La résilience et moi

     
    C'est un moment insolite, inattendu, parfois difficile de leur existence. Ils ont choisi de témoigner et de nous confier comment ils s'en sont sortis... seuls. Ils nous expliquent aussi ce qui a changé en positif et " pour de bon " dans leur vie à partir de l'obstacle ou de l'épreuve qu'ils ont eu à franchir et à dépasser. Si vous avez connu un épisode de ce type auquel vous n'étiez pas préparé, adressez-nous votre courrier qui sera lu et mis en ligne si son contenu a été sélectionné par la Rédaction...
     

    " Mon mari a eu un enfant
    avec une autre "

    Mon mari a eu un enfant avec une autre
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    Stéphanie cherche à faire prospérer la librairie héritée de ses parents. C'est dans ce contexte professionnel qu'elle rencontre son futur mari, représentant. Ils se marient et ont une petite fille l'année suivante...

    Quand Frédéric s'est avancé vers moi, j'ai été troublée. Il est vrai que je sortais d'une histoire d'amour cahotique qui m'avait dénarcissisée et je sentais la nécessité de vérifier mon potentiel de séduction... Il s'est présenté comme prenant en charge depuis peu le secteur géographique de ma région pour le compte d'une maison d'édition spécialisée dans les sciences humaines... ma passion ! Notre première conversation a dépassé le cadre strictement professionnel, chacun évoquant les auteurs qu'il appréciait. Nous avions les mêmes goûts ! Puis nous nous sommes quittés, nous promettant que lorsque Frédéric serait de nouveau de passage à la librairie, nous déjeunerions ensemble.
    Plus de nouvelles de mon beau représentant pendant trois mois... Je pensais à lui de temps en temps mais sans plus, d'autant que mon commerce évoluait bien, ce qui entraînait un surcroît de travail. Une veille de Noël durant laquelle j'étais particulièrement débordée, le téléphone sonna. C'était lui ! Il serait de passage le 3 janvier, viendrait à la librairie dans l'après-midi et nous pourrions dîner tous les deux dans les alentours... Cet homme n'avait donc pas oublié sa promesse. Heureuse, j'acceptais l'invitation...
    Frédéric avait réservé une table dans un excellent établissement des environs. l'ambiance de la soirée confirmait mes toutes premières impressions. Raffiné, distingué même, il me transportait dans un univers magique. La nuit le fut aussi ! La féérie avait opéré. Plus question de se quitter. Rapidement, mon amoureux donna sa démission pour venir m'aider dans mon entreprise en tant que salarié.
    Il tenait aux fiançailles, elles eurent lieu, superbes. Un an après, le mariage fut célébré alors que j'étais enceinte de deux mois puisque nous voulions un enfant tout de suite. Tout se déroulait agréablement mais Frédéric me laissait entendre qu'il se sentait l'époux de... Cette position sociale le gênait. Toutefois, l'arrivée de notre adorable bébé semblait avoir balayé ces petits nuages. L'argent nous donnait de jolies satisfactions, même si nos sorties se faisaient de plus en plus rares. Quant aux vacances, elles se limitaient à des escapades de deux trois jours maximum. Notre couple se solidifiait au fil du temps. Décidément, nous étions faits pour nous rencontrer, vivre ensemble, fonder une famille...
    Lors de notre dixième anniversaire de mariage, organisé et fêté à Venise le jour de la Saint Valentin, mon mari émit le projet intéressant - compte tenu de nos finances florissantes - d'ouvrir une autre librairie dans une petite ville voisine qui ne demandait qu'à se développer. En revanche, c'est lui qui la tiendrait afin de bien démarrer cette nouvelle création. Curieusement, alors que mon partenaire est un homme d'action, cette idée me contraria au point de ternir ce voyage sentimental...
    A notre retour, Frédéric lança les démarches en vue de l'acquisition d'un local. Il multipliait les appels, les visites aves des agents immobiliers. Le magasin l'intéressait de moins en moins. Conscient de ses absences, il me conseilla d'embaucher un vendeur qualifié de plus, ce que nos finances permettaient tout à fait, d'autant que lorsqu'il aurait trouvé le local adapté à sa future librairie, il souhaitait bénéficier du statut de gérant. C'était logique, il travaillait énormément, avait participé à l'accélération du développement de " mon " commerce, il s'y investissait totalement depuis plusieurs années alors que nous étions mariés sous contrat... Des arguments indiscutables que je ne discutais pas d'ailleurs...
    Les semaines passaient sur fond de logique mêlée de changements à venir quand un agent immobilier, avec lequel mon époux avait particulièrement sympathisé, lui indiqua un local - bail tous commerces - idéal pour créer une librairie dans un quartier très animé d'une ville beaucoup plus importante que celle dans laquelle nous vivions mais située à 100 km de notre lieu professionnel... De façon surprenante, Frédéric bondit sur cette proposition. Il était enthousiaste au point d'aller visiter cette affaire, décrite comme exceptionnelle, dès le lendemain matin ! Impossible dès lors de lui faire entendre le moindre petit inconvégnient quant à cette distance qui, c'était joué d'avance, l'obligerait à rester sur place une partie de la semaine. Notre amour, suffisamment fort selon lui, tiendrait le coup. Et puis, il y avait ce signe du destin incroyable : un logement en bon état, habitable sans gros travaux, tout au plus du " rafraîchissement " (ce terme revêtait déjà son importance funeste), se trouvait juste au-dessus du local. Détail supplémentaire non négligeable, assez grand pour nous accueillir avec notre fille quand nous irions le voir ! J'étais abasourdie, devinant que quelque chose dysfonctionnait, ne serait-ce que parce que Frédéric savait pertinemment que laisser ma propre librairie pour aller me balader régulièrement s'avérait quasiment infaisable... Je me sentais embarquée, impuissante, dans une histoire qui ne cadrait pas avec le plus infime bon sens. Pourtant, Frédéric mit son projet à exécution. Il avait finalement accepté de se déplacer lui-même et de venir nous rejoindre à la maison une nuit par semaine, ce qui l'avait obligé à employer une vendeuse très vite. Il l'appelait " ma perle rare ", malgré son jeune âge : 25 ans. Il en parlait beaucoup, de plus en plus, tout le temps et ça commençait à m'agacer. Toutefois, ma vie professionnelle écrasante m'empêchait de réfléchir. Le soir, je sombrais dans un sommeil quasi comateux. Ma fatigue physique et morale était telle que ma mère devait maintenant s'occuper de ma fille. Je dis bien " ma " fille, son père semblant gommer le fait qu'il était papa.
    Frédéric - je ne l'oubliais pas - était un gros travailleur et, finalement, un homme d'ambition. Ses résultats financiers professionnels étaient excellents. En parallèle, ses rares visites se diluaient davantage encore. Lors d'un déplacement éclair à la maison (il ne put rester dormir ce soit-là en raison d'un travail imprévu, me dit-il de façon lapidaire), il m'informa qu'il devrait dorénavant se rendre une fois par mois sur Paris : il désirait faire venir des auteurs pour des signatures sur place afin que sa librairie bénéficie régulièrement d'articles de presse. Lors de ses voyages parisiens, il emmènerait sa vendeuse qui était devenue - selon ses dires - son bras droit. Il allait du reste lui octroyer un statut de secrétaire et embaucher une vendeuse qui pourrait garder son commerce lors de " leurs " absences. Il avait pensé à moi, m'assura-t-il, pour ses déplacements professionnels, il aurait préféré que je l'accompagne mais l'ampleur de mon propre commerce en souffrirait... Il oubliait juste que je souffrais maintenant depuis pas mal de mois.
    Effectivement, je souffrais en silence, travaillant machinalement. J'entendais plus que je n'écoutais alentour. Ma fille entrant en sixième, je décidais de la mettre en pension... Du grand n'importe quoi ! Je n'allais pas bien, je le savais et prenais des extraits de Fleurs de Bach sur lesquelles j'avais lu le plus grand bien. Effet placebo ou pas, je tenais le coup malgré mes 18 heures de travail quotidiennes. Un dimanche après-midi, particulièrement épuisée, ma fille faisant ses devoirs dans sa chambre, je décidais de laisser tomber ma comptabilité pour aller m'allonger. Je commençais à m'assoupir quand le téléphone me fit sursauter. Une voix de femme, inconnue de moi, demanda à me parler. J'acceptai et m'entendis asséner par la personne au bout du fil qu'elle était la secrétaire de mon mari, sa maîtresse, enceinte de lui de six mois et qu'elle se demandait pourquoi je ne voulais pas divorcer malgré l'insistance de Frédéric à désirer le faire depuis longtemps !
    Je raccrochai le combiné comme je pus, la sonnerie retentit à nouveau, je ne répondis pas, l'insistance était telle que je débranchai... Automate j'étais devenue, automate je le resterais ! Quoi qu'il en soit, il ne fallait pas, pour l'instant, que ma fille fasse les frais d'une histoire peut-être inventée de toutes pièces par une hystérique. Pour autant, je ressentais - c'était un comble ! - que cet appel m'avait sortie de ma torpeur. De ma tort-peur... D'avoir peur d'identifier mes torts, une possibilité parmi d'autres.
    Pour moi, le déroulement normal après une telle révélation ne pouvait qu'engendrer la venue de mon époux légitime. Ce ne fut qu'un coup de fil. Il savait tout de la démarche de sa secrétaire, oui elle était enceinte de lui (quelle certitude !), oui il désirait divorcer, oui il l'épouserait contre vents et marées... Pas un mot de réconfort pour moi. Quant à notre fille, il l'avait véritablement zappée. En apparence, j'acceptais tout comme une vraie femme soumise. De toute façon, je n'avais plus suffisamment d'énergie pour lutter. De toute façon, il était trop tard. De toute façon, tel était mon destin, je me devais ainsi d'obtempérer.
    Nous avons donc divorcé et, malgré la tempête, je parvenais à bien diriger ma librairie. J'avais accepté l'inacceptable sur un plan financier, laissant plus que des plumes dans cette séparation mais, lectures spécialisées aidant, j'avais la conviction que mon lâcher-prise se révèlerait un jour salvateur. Et c'est ce qui se passa...
    Ma fille fut mise au courant de la naissance proche de son demi-frère. Elle venait d'avoir douze ans et la nouvelle ne l'étonna pas (à chacun ses réactions). Ses études n'en furent pas perturbées. Son père recommença d'ailleurs à s'intéresser davantage à elle. Sa belle-mère lui convenait... Et moi dans tout ça ?
    Il me fallut un sacré temps pour retirer l'enseignement de ce que je n'appellerais plus aujourd'hui une trahison. Quand j'ai rencontré mon futur mari, je venais d'hériter du commerce de mes parents. Il s'agissait d'une petite librairie qui végétait. Dans ma minuscule ville de province,  les habitants, me connaissant depuis ma plus tendre enfance, ont continué gentiment à venir faire leurs achats quand ils en avaient l'occasion. Toutes ces bonnes volontés se seraient révélées insuffisantes par la suite, le pouvoir d'achat des Français rétrécissant d'une part et, d'autre part, les grandes surfaces étant des concurrentes indéniables. L'arrivée de Frédéric a boosté mon modeste commerce de manière vertigineuse mais j'ai maladroitement choisi de l'épouser... sous contrat. Il n'était que mon employé, nié par moi-même. L'amour, ce n'est pas ça. Avec ses moyens, il m'a permis de comprendre, doté de sa librairie à lui, puis avec la naissance de son second enfant, non seulement ce qu'il m'avait apporté mais, essentiellement,  qu'il ne fallait jamais oublier ce que chacun de nos partenaires, affectifs ou sociaux, génère de positif pour soi. Il m'a inscrite dans la conscience de l'altérité positive et sortie du leurre dans lequel j'étais tombée : j'ai pu ainsi identifier que ma librairie, sans lui, sans mes clients, sans mon personnel, ne serait rien. Exister ne peut faire l'impasse de la réalité et de l'apport unique de l'alter ego.

     

     
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