne indélicate qui avait causé ces gros dégâts avait disparu sans laisser ni adresse, ni téléphone ! Il était très inquiet quant à la réaction de son employeur. Bien que mon réflexe n’ait rien eu d’héroïque, je fis un rapide calcul dans ma tête : ayant les moyens financiers d’assumer le changement de rétroviseur, je décidai de ne pas faire de constat. Content de pouvoir lui annoncer ma décision, je le fis dans la foulée. Le chauffeur n’eut aucune réaction et, dans une sorte de monologue, évoqua le fait que deux ans auparavant, il avait eu un très grave accident à l’endroit exact de notre accrochage ! Il avait de quoi effectivement être interrogatif…
    Bien entendu, je n’entendis plus jamais parler de cet homme. Toutefois, je ressassais les épisodes répétitifs d’accidents qu’il m’avait confiés. Je me disais qu’à sa place, je changerais de métier ! Mais je n’étais pas à sa place et puis étais-je vraiment à la mienne ?
    Pendant des jours, des semaines, des mois, je me reposais sempiternellement cette question. Aucune réponse, d’autant que je me sentais toujours aussi heureux et privilégié dans ma profession d’infirmier… Ce n’est que bien plus tard que mon psychisme allait arriver à me faire comprendre qu’effectivement, j’avais un problème de place que je ne voulais pas objectiver, non pas que je sois paresseux de nature mais il est vrai que j’évite de gaspiller mon énergie lorsque j’ai l’impression que les choses se déroulent à peu près correctement…
    Je louais mon local professionnel à un retraité, monsieur adorable qui m’appréciait - il me l’avait dit - comme locataire. Lors de mon emménagement, il avait attiré mon attention sur un faux-plafond qui avait pris l’eau à la suite d’une inondation chez la voisine du dessus. Il m’avait assuré qu’il changerait les plaques concernées mais ne l’avait jamais fait ! Ce détail ne me gênait pas plus que ça dans la mesure où, sur un plan esthétique, il fallait particulièrement relever la tête pour voir les taches. Un matin, en ouvrant la porte de mon Cabinet, je me retrouvai pataugeant dans un bon centimètre d’eau. Très vite, je me dirigeai vers le coin toilettes sans éclairer et constatai que la femme de ménage avait mal fermé le robinet qui était déplacé par rapport à la vasque. Toutefois, cette inattention n’avait pas pu entraîner ce dégât des eaux : j’ouvris alors le placard sous le lavabo et découvris qu’une soudure d’une canalisation avait cédé… Il faut croire que cette compulsion ne suffisait pas pour que j’ouvre enfin grands les yeux puisqu’un soir particulièrement pluvieux, en sortant de mon lieu de travail, je chutai lourdement dans l’escalier extérieur et me brisai littéralement la cheville…
    Grâce aux soins prodigués à l’hôpital, je ne souffris plus, ce qui me permit de réfléchir à cet « accident ». La cheville me conduit tout de suite à l’expression cheville ouvrière et je retrouvai intact le souvenir de mon grand-père paternel, communiste acharné et citoyen émérite ! Travailleur infatigable, il avait malheureusement connu une triste fin. Sa modeste maison devait être « frappée d’alignement » puisqu’un élargissement de tracé routier était prévu. Il n’avait pas envie de quitter sa campagne, comme il appelait son coin de jardin. Il y cultivait d’excellents légumes et entretenait avec amour ses arbres fruitiers. Fière de ses récoltes, ma grand-mère cuisinait passionnément bien et nous régalait de ses confitures. Cependant, mon grand-père ne voulait pas admettre que son jardin allait disparaître, tout comme sa maison dans laquelle il était né. Jusqu’au bout, il l’entretint en prenant des prétextes tous plus fallacieux les uns que les autres : jardiner lui faisait faire du sport et puis, quand il serait dans son appartement en ville, adieu l’alimentation saine… Il récolta donc jusqu’au dernier moment les fruits de son travail.
    Il avait fabriqué il y a fort longtemps (je l’avais bien sûr toujours connue) une cabane qu’il s’appliqua à défaire lui-même, planche par planche. Il avait pris soin au préalable d’enlever ses outils et de les offrir, larmoyant mais digne, à son gendre, c’est-à-dire mon père qui avait beaucoup apprécié ce geste de grande reconnaissance… Son terrain était bordé d’une petite rivière dans laquelle mon grand-père fut retrouvé, décédé. Suicide ou accident ? La thèse de l’accident fut retenue mais moi, je n’en fus jamais convaincu… Pour cette raison, l’eau ne pouvait que m’apparaître inconsciemment phobogène. C’est ainsi que je pris la décision de quitter mon local professionnel. J’ai rapidement trouvé un lieu en concordance totale avec mes désirs. Mes patients semblent l’apprécier. Si tout cela me comble, j’ai surtout bien saisi que tous les scénarios qui reviennent avec des éléments à l’identique sont là pour nous inviter à quitter une énergie négative et nous inciter à changer pour nous délester des chaînes du passé et évoluer…

     

     
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