Isabelle Huppert
Un face-à-face authentique

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Dans le regard des autres, Huppert, l’actrice, est une énigme, presque inquiétante de justesse. Elle, solide malgré son apparence fragile, préfère se voir en habile dentellière nouant les fils de soie des émotions. “ Je suis quelqu’un qui sent, plutôt que quelqu’un qui sait ”, aime-t-elle répéter à ceux qui la cantonnent à un cinéma élitiste et cérébral. Ainsi, avant d’explorer le monde souterrain de son inconscient d’actrice, il lui aura fallu faire une place à la femme et à la mère de trois enfants qu’elle est devenue. Pas étonnant aujourd’hui que ce soient justement ces rôles intimement ancrés dans le “ continent noir ” qui tintent à son oreille, qu’elle a musicale. Souplesse de l’archet pour des sonorités étranges, Isabelle Huppert a souvent prêté son corps et sa voix à des femmes ou à des mères monstrueuses, perdues entre désir et refoulement. Après Médée au théâtre, elle revient sur les écrans dans “ La Pianiste ” de Michael Haneke, un grand rôle qui lui a valu le Prix d’Interprétation Féminine à Cannes. Encore une fois avec Erika, cette pianiste viennoise rivée à sa “ mère-version ”, elle dessine les contours de secrets enfouis, d’un temps perdu noyé dans la brume. Comme si c’était définitivement là, dans ce clair-obscur, qu’Isabelle Huppert avait trouvé sa place d’actrice ?

Psychanalyse Magazine : Erika, “ la pianiste ”, est sans doute le personnage le plus “ symptomatique ” que vous ayez interprété jusqu’ici. Refusant le plaisir, vivant dans la honte et la castration, Elfriede Jelinek, l’auteur du roman, la décrit comme une femme phallique. Un vrai cas analytique ! Est-ce également votre regard ?
Isabelle Huppert : En effet, il y a du féminin et du masculin chez Erika. En tout cas, j’ai tout de suite perçu l’aspect psychanalytique du scénario. Le film parle de contrôle, de perte de contrôle, de sexualité et de violence mais en nous ramenant toujours à l’origine : l’angoisse de l’abandon, la peur d’aimer et d’être aimée. Je ne vois pas, en Erika, un cas de perversion ou de sadomasochisme. Ceux qui la voient malsaine ou malade me semblent refuser le miroir insupportable que nous renvoie Haneke sur cet être figé dans un conflit primitif, ce bébé finalement qui subsiste toujours en nous. J’aime avancer dans le flou des émotions mêlées. Et en général, je ne cherche pas à me “ documenter ” en lisant des études de cas.

P. M. : Est-ce toujours votre démarche pour accueillir un rôle : le chercher au plus profond de votre psychisme ?
I. H. : Un rôle, c’est un liquide qui s’infiltre en vous, qui vous pénètre, qui vous irrigue. C’est une expérience forcément charnelle, un peu comme quand on est enceinte. Après l’attente vient “ l’expulsion ” où l’on s’aperçoit qu’on a mis au monde une chose très intime effectivement. C’est une découverte comparable au moment où l’on voit son bébé pour la première fois. Erika s’est engouffrée en moi sans aucune résistance, sans aucun verrou à faire sauter. Elle m’était familière, même si elle m’était aussi étrangère.

P. M. : Cette apparente absence de distance n’est-elle pas risquée pour une actrice ?
I. H. : Il y a, bien entendu, une saine distance entre elle et moi. Simplement, chaque femme peut comprendre Erika. Cette fusion qu’elle vit avec sa mère fait partie de notre expérience intime mais, heureusement, la plupart d’entre nous s’en sortent, font des enfants, vivent ! Erika est celle que j’aurais pu être et que je ne suis pas devenue. Elle est derrière moi. Je suis en totale adhésion avec elle mais je n’en suis pas là ! Si je n’avais pas eu d’enfants, je pense qu’elle aurait été trop proche de moi pour pouvoir la jouer dans le confort et le plaisir. Le cinéma permet d’explorer les chemins de traverse des facéties et du travestissement, comme ceux de la “ vérité ” qui sont à la fois au plus près de moi et en même temps au plus loin.

P. M. : Avec ce personnage, vous avez en commun la passion de la musique. Votre oreille musicale vous a-t-elle ouvert une porte sur l’univers d’Erika ?
I. H. : J’aurais pu la jouer sans me mettre au piano mais c’est en travaillant le concerto de Bach et le trio de Schubert pour le film, en observant ma concentration extrême, que j’ai pu ressentir son sublime enfermement, sa diabolique quête de perfection et de pureté, son refus absolu de tout compromis. La musique vient prendre une place presque phallique dans son univers où elle se fond dans la rigueur de Schubert et dans la mathématique de Bach pour échapper au sentimentalisme de Brahms. “  Je ne laisserai jamais mes sentiments l’emporter sur mon intelligence ”, voilà ce qu’elle oppose à toute émotion qui surgit.

P. M. : Une vierge consacrée à Bach en quelque sorte…
I. H. : Oui. Bach lui sert de refuge face au chaos des sentiments qu’elle finira malgré tout par connaître et qui la fera basculer. Elle a une telle exigence de perfection et de contrôle qu’elle ne laisse aucune place à la vie et à son possible désordre. J’imagine aussi d’ailleurs cette persistance de l’attachement à l’enfance chez ceux qui choisissent la vie religieuse. Rester un enfant, c’est ne pas en passer par la souillure, y compris par la souillure du sexe.

P. M. : Vous évoquez souvent le plaisir du jeu. Depuis quelques années, vous semblez le trouver dans la peau de personnages troubles, toujours dans l’entre-deux… ?
I. H. : Je l’ai toujours trouvé partout, y compris en effet chez les personnages les plus troubles. Derrière la violence, se cache toujours une essentielle fragilité : la violence comme le masque inséparable des fragilités, des souffrances et donc finalement de la vie. C’est cela qui fait écho en moi. Je n’aime pas le regard monolithique sur les gens, ce qui ne veut pas dire pour autant que je sois dans une logique d’absolution des “ monstres ”… J’espère juste donner à voir, de manière presque clinique, à quel point la frontière entre le bien et le mal reste toujours très floue.

P. M. : Comme est très floue ici la différence des sexes…
I. H. : Le film explore la sexualité d’une femme qui refuse d’en perdre le contrôle et qui craint d’être considérée comme un “ objet sexuel ”. Pour elle, le regard de l’homme (même le plus amoureux) est prédateur et menace son intégrité. Elle se réfugie dans une position de voyeuse en fréquentant les peep-show. Ce refus du féminin, et de ce qu’elle pressent comme une quelconque soumission, en fait donc une femme-homme. Mais j’ai souvent joué des mères-enfants, des androgynes, des femmes-enfants etc….

P. M. : On vous sent de plus en plus captivée par les questions qui surgissent autour de la féminité et de la maternité. Percevez-vous ce fil invisible entre vos rôles ?
I. H. : Oui, il y a très souvent la problématique de la maternité, de la filiation, du lien mère-fille et aussi de l’androgynie. C’est perceptible dans Orlando de Virginia Woolf (mis en scène par Bob Wilson), mais aussi dans des personnages où l’on s’y attend moins. Flaubert, par exemple, avait imaginé Madame Bovary fréquentant les bas-fonds de Rouen déguisée en homme ! Comme quoi la féminité qui peine à se définir, indicible, violente, fragile, existe chez tous les personnages romanesques. J’ai très vite ressenti que je me définissais en dehors d’une féminité repérable, faite de codes spéciaux et vestimentaires. Au cinéma, je l’ai toujours vécue comme plaquée, exagérée sur moi, beaucoup trop sophistiquée. Dans la vie, je ne me sens pas non plus du côté d’une ultra féminité revendiquée qui n’est, pour moi, qu’un déguisement viril de plus. Ni objet sexuel sur-représenté, ni chevalière déguisée en homme, ni amazone dominatrice. C’est exactement au milieu que je me situe et que je situe, de facto, les femmes que j’interprète.

P. M. : En tant que spectateur, on est toujours fasciné par votre capacité à “ habiter ” les silences : votre visage émet l’indicible des émotions et des pulsions. Cette interprétation “ charnelle ” vous surprend-elle encore ?
I. H. : Sur ce point, je me fais confiance. Je sais que j’ai ça en moi comme une soprano fait ses gammes. Par contre, je suis heureuse quand un metteur en scène parvient à me faire exprimer quelque chose de sauvage ou d’animal car cela m’est plus habituel. Ici, Michael Haneke parvient à montrer à quel point, derrière l’apparence rigide et corsetée d’Erika, ce corps ne parle que d’érotisme. Tout est promesse, le moindre mouvement de sourcil, la moindre crispation de la bouche, émet du désir et de la peur. De même, sa sexualité est bloquée dans une sphère de parfums et d’odeurs. Faire passer ces émotions m’apparaît essentiel car elles nous ramènent à nos propres souvenirs sensoriels. On sait bien, par exemple, quand on a eu des bébés, à quel point leur odeur nous semble extraordinaire. C’est d’ailleurs un souvenir qui perdure longtemps après la naissance, comme une nostalgie du tout complètement indescriptible.

P. M. : Dans votre parcours, quelle place a tenu votre expérience avec l’analyse ?
I. H. : C’était un moment où je sentais la vie s’engouffrer en moi de façon totalement désordonnée. J’étais débordée. Il a fallu que j’organise ce trop plein de vie pour qu’enfin les choses prennent sens. Je crois que le plaisir que j’éprouve à être actrice tient d’ailleurs essentiellement dans ce confort que m’apporte le dispositif d’une mise en scène. Un tournage, c’est un hors temps, où tout à coup la vie a ses codes, un champ, un cadre, des horaires. Tout cela me rassure, un peu comme les enfants qui ont besoin d’un espace fait de limites pour se sentir vraiment libres. Dans la vie aussi, j’ai besoin de mise en scène et d’une organisation très ritualisée, sinon tout s’engouffre et tout déborde.

P. M. : Ce métier d’actrice est finalement une thérapie ?
I. H. : Au cinéma, vous donnez votre corps “ en désordre ” à un metteur en scène qui vous façonne, qui vous modèle comme de la matière. Cet aspect de “ transfusion ” des imaginaires vous ouvre des pans entiers sur votre propre monde, exactement comme en analyse. Mais, pour ma part, on peut aussi parler d’empathie, de fusion totale avec les femmes que je joue. Je cherche à savoir de quoi elles sont faites pour m’apercevoir, toujours, qu’elles sont tout à la fois des personnages plus complets que complexes.

 

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