La santé et la forme
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      Soigner
      les anorexies graves

      Soigner les anorexies graves
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      Selon Thierry Vincent*, l'anorexie mentale est une affection dont le risque de passage à la chronicité doit être une préoccupation essentielle du thérapeute. Certaines anorexies ne dureront que quelques semaines ou quelques mois, d'autres au contraire vont se prolonger pendant des années, voire des décennies, entraînant des troubles somatiques majeurs liés à un état de carence chronique. Il devient alors fondamental d'étudier tous les facteurs responsables d'une pérennisation de la maladie. Une anorexie grave peut être considérée comme grave en effet, non seulement du fait de l'importance de la maigreur ou de l'anorexie elle-même mais, également, en raison de l'importance d'un certain nombre de cercles vicieux qui maintiennent ou semblent maintenir la fixité des symptômes et leur immuabilité.

      Observation de Nathalie, anorexique
      Par Francis Maffre, psychanalyste, avec la collaboration d'Isabelle Desmoulins, psychologue

      Nathalie est assise dans le fauteuil face au mien. Il fait chaud. Son bermuda californien laisse voir des os recouverts de peau que, faute de mieux, on appelle des jambes. De la même manière, son maillot sans manches laisse à nu ses membres supérieurs, tout aussi décharnés. Il y a un air de défi dans son attitude, à la manière de certains handicapés qui exposent leurs blessures sur le trottoir. À ma gauche, Papa, l'air soucieux. Son regard ne quitte pas sa fille, comme si, devant un étranger moi – il prenait la mesure du spectacle qu'elle donne. A ma droite, Maman me regarde regarder sa fille. Le petit frère n'est pas venu : Il n'a pas voulu. On n'a pas insisté. N'est-ce pas mieux de le maintenir à l'écart de tout ça ? Tout ça ? Rien que ça ne serait-il pas plus approprié? Tant il semble y avoir peu de ça...

      Elle ne pleurait jamais
      Papa m'explique pourquoi ils sont là, ou plutôt m'explique qu'ils ne savent pas très bien pourquoi ils sont chez un psychanalyste qui reçoit des familles. Enfin, si, ils le savent : ils sont là parce qu'on leur a dit de venir. Qui ça on ? Commence alors le récit du parcours classique : l'alerte donnée par les services scolaires, la visite chez le pédiatre, l'hospitalisation avec son contrat, le traitement, les avis demandés aux uns et aux autres, les psychothérapies individuelles commencées et avortées dès la deuxième séance. L'angoisse flotte de tous côtés. Ce qu'ils ne me disent pas, comme retenus par une pudeur, ce sont les disputes autour des repas, les regards en coin qui jaugent la quantité dans l'assiette, les interminables moments où, avant de trouver le sommeil, ils ressassent leurs craintes, leurs doutes sur leur capacité à être parents, leur honte quand, dans la journée, ils ont croisé avec leur fille telle ou telle connaissance pas vue depuis longtemps et dont ils ont noté le regard stupéfait, puis apitoyé avant que ne s'engage une conversation embarrassée à laquelle tout le monde s'est empressé de mettre un terme. Par contre, ils tiennent à me dire que, jusqu'à ce que ce problème commence, tout allait bien. Normalement. Ils ont été vraiment étonnés quand la médecine scolaire les a alertés au sujet de l'amaigrissement de leur fille. Ils ne s'en étaient pas aperçus ? Non, il faut dire que Nathalie fait du sport. Elle est marathonienne, championne dans sa catégorie. Alors ils pensaient que, si depuis quelque temps elle mangeait bizarrement, c'était en relation avec la nécessité de suivre un régime adéquat avec cette activité. Elle a toujours été dure avec elle-même et avec les autres. Par exemple ? Petite, quand elle tombait de vélo, elle ne pleurait jamais. Parfois, il lui arrivait de pleurer de rage quand elle n'arrivait pas première au bout de l'allée. Mais jamais ils n'auraient pensé que... Pensé quoi ? Et bien, qu'elle ne fréquentait plus la cantine à midi, qu'elle se faisait vomir, qu'elle ingurgitait des litres d'eau. Que cette exigence irait jusque-là.

      Les images de famine lui sont insoutenables
      Pendant ce récit, Nathalie regarde ses pieds, se balance, bâille aux corneilles. Non, elle ne veut pas aller en psychothérapie. Elle n'a rien à dire. Les hospitalisations ? Tous des c... Peut-être avec sa famille. À condition qu'on ne considère pas que c'est elle qui a un problème. Comment pense-t-elle cette famille ? Ben, ce n'est pas Byzance. Ils ne comprennent rien, Enfin... son père est peut-être un peu moins nul que sa mère. Ils écoutent de la musique de vieux, ils ne lisent et ne s'intéressent qu'à des ouvrages barbants. Aurait-elle un de ces moments où elle se sent lâchée par eux ? Où elle est dégoûtée par ce qui se passe dans sa relation avec eux ? Oui, quand son père refuse de lui expliquer correctement les exercices de mathématiques. Il fait semblant de croire qu'elle a compris. Mais elle, elle sait bien que le lendemain elle ne saura pas répéter la démonstration si on la lui demande. Il semble ne pas vouloir qu'elle soit toujours la première... Est-ce que je pourrais arrêter de lui poser des questions ? Les autres n'ont qu'à parler un peu. Elle, elle n'aime pas parler, elle préfère écouter. Je comprends, ce n'est pas facile. Mais aujourd'hui on a juste fait un peu connaissance. Il faudra que l'on se revoie avant de décider si l'on pourra travailler ensemble. Et, avant qu'on se sépare, j'ai besoin de savoir quels sont ses projets pour l'avenir. Quelle profession aimerait-elle exercer ? Elle ne sait pas encore. Elle est seulement en classe de Première. Elle hésite entre préparer Math Sup et envisager une carrière d'ingénieur agronome. Pourquoi ingénieur agronome ? Pour pouvoir aller travailler dans les pays sous-développés, leur apprendre à cultiver correctement leur sol pour qu'ils puissent se nourrir convenablement. C'est une idée généreuse ! Mais, à long terme, ce n'est peut-être guère compatible avec une vie de famille. À moins qu'elle n'envisage pas d'avoir elle-même des enfants dont il faudra s'occuper ? Non, elle n'y pense pas. Elle pense plutôt à ceux qui sont déjà en vie sans l'avoir demandé et qui souffrent, qui crèvent de faim et qu'il faudrait sauver. Les larmes coulent, silencieusement. Maman tend un mouchoir. Elle m'explique que Nathalie ne supporte pas la vue de la misère à la télévision. Les images de guerre où l'on voit des enfants blessés, les famines lui sont insoutenables.

      Une difficulté à se servir de la vie
      L'apparence physique de Nathalie est déplorable. Elle a 16 ans, elle est plutôt grande pour son âge et dit peser, au moment de ce premier entretien, 42 kilos. Dans son aspect, rien ne donne envie d'entrer en contact, disons libidinal, sous quelque forme que ce soit avec elle. Pas de seins, pas de fesses, des cheveux tirés, un visage renfrogné. Cependant, m'informe la lettre du médecin de médecine interne où elle vient de passer deux mois, l'examen clinique somatique est normal et on ne note aucun trouble métabolique alarmant, sinon une aménorrhée persistante. Elle n'a jamais présenté de comportements ou énoncé des propos concernant un désir de se supprimer. Effectivement, durant les quatre ans qu'ont duré nos entretiens hebdomadaires, je n'ai jamais noté un quelconque élément qui m'ait laissé penser une prévalence temporaire ou installée du registre dépressif. Au contraire, lorsqu'elle fait le récit de sa semaine, je suis toujours étonné par l'énergie dépensée. L'activité physique à laquelle elle s'adonne dans sa pratique du marathon est stupéfiante. À la maison, son attitude envers sa famille est en général peu agréable. Elle se montre plutôt exigeante, revendicative et coléreuse. Dans ses rares moments de loisirs, elle cuisine – surtout des pâtisseries – à l'intention de son père. Elle n'y goûte pas elle-même. On n'attache peut-être pas suffisamment d'importance à cette opposition, fréquente dans ce contexte, entre le désir de cuisiner et le dégoût de la nourriture. Son manque d'appétit, ses difficultés alimentaires étaient largement compensés par tout ce qu'elle avalait intellectuellement. Le traitement qu'elle infligeait à ses acquisitions scolaires et, plus tard, universitaires suivait le modèle ingurgitation/régurgitation, principe que, sous une forme condensée, elle énonçait au cours de ce premier entretien rapporté plus haut, lorsqu'elle se plaignait de ne pas pouvoir rendre la substantifique moelle le lendemain au professeur. Sa crainte principale était qu'un temps trop long se passe entre le moment où elle apprenait ses cours et le moment où elle devait faire preuve de ses connaissances. Pour elle, le temps de la métabolisation, celui du faire sien, n'existait pas. En règle générale, il est très difficile de faire énoncer à une anorexique les sentiments qu'elle éprouve devant la nourriture. Les mots se cantonnent à une impression de dégoût, de pas envie. Ce dégoût serait semblable à celui que l'on peut éprouver quand on est obligé de manger lorsqu'on n'a pas faim, qu'on a l'estomac déjà plein. Hormis, pour certaines anorexiques, une nourriture sélective qui, elle, peut passer. Si on interroge Nathalie sur sa conduite, elle ne sait que répondre. Cela lui apparaît comme un acte mécanique, réflexe. Elle est en cela un bon exemple. Sa conduite alimentaire, la manière dont elle traite ses besoins primaires de nutrition pourraient laisser supposer qu'elle désire mourir, ou plutôt ne pas vivre. Bien qu'elle ne m'ait jamais donné l'impression de ne pas aimer la vie, j'ai toujours eu la sensation qu'elle ne savait pas se servir de la vie...

      Un plaisir caché qui fait énigme
      Face à ce tableau, deux hypothèses sont possibles quant à l'étiologie du symptôme : la première hypothèse consiste à admettre qu'un sens inconscient vient déterminer la conduite alimentaire pathologique. C'est l'hypothèse la plus couramment admise. Ou alors on opte pour une seconde voie qui consiste à envisager que cette conduite est hors sens pour le sujet et que ce qu'il dit de sa conduite au niveau du sens n'est que le produit de l'exigence de la psyché à mettre en sens ce qui lui advient. Cette seconde option est proche de la thèse de Piera Aulagnier (1975) quant aux prémices de l'appareil psychique. Autrement dit, l'anorexique compose avec un corps qui ne supporte pas le poids de la nourriture à l'intérieur de soi et qui doit mettre, a posteriori, du sens sur ce symptôme. Dans cette seconde perspective, on considère que l'anorexique ne mange pas car elle ne peut pas, alors que dans la première elle ne mange pas parce qu'elle ne le veut pas (à cause de la tension libidinale que cela créerait). Nathalie sait que sa manière de s'alimenter n'est pas satisfaisante. Elle ne peut pas faire autrement, sinon sous la contrainte. Elle sait que la nourriture est bonne et veut nourrir convenablement les Africains, ainsi que son père. Mais il me semble que l'interprétation qui consiste à dire qu'elle se conduit ainsi à l'égard de la nourriture selon une intentionnalité à l'égard des autres – de ses parents en l'occurrence – passe à côté du phénomène. Lui dire, sous une forme ou une autre, qu'elle n'apprécie pas le sein de sa mère (parce qu'elle serait en colère par exemple) n'est pas justifié, du moins dans un premier temps. Ce qui me paraît plus proche de sa réalité interne, c'est de comprendre, avec elle, qu'elle ne voit pas le plaisir que pourrait lui apporter le lait maternel, hormis celui de lui permettre de continuer de fonctionner. Je n'ai jamais entendu une anorexique dire par elle-même – ni dans l'écoute de son discours manifeste, ni dans celui du contenu fantasmatique de ses associations – qu'elle avait l'intention de punir quiconque par le biais de son comportement alimentaire, c'est même le contraire. J'aurais tendance à croire que l'attitude fréquemment rencontrée chez les anorexiques de se mettre aux commandes de la cuisine familiale correspond à l'idée qu'il existe un plaisir à se nourrir, plaisir qui leur est caché et leur fait énigme. Participer à ce plaisir en cuisinant pour les autres, même si le contenu de ce plaisir leur reste opaque, est une manière de ne pas se sentir exclues de la communauté humaine.
      L'anorexique ne prend pas son corps comme lieu de conflictualisation de ses désirs mais elle n'a, en elle-même, que les moyens de le considérer comme une machine fonctionnelle, non par désinvestissement mais par incapacité à investir. Ce qui manque dans l'organisation anorexique, c'est la possibilité de passer du registre du besoin au registre du plaisir. Autrement dit, l'anorexie est plus proche d'une pathologie psychosomatique que d'une pathologie relevant du registre de la psychose ou de la névrose. Dans cette perspective, le corps de l'anorexique n'est pas un théâtre où viendrait se représenter un conflit mais le signe d'une carence précoce dans l'équipement psychique.

       

      *Pour en savoir plus :
      « La jeune fille et la mort. Soigner les anorexies graves »,
      sous la direction du Docteur Thierry Vincent
      Éditions Érès Arcanes,
      collection hypothèses.

       

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