|
Le développement personnel
dans Signes & sens
Se méfier de soi
pour sortir du conflit
|
Le coaching peut-il amener un cadre en poste à licencier pour faute quand il n'y a pas faute ? Tel était l'objectif d'accompagnement formulé par la direction des ressources humaines dans le cadre d'un coaching individuel en entreprise. Le manager dont il était question, toujours en place, donnait satisfaction au sein de la filiale mais il tardait manifestement à faire valoir les directives de licenciement imposées par la direction internationale américaine. La situation devenait de plus en plus tendue et conflictuelle. Il s'agissait donc de mettre en lumière les contradictions intrapsychiques de ce manager, pour en comprendre l'origine et la nature, ainsi que la place des émotions et leur rôle dans l'émergence de ce conflit.
De la naissance jusqu'à la mort, l'Homme est en contact avec le réel au travers de filtres que sont notamment sa conscience, ses organes des sens, son mental, sa mémoire. Le réel perçu est limité par la présence et l'efficience de ces filtres. Aussi vaste que soit notre compréhension intellectuelle du monde, elle ne pourra jamais remplacer la valeur de l'expérience, intérieure et extérieure, et les prises de conscience qui en résultent, seules capables d'accroître notre perception de la réalité. Aussi chacun perçoit-il une réalité différente qui n'est pas la réalité dans sa totalité. Chaque étape de la conscience détermine une relation spécifique à soi et aux autres.
Trois étapes d’évolution de la conscience
Au fur et à mesure de la construction du champ de conscience déterminé, dès le plus jeune âge, par un mécanisme de fonctionnement où interagissent l'attention (la conscience), l'expérience elle-même, les interprétations et une façon d'être et de faire, le sujet est amené à ressentir l'inconnu, le différent, le changement, comme un danger potentiel, une atteinte à son équilibre, une remise en cause des fondements même du monde qu'il a cru percevoir et de son identité. La différence vécue par l'entourage comme inconnu, étrange donc phobique, a non seulement été écartée par celui-ci mais aussi par le sujet lui-même pour assurer son acceptation et sa sécurité au sein du groupe. La tendance viscérale est ainsi à se chercher et à se fuir en même temps. À cette étape “ 1 ” de la conscience, l'interprétation du monde ou de soi-même n'est pas remise en cause. Bien au contraire, face au changement, le sujet dépense de l'énergie pour la consolider. Dans une deuxième étape d'évolution de la conscience, le sujet sachant, intellectuellement, qu'il est aveugle à une partie de la réalité s'ouvre au questionnement. Se donner la possibilité d'expérimenter de nouvelles façons d'être et de faire, en dehors des estimations ou jugements habituels, débouche de la sorte sur de nouvelles expériences. Ainsi l'importance d'être vigilant pour rester ouvert à la différence, à l'inconnu et affronter ses peurs est-elle comprise. Enfin, dans une troisième étape d'évolution de la conscience, savoir que l'on sait et l'avoir expérimenté relève de l'expérience unique. Le rapport à soi s'est enrichi d'un observateur intérieur, véritable guide conscient d'évolution. Connecté à l'essence, cet état intérieur confère équilibre et sérénité.
La peur : verrou ou clef !
Ainsi, le manager, ici en coaching individuel, vivait-il une contradiction intérieure : se respecter au travers d'une certaine éthique humaine et perdre son poste ou ne pas se respecter et conserver son travail. De fait, honte de lui-même et peurs à affronter s'opposaient-elles. Il effectuait, par voie de conséquence, son travail, tout en signalant son désaccord par une lenteur dans la mise à exécution des directives. Ne pouvant prendre une décision claire pour lui-même, compte tenu de l'émotionnel en jeu, il projetait sa propre incapacité sur l'entreprise, alimentant ainsi un conflit latent avec la direction internationale ; de la sorte, il évitait d'imploser, le ciment de ce conflit étant la peur. La peur, à la fois verrou et clef d'accès au développement de soi, lorsqu'elle est subie, ferme la porte à l'évolution ; affrontée et dépassée, elle ouvre un nouveau champ de possibles.
Un semblant d’équilibre
Pour progresser, face à lui, il était nécessaire que ce manager devienne conscient de sa projection afin de percevoir différemment son interlocuteur et trouver par lui-même une façon juste et appropriée d'agir en respectant les deux. Les émotions, sensations physiques plus ou moins extériorisées, apparaissent lors de la confrontation de nos perceptions sensorielles avec la conscience que nous en avons. La peur délimiterait une frontière virtuelle à ne pas dépasser pour se sentir en sécurité. Cette peur, décrite notamment par Wilhem Reich sous le nom de “ peste émotionnelle ”, est à la base de la construction de la cuirasse caractérielle névrotique. Elle gouverne les comportements et fige l'individu dans des automatismes de fuite et de défense lorsqu'il y est confronté. Pour l'évacuer, la projection à l'extérieur de soi fait office de soupape. Projetée sur un bouc émissaire, cette peur se transforme généralement en colère, masque d'une incapacité, de frustration, de honte et maintient un semblant d'équilibre de la personnalité. Pour ce manager, la capacité de discernement était anéantie. Il ne voyait plus l'entreprise mais la projection de sa peur et les conséquences engendrées par cette dernière. L'ensemble de ses comportements en était déterminé ; diabolisant la direction internationale (fuite), il utilisait son énergie à se défendre contre elle (résistance à agir, critiques...). Sa peur était ainsi facteur de régression.
Un coaching réussi
Donner un sens, mettre des mots sur la réalité de ce qui est en train de se passer, mettre à plat la situation pour en avoir une vision la plus élargie possible, mettre le doigt sur les contradictions, ont été les étapes abordées lors du coaching en tenant compte des deux points de vue, celui de l'entreprise comme celui du manager. L'intensité de la projection sur l'autre diminue lorsque le sujet est confronté à sa part de responsabilité sans être jugé ; une révision possible de la situation s'ouvre alors. A été ainsi analysée la préoccupation légitime de rentabilité de l'entreprise mais aussi la non prise en compte de l'humain par celle-ci et les conséquences de cette politique, la peur de la direction internationale de ne pas être rentable, donc de disparaître et les conséquences de cette peur à l'effet inverse de celui recherché à terme sur la rentabilité. Le manager a pu effectuer une action alliant son sens de l'éthique et l'objectif de rentabilité de l'entreprise, en négociant auprès de sa direction internationale. Le conflit est l'expression violente et persistante d'un désaccord, sous une forme physique et/ou psychologique, qui résulte de l'apparition et de la non résolution d'une opposition de points de vue entre deux parties en présence, aucune des parties ne voulant changer de position. Le manager, comme l'entreprise, avaient la même problématique de base : gérer une peur. Chacun s'en préservait sans considération aucune pour l'autre, confondu par transferts interposés. En affrontant cette peur d'un côté de la relation, nous sommes parvenus à résoudre ce conflit. Le travail intérieur mené par ce manager lui a permis de dissoudre projection et colère et de voir la réalité de l'autre. Les attentes de rentabilité de la direction prises en considération, la peur de celle-ci a diminué, la faisant lâcher prise à son tour pour reconsidérer son point de vue. La résolution d'un conflit interne a donc permis de résoudre un conflit externe, principe qui s'applique à tous les conflits. Certes, lorsque les relations ont été fortement dégradées par des émotions, telle l'agressivité, voire des comportements de violence, il n'y a parfois pas réinitialisation du dialogue. Mais, prendre conscience de sa part de responsabilité permet dans tous les cas une approche plus sereine du conflit et donc une meilleure gestion. Avoir géré un conflit élargit la conscience de soi. C'est aussi une source d'enseignement à mettre en pratique au quotidien : se méfier de soi et non de l'autre, affronter ses propres conflits pour éviter d'en créer, chercher l'intention positive de l'autre, quel que soit son comportement. Partir des contradictions intérieures de l'Homme, passer par la naissance des émotions, amène à comprendre les germes du conflit pour prendre conscience de soi, des autres et du monde. Seule cette évolution intérieure permet de rompre les conséquences en cascade de l'aveuglement.
Docteur Christiane Jean-Joseph
|
