Les « mères araignées » :
trop c’est comme pas assez !

Il existe autant de styles de parents que de types de personnalités. Ainsi, on repère assez rapidement ceux qui négligent et ceux qui en font trop. Entre les deux, une pléiade de styles éducatifs où l’histoire de chacun a une influence plus ou moins favorable sur le développement de l’enfant.

Les parents sont eux-mêmes des enfants qui ont grandi avec leur personnalité. Eux aussi sont le fruit de leur psychogénéalogie, plus compliquée pour certains que pour d’autres. Les parents compensent ou répètent leur histoire, souvent sans s’en rendre compte. Dans cette perspective, on observe de génération en génération la transmission de modèles parentaux. On peut donner en exemple les « mères araignées » ou sur-protectrices, celles qui vont jusqu’à régir le monde interne de leur progéniture, parce que le père n’a pas pu ou su prendre sa place dans cette relation trop proche entre la mère et l’enfant. L’inverse est également vrai. De l’autorité à la domination du père, il n’y a qu’un pas, celui qui fait des ravages. On connaît les conséquences négatives, particulièrement sur les filles, d’avoir été éduquées par un père misogyne qui méprise sa femme et l’invalide aux yeux de l’enfant. Ces enfants sont soumises, immatures et souvent déprimées, ayant de la difficulté à trouver leur place à l’école. Quant aux garçons élevés dans un tel contexte, ils développent du mépris pour la femme : pour la mère d’abord, qui ne sait pas se faire respecter en tant que « porteuse de repères valables » et en tant que responsable de l’éducation de son fils, mais aussi pour l’enseignante. Cela se produit notamment quand l’un des deux parents souffre de problèmes mentaux et que, pour cette raison, l’autre doit prendre en main l’éducation des enfants, invalidant – parfois par nécessité – la compétence parentale du premier.

Styles éducatifs et compétence parentale

Les nouvelles personnalités

Les enfants qui, aujourd’hui, sont en difficulté à l’école présentent plus que jamais des troubles de comportement, d’attention et d’adaptation. Généralement, ils tolèrent mal la frustration, tout comme les délais qu’on leur impose dans la satisfaction de leurs désirs. Pour eux, seul compte le moment présent. Ils ont du mal à anticiper et à se projeter dans l’avenir. Sauf, parfois, avec une pensée un peu magique qui leur permet de nier et de garder espoir. Bien souvent, le principe de plaisir prime dans leur vie, au détriment du principe de réalité, des règles sociales et familiales et, dirions-nous également, orthographiques. Les problèmes de comportement et d’adaptation qui s’ensuivent à l’école se présentent sous la forme de défiance ou d’agressivité, envers soi comme envers les autres. On observe aussi fréquemment des mécanismes obsessionnels mis en place pour contrer l’anxiété. Ces comportements ritualisés emprisonnent l’enfant dans la répétition compulsive de gestes qui lui donnent le sentiment d’avoir un certain contrôle sur son environnement, mais limitent ses capacités d’attention. Pour leur part, certains enfants développent des mécanismes d’opposition passive pour se soustraire aux exigences de l’environnement, tout en évitant de s’affirmer et de s’opposer ouvertement. L’enfant qui s’oppose ainsi travaille plus lentement, demeure dépendant des adultes face à ses tâches, irritant ainsi ceux qui tentent de lui venir en aide. Sa colère, qui s’exprime sous forme de résistance passive, finit par se retourner contre lui. En effet, cette mise en jeu de multiples conduites d’évitement, face aux responsabilités et aux conséquences qu’il devrait assumer, à l’école comme à la maison, attise la colère réelle des parents et des enseignants. Ceux-ci voient dans ces attitudes une fin de non-recevoir, alors qu’ils s’évertuent à tenter de l’aider. On le dit « passif-agressif » parce que ses mécanismes oppositionnels et son agressivité s’expriment par de la résistance plutôt que par des troubles de comportements proprement dits. D’autres problèmes surviennent aussi plus fréquemment et sont davantage mis en lumière depuis qu’on observe ces changements dans les structures familiales et dans les nouveaux rapports parents enfants. En voici quelques-uns :
- agitation et problèmes d’attention (parfois confondus avec des problèmes de motivation ou de dépression)
- personnalités anxieuses (manque de sécurité intérieure)
- inhibition
- narcissisme (s’intéresser à l’autre pour son utilité propre)
- dévalorisation (peu de sentiment de compétence)
- dépendance à l’adulte ou hyperindépendance
- peu d’intériorisation et d’introspection (faute parfois d’investissement du langage qui ne peut alors agir comme outil d’autorégulation)
- excès de peur et de culpabilité
- absence de peur et de culpabilité (d’où la difficulté à intérioriser les interdits, à contrôler les comportements et l’impulsivité, et d’où l’intolérance à la frustration et les problèmes dans les relations sociales)
- pauvreté de la vie imaginaire et de la créativité
- exacerbation du monde imaginaire devenu « refuge » pour se soustraire à trop de tensions dans l’entourage immédiat ou, au contraire, à un trop grand vide relationnel
- dysharmonies dans le développement, certaines sphères demeurant immatures alors que les autres évoluent normalement
- immaturité et grande dépendance à l’environnement
- « petits adultes » hyperintellectualisés mais malhabiles physiquement et socialement
- recherche de stimulations intenses (au point que le quotidien « ordinaire » est désinvesti)…
Ces personnalités d’enfants sont légion dans les services de pédopsychiatrie. Mais il y a des signes précurseurs qui, s’ils étaient reconnus à temps, permettraient d’éviter que la situation ne se complique au fil des ans. Déjà à la maison, les parents peuvent faire beaucoup pour sécuriser les enfants et les accompagner, en leur donnant des repères stables. La discipline, vécue dans le respect de chacun, est reconnue dans tous les milieux d’éducation comme valeur organisatrice de repères intérieurs et sociaux des enfants, repères qui les aident à s’adapter au monde qui les attend.

Marie-Claude Béliveau*

*Marie-Claude Béliveau, orthopédagogue et psychoéducatrice, est l’auteur de « J’ai mal à l’école », paru aux Éditions de l’Hôpital Sainte-Justine.