Jean-David Nasio
Un psychanalyste sur le divan

Jean-David Nasio un psychanalyste sur le divan
©iStock  


Pour Jean-David Nasio, l'abandonnisme est l'état conscient ou inconscient dont souffre un sujet ; il s'agit d'un état pathogène car le sujet n'a pas réussi à transformer l'expérience d'une séparation brutale en symbole qui la substitue, qui la remplace ; en d'autres termes, l'abandonnisme est la souffrance de quelqu'un qui n'a pas pu symboliser la douleur d'une séparation inattendue. Par conséquent, l'abandonnisme est à rapprocher d'un deuil mal élaboré.

Psychanalyse Magazine : Quand dire qu'une séparation est comme un abandon ?
Jean-David Nasio : Si ma mère que j'aime beaucoup et qui a 80 ans meurt, ce n'est pas un abandon ; si ma mère, alors que j'ai quatre ans, disparaît dans un accident de voiture, c'est un abandon. L'abandon est donc une rupture brutale dans sa forme inattendue, dans le temps, non intégrée et non intégrable ; ces trois caractéristiques vont faire qu'une séparation est un abandon. Autrement formulé, un abandon est un deuil non élaboré et la séparation a eu alors la force d'un impact traumatique ; c'est pour cette raison qu'elle est difficilement élaborée puisque le sujet doit retrouver des moyens symboliques, des paroles, des pensées, pour substituer cela, pour l'intégrer dans son histoire.

P.M. : Que signifie, précisément, intégrer ?
J.D.N. : Cela veut dire que je peux oublier, que ça ne m'invalide pas dans la vie, que je n'y pense pas tout le temps... C'est donc la capacité d'un sujet d'intégrer la perte parmi les événements de sa vie ; cette perte va occuper une place, entre autres. Quand la perte est traumatique et que le deuil n'est pas élaboré, elle a une omniprésence psychique qui invalide la vie du sujet. L'abandonnisme, c'est tout cela ; c'est un état dans lequel le sujet est soumis à l'omniprésence d'une expérience d'abandon qui dure et qui envahit sa vie. Il a été abandonné et il continue à souffrir de cette expérience, qu'il n'arrive pas à substituer, à symboliser.

P.M. : Cette séparation n'est pas toujours une expérience vécue dans la réalité...
J.D.N. : Effectivement et c'est, d'ailleurs, une des raisons qui fait que nous ayons tant de mal avec les patients dépressifs pour trouver la raison, la cause de leur abandonnisme qui, quelquefois, prend la forme de la dépression. D'ailleurs, l'expérience de la perte brutale, inattendue et non intégrable, subit, inconsciemment, une transformation qui évoluera vers une expérience imaginaire ; elle correspond, alors, à une perte imaginaire.

P.M. : Mais comment quelque chose d'imaginaire peut avoir une telle charge, une telle puissance ?
J.D.N. : Prenons le cas d'un enfant d'un an et demi. Ses parents vont dans un parking avec le bambin dans la poussette. Soudain, il se passe un événement “ x ” qui fait que les parents se préoccupent, courent et laissent l'enfant dans ce parking obscur ; ils s'en vont en courant parce que la grand-mère, par exemple, vient de tomber ; ils lui portent secours et ils laissent l'enfant ; cet enfant, à ce moment-là, peut vivre une expérience d'abandon. Autre exemple, fréquent aussi, c'est l'hôpital ; vous n'imaginez pas le nombre d'enfants que je vois avec des troubles, vers l'âge de huit-dix ans ou même quatre ans, qui ont été hospitalisés bébés et qui ont subi ce que j'appelle l'abandon iatrogène ou abandon par le médecin car, pour traiter l'enfant, le médecin demande aux parents de partir ; quelquefois, la mère arrive à dormir à côté mais, parfois, pas du tout. Il y a aussi les couveuses, dans le cas de bébés qui naissent prématurément ou les enfants qui ont des malformations qui, hospitalisés de toute urgence, sont traités en dehors des parents ; l'enfant vit seul des expériences d'une puissance traumatique qu'on imagine mal ; on lui fait des perfusions, on le pique et même si le soin est une attitude positive, l'enfant peut le vivre comme une expérience d'abandon traumatisante qui aura des répercussions plus tard. Ce qui me rappelle d'ailleurs, puisqu'il est question d'abandonnisme, “ l'hospitalisme ” de Spitz qui a étudié le cas des enfants hospitalisés dont les mères étaient en prison ; il a pu vérifier l'importance de ces trois temps de réactions de l'enfant à la mère : premier temps, désespoir, pleurs ; deuxième temps, rage ; troisième temps, indifférence...

P.M. : Sociologiquement parlant, le profil abandonnique s'est-il modifié au fil du temps ?
J.D.N. : Aujourd'hui, l'abandonnique s'exprime soit par la tristesse, soit par l'angoisse ; quand c'est la tristesse, c'est la dépression ; lorsque c'est l'angoisse, il y a phobie.

P.M. : Rattachez-vous le principe des familles recomposées qui, actuellement, se développe de plus en plus, à un syndrome d'abandon ?
J.D.N. : Non parce que, globalement, ça se passe plutôt bien puisque c'est progressif ; un enfant va vivre d'abord les disputes de ses parents, puis la séparation de ses parents, puis il va vivre avec le nouveau compagnon de sa mère ou la nouvelle compagne de son père ; cela se fait progressivement en général ; dès le moment où il y a progression dans le temps, il y a adaptation et dès le moment où il y a adaptation, on évite le trauma.

P.M. : Le divorce, du fait d'une certaine banalisation de nos jours, va-t-il dans le sens d'une résolution de l'abandonnisme ?
J.D.N. : Je ne vois pas le rapport entre divorce ou crise de couple et abandon ; encore une fois, l'abandon le plus marquant est le cas de l'abandon imaginaire ; il y a un cas d'abandon qui est réel, c'est le cas de l'enfant adopté car, n'oublions pas qu'un enfant abandonné, avant d'être adopté, a d'abord été abandonné.

P.M. : Le désir d'adoption repose-t-il sur une fixation abandonnique des parents ?
J.D.N. : C'est possible... pas toujours cependant... mais il est vrai que, souvent, des parents qui veulent adopter, c'est une manière de réparer un abandon qu'ils ont pu connaître ailleurs ; c'est parfois pour réparer un abandon qu'ils ont subi eux-mêmes et voire même pour réparer un abandon dont ils ont été les auteurs ou les agents...

P.M. : Pensez-vous que l'adopté devrait bénéficier d'un travail analytique ?
J.D.N. : Non, heureusement. Beaucoup d'enfants adoptés évoluent bien dans leur vie et l'adoption se passe de manière réussie. N'oublions pas que beaucoup d'enfants abandonnés et adoptés sont devenus de grands personnages dans l'histoire de l'humanité, des Présidents de République, des hommes politiques de grande qualité, des chercheurs, des poètes... Je pense à Supervielle, Racine... tous deux ont été abandonnés à la mort de leurs parents, ce n'était pas un abandon volontaire... Racine était orphelin et il a été élevé à Port Royal ; il est devenu d'abord l'historiographe de Louis XIV et c'est Molière qui, par la suite, lui donnera sa chance pour devenir un grand auteur de théâtre. Supervielle a une plaque commémorative, à ma demande, à mon domicile ; le hasard a voulu que je sois venu vivre à l'endroit où Supervielle a vécu plusieurs années de sa vie avant de mourir. Son histoire est dramatique : bébé, il part avec ses deux parents d'Uruguay pour venir en France. Ils prennent le bateau, le transport dure deux mois, ils arrivent enfin au Havre, prennent le train pour aller dans une petite ville des Pyrénées Atlantiques ; le voyage se passe bien, la famille française est heureuse de voir l'enfant, il y a beaucoup de réunions, c'est une ambiance de joie et d'accueil ; puis, le dernier jour, ils font une fête ; lors de cette fête, les parents du bébé vont manger des coquillages qui vont provoquer une intoxication mortelle ; comme d'autres convives, ils vont mourir le lendemain et le bébé restera sans parents brusquement. Cet enfant va être recueilli par un oncle pendant quelques mois et sera renvoyé ensuite en Amérique Latine chez un autre oncle puisque c'était là où il était né ; cet oncle va l'élever ; plus tard, il deviendra un des plus grands poètes français, le prince des poètes. Malgré l'expérience de l'orphelinat, de l'abandon brutal, inattendu, dans ce cas-là, l'abandon a été intégré. De fait, Supervielle n'est pas un abandonnique, ni Racine non plus. Ce sont des expériences d'abandon brutales, inattendues mais intégrables, qui vont être un moteur et qui vont être sublimées par l'expérience de l'art, de l'écriture, de la poésie, du théâtre... Voilà deux cas où l'on aurait pu avoir des abandonniques mais la troisième condition, qui est la condition de non intégrabilité, ne s'est pas vérifiée ; tous deux ont, non seulement intégré l'abandon, mais ils ont fait de cette expérience douloureuse et précoce le moteur de leur art...

 

 

main
cadeau signes-et-sens-magazine-leader-magazines-gratuits-web gratuit signes-et-sens-magazine-leader-magazines-gratuits-web magazine Votre Blog & Forum de Signes & sens




 
 

Signes & sens, le site créé pour les femmes et les hommes respectueux de l'écologie relationnelle et environnementale...


Signes & sens Web
Psycho | Développement personnel | Santé / Forme | Sport & loisirs | Médecines douces | Bio | Cuisine | Beauté / Bien-être | Parapsychologie | Jeux / Psy-tests | Psychobiographies | Interviews | Bulletins d'humeur | Espaces : Psycho - Être - Confiance en soi | Parents - S'entendre - Relations positives |  Coaching - Se réaliser - Maîtrise de soi | Zen - Se régénérer - Beauté intérieure | Amour - S'aimer - Couple et intimité | Foi - Être croyant - Engagements | Astro - Prédire - Ésotérisme - Horoscope | Création - Créer - Expression artistique | Détente - Se libérer - Vitalité du corps et de l'esprit | Beauté - (Se) séduire - Bonheur d'être soi | Minceur - S'alléger - Changement harmonieux | Forme/Santé - Se ressourcer - Douceur de vivre | Habitat - (Se) préserver - Confort intelligent | Bio - Vivre sain - Respect de soi et des autres |  Spécialistes : Psychothérapies - Psychologie - Psychanalyse | Bien-être et santé - Vitalité - Bio | Parapsychologie - Spiritualités vivantes - Thérapies alternatives | Développement personnel - Coaching | Stages et Formations | Jeux-test - Bilans psychologiques gratuits | Conférences Psy Audio gratuites - MP3 | Astuces pratiques maison | Conseils Doctophyto|Ne déprimez plus | Nos prénoms nous parlent | Phrases positives de réussite | Foire aux questions Parapsy | Mes bonnes résolutions | Bons plans | Vos envies ont leur solution | Professionnels, dites NON à la crise | Shopping | Encore + de partenariat professionnel |Notoriété et référencement | Optimisation Web | Réseau social alternatif / Forums & Blogs.

Signes & sens Pratique

Service Publicité - Tél : 09 64 27 16 19

Signes & sens Mémo
Signes & sens - 17 Boulevard Champfleury - 84000 Avignon - Tél : 04 90 23 51 45



Mentions légales  Signesetsens.com ©