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La psycho
dans Signes & sens
Comprendre le look gothique
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Chaque époque a ses effets de mode. Baba cool, punk, skinhead… La jeunesse n’a jamais manqué d’exprimer son mal-être, de revendiquer son mécontentement ou son appartenance à un groupe à travers l’allure vestimentaire, le style musical, le goût littéraire, l’engagement politique. Le mouvement gothique n’échappe pas à la règle. Loin d’être de simples silhouettes macabres et inquiétantes, les Gothiques nous entraînent dans un univers insoupçonné de culture, de rites et de moeurs étranges mais pas si nouveaux que ça…
Le nom est emprunté, bien sûr, à l’art florissant du XIIème au XVème siècle. Il puise ses racines d’une part dans le romantisme noir de la littérature anglaise des XVIIIème et XIXème siècles, d’autre part dans l’expressionnisme allemand du tout début du XXème, tous deux caractérisés par la fascination pour l’horreur et les sombres mélodrames. C’est dans ce contexte singulier qu’est né l’esprit gothique, auréolé de tristesse mélancolique et d’idées noires, marqué par le deuil et les amours perdus, les tourments de l’âme et les humeurs macabres.
Comment reconnaît-on les Gothiques ?
On pourrait facilement les comparer à des membres de la famille « Adams », cette fameuse série qui a occupé nos écrans de télévision dans les années 70 ! L’aspect caricatural
peut prêter à sourire et pourtant, l’habit noir est de rigueur, le
teint blafard est renforcé par un maquillage sombre outrancier
et le corps est le dernier lieu de scarification, d’automutilation
et de sacrifices imposés à ces êtres aux allures de spectre. Les
influences médiévale et dandy se remarquent dans les tenues
raffinées exaltant la sensualité ou à l’évocation plus sexuelle
(chemise à col jabot, dentelle noire, transparence, couvrechef…)
dont des têtes de mort, des piercing et des clous viennent
contrecarrer l’image romantique qu’ils veulent mystifier.
Le modèle emblématique actuel auquel les Gothiques s’identifient
est le fameux Marylin Manson, personnage à l’identité
floue qui se plaît à jouer sur la confusion des genres, au message
musical ultra-violent à but dénonciateur et transgressif.
La métamorphose est omniprésente : de l’homme à l’androgyne,
du vivant au mort, de la lumière à l’obscurité. Attirance
paroxystique pour les chairs sanguinolentes, sacralisation de
la mort et érotisme tendance sado-masochiste et fétichiste, les
adeptes du macabre et des atmosphères d’outre-tombe affichent
un goût pour la magie, les rites conjuratoires, ainsi
qu’un net penchant pour les cauchemars. Directement influencés
par le cinéma expressionniste allemand, tendant à magnifier
l’horreur et à s’extraire du monde réel au profit d’une
abstraction totale, les disciples des ténèbres invitent à un imaginaire
de l’angoisse. À l’instar des êtres maléfiques qui peuplent
les souterrains sinueux et obscurs comme les vampires,
ils refusent la lumière, considérant que la beauté est au-delà
des apparences et se trouve même (surtout) en Thanatos. Le
fort esthétisme du monde démoniaque (têtes de mort, étoiles
sataniques, cercueil en guise de lit…) n’est là que pour montrer
au monde la résurgence de fantasmes archaïques. C’est
dans une forme de contestation extravagante que le Gothique
exprime sa quête identitaire, en prenant le contre-pied du système
actuel. Fidèles aux injonctions du romantisme noir, les
disciples de l’horreur pointent du doigt, avec violence et dérision,
le désenchantement du monde causé par la civilisation
capitaliste industrielle.
Un complexe de toute-puissance ?
Le corbeau-animal, quasi totémisé, symbolise l’isolement de ces êtres hors normes qui se considèrent
supérieurs au commun des mortels.
On retrouve la condition des poètes
maudits (la poésie de Baudelaire)
ou les écrits d’Oscar Wilde ou d’Edgar
Poe. Autre emblème significatif : la
gargouille, monstre protecteur des
démons, exorcise les peurs de cette
population singulière et les prémunit
de leurs propres démons intérieurs.
Comme une certaine résonnance au
phénomène de la pensée magique du
petit enfant ou le gri-gri du superstitieux
qui, par un rite conjuratoire, se
protège du mal ou de ses pulsions obscures…
C’est ainsi que Marine se présente,
largement sur la défensive : La
société d’aujourd’hui ne fait rien pour
nous. Elle se ligue même contre nous.
Il n’y a qu’à voir ce qui s’est passé
dans les banlieues il y a quelques mois…
La société, c’est le diable. Le gouvernement
ne se rend même pas compte qu’il est
lui-même endoctriné par des courants de
pensée qui viennent d’ailleurs… Après
avoir demandé à la jeune-femme de préciser
ce qu’elle entend par-là, elle poursuit :
Les politiques sont enchaînés par des siècles
de persécution qui modifient complètement
leur donne. Les Gothiques, et leurs
systèmes de valeurs soutenues par des
symboles forts millénaires, sont là comme
autant de repères à disposition des
humains qui se fourvoient. Si nous portons
sur nous le masque de la mort, c’est pour
que le vulgum pecus prenne conscience
qu’abusé, il survit. Les gens sont des
morts-vivants, plus morts que vivants… La
mort rôde partout, à leur insu… Les députés,
les élus, tout aussi embrigadés, en profitent
parce que les citoyens n’arrivent
même plus à réfléchir. Il y a de la persécution
ambiante mais bien cachée… Nous, les Gothiques,
nous avons le devoir de faire comprendre (passivement)
que le malin grossit toujours davantage,
nourri par des moutons de Panurge, eux-mêmes
esclaves d’un système démoniaque… Satan s’infiltre
partout. Même chez les meilleurs. La planète
est polluée par des énergies mauvaises entretenues maintenant par des hommes soumis et peureux…
Les Gothiques participent intelligemment à
leur bonne mutation… Nos minorités implicitent –
à qui veut bien le saisir – que les majorités peuvent
aussi trouver leur maître. Nous sommes les
fondations solides d’un prochain grand bouleversement.
Si la Terre veut continuer de tourner, les
humains doivent cesser d’être le porte-paroles
pathétique de Chefs d’États complètement désarticulés,
au look pourtant très aseptisé. Notre apparence
se justifie aussi pour cette raison précise…
En fait, l’analyse du processus gothique peut être
tout autre : le besoin intense de flirter avec la mort
et de côtoyer la noirceur, par une attitude quasi
ordalique, dissimule une tentative d’assumer la
relation ambiguë à la mort et d’en prendre pleinement
conscience afin de l’accepter. La mise en
oeuvre théâtrale du désespoir et du pessimisme
reste alors une tentative de contenir ce qu’il y a de
plus intime et douloureux, d’apaiser angoisses et
blessures de l’âme. Cependant, cette sorte de philosophie « pratique » ne peut, malgré la pseudo
assurance gothique, remplacer un travail sérieux
d’introspection permanent. D’autant qu’il ne s’agit
pas d’oublier que ce sont les artistes de la
Renaissance, et plus exactement Raphaël trouvant
l’art du Moyen Âge démodé, qui l’appelèrent «
gothique », en hommage aux peuplades germaniques – les Goths – signifiant « barbare »…
Bénédicte Antonin
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