L'avis du psy de Signes & sens

Un partenariat "Psychanalyse magazine" et "Signes & sens"

Vous traversez une difficulté, vous avez du mal à résoudre un problème, un conflit, à trouver une solution adaptée à une crise affective ou sociale, cet espace d’écriture est le vôtre. Quel que soit votre âge.

	Chantal Calatayud, psychanalyste, didacticienne analytique, auteur, répond à votre courrier…

« Mon fils est autiste Asperger »

	©iStock

Jules, notre garçonnet de 7 ans, présente un syndrome d’Asperger. Mon mari et moi sommes épuisés par ses réactions autistiques : il n’accepte pas la contradiction ni le changement et s’enferme dans des rituels immuables. J’ai arrêté mon travail d’infirmière pour me consacrer à notre fils mais, même s’il fait des progrès objectifs, je sens que je décline. Si je n’ai pas pour habitude de baisser les bras, j’ai l’impression de sombrer et d’être au bord du gouffre. Je ne parle pas de mon état à mon mari qui compte sur moi : il est prothésiste dentaire et ses journées sont longues. Aujourd’hui, ce que je gère le plus mal, ce sont les crises de colère de Jules quand les évènements de sa vie ne se déroulent pas comme il l’avait prévu. Je suis en plus extrêmement inquiète pour son avenir. Il va grandir, devenir adolescent, adulte. Qu’en sera-t-il de sa violence ? Je crois que je deviens folle par moments et j’ai parfois plus d’angoisses dans une journée que Jules. J’ai vraiment besoin d’aide, bien qu’il ne se débrouille pas si mal que ça à l’école…

Séverine P., 30000 Nîmes

La réponse du psychanalyste

Il est effectivement tout à fait raisonnable que vous vous fassiez aider psychologiquement si vous en ressentez le besoin car, pendant plusieurs années, Jules n’a pas eu d’autre possibilité que de s’étayer complètement sur vous. Ses demandes récurrentes quotidiennes vous prennent beaucoup d’énergie et vos réservoirs libidinaux s’appauvrissent… Le syndrome d’Asperger est déroutant à plus d’un titre. Cette forme de psychose infantile autistique est décrite comme mineure par le psychiatre autrichien Hans Asperger dans la mesure où il n’y a pas véritablement de troubles du langage chez la personne atteinte. Ceci dit, certains courants psychiatriques et psychanalytiques refusent de l’associer à un autisme. Certes, le malade présente une grande difficulté à la socialisation mais la comparaison peut s’arrêter là, même si le syndrome d’Asperger entraîne le psychisme à compulser. Ainsi donc les activités peuvent-elles se montrer particulièrement répétitives et la grande résistance à tout changement (ce que vous décrivez très bien) engendre souvent une agressivité qui peut être retournée contre le sujet souffrant. Si le diagnostic du syndrome d’Asperger peut entraîner un soulagement une fois posé, il véhicule aussi un inconvénient très explicite dans votre courrier, livrant l’explication partielle de votre état. Il est toujours rassurant pour un parent de pouvoir mettre des mots sur le comportement anormal de son enfant car la prise en charge médicale semble plus évidente. Le médecin, le psychologue, l’enseignant – dans le cas du syndrome d’Asperger – travaillent de façon spécifique et canalisée. Toutefois, l’association du terme autiste, dans ce cas, effraie les géniteurs, ce qui est compréhensible. D’un autre côté, votre enfant parle, ce qui vous fait nourrir des espoirs qui peuvent, malheureusement, se transformer en désespoirs lorsqu’il vous donne l’impression de stagner ou de régresser. Vous vous battez depuis des années pour que Jules avance mais avec la perspective d’une inconnue que vous précisez clairement : que va-t-il se passer à l’adolescence ? Ce questionnement, tout aussi responsable soit-il, vous mine. Accueillez Jules en fonction de ses besoins du moment. N’anticipez pas. Prenez l’exemple d’une maman qui met au monde un bébé sans problème, ni psychologique, ni physique. Elle ne se demande pas si, un jour, son enfant pourrait être paralysé à la suite d’un accident de la circulation ou développer un cancer qui lui serait fatal ! Pensez-vous qu’elle imagine, dès la Maternité, que son fils ou sa fille connaîtra – peut-être – des troubles d’apprentissage de la lecture ? Croyez-vous qu’elle se martyrise en « voyant » déjà son enfant devenu adulte derrière les barreaux d’une hypothétique prison ou assassiné par un fou furieux ? L’envisage-telle comme futur toxicomane? Certainement pas et heureusement… Une maman espère le meilleur pour son « petit » et même quand tout va mal, elle se refuse à croire en une fatalité funeste. Un jour où était demandé à Françoise Dolto s’il fallait dire à un enfant qu’il allait mourir, cette grande dame de la psychanalyse répondit vertement que sur Terre, qui peut savoir quand quelqu’un va décéder ? Autrement dit, qui peut savoir comment évoluera Jules ? Personne, assurément personne… Je me souviens d’une maman qui parlait de ses jumelles de 17 ans en ces termes : une était adorable et brillante dans son parcours scolaire et l’autre tout à l’inverse, c’est-à-dire insupportable, en rébellion constante et mauvaise élève. L’une est devenue pédiatre et… alcoolique, l’autre est devenue coiffeuse et… équilibrée. Cette mère de famille, en psychanalyse, se flagellait en permanence, considérant que si elle s’était montrée plus juste et plus patiente envers sa petite insoumise, elle n’aurait pas eu comme punition une fille certes pédiatre mais alcoolo-dépendante qui finit par perdre toute sa clientèle… Revenons à vous : vous avez arrêté votre métier d’infirmière pour des raisons évidentes quand Jules est venu au monde avec un handicap qui nécessitait votre présence quasi permanente. Mais, aujourd’hui, votre « garçonnet » (vous le dites vous-même) a 7 ans. Malgré son syndrome d’Asperger, il faut défusionner. Ne le maintenez pas dans un état de tout petit enfant, voire de bébé. Mettez-le le plus possible en contact avec son père dont il a grand besoin. Votre mari travaille beaucoup ? Ses journées sont longues ? Il compte sur vous ? Je pense surtout que vous permettez ainsi au père de votre enfant de fuir la réalité : ce papa ne « voit » pas son garçon tel qu’il est. Autant dire qu’inconsciemment, il ne le reconnaît pas. Avez-vous pensé que Jules, en quelque sorte, est privé de son père ? Votre enfant n’accepte pas le changement, précisez-vous. Mais son papa est là aussi pour lui faire découvrir le monde extérieur, différent de celui de l’environnement intérieur de la mère. Si vous œuvrez dans ce sens, vous constaterez que Jules aura moins de rituels. Je comprends tout à fait que vous redoutiez que votre enfant grandisse. Grand nombre de parents qui ont un enfant porteur d’une déficience ressentent ce désarroi. Toutefois, aucun être humain ne possède les moyens d’arrêter le temps. Admettez réellement que votre enfant a 7 ans. Il est scolarisé et aussi bien entouré à l’école qu’à la maison. Et si vous repreniez votre travail ?