Michel Cazenave
Un jungien convaincu

Michel Cazenave un jungien convaincu
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Pour Michel Cazenave*, romancier et homme de culture, l’Eros est aux origines de l’histoire de la pensée, dont la pratique analytique elle-même est issue. L’oublier reviendrait à obérer son avenir.

Signes & sens : Selon Freud, l’humanité a subi trois grandes blessures en apprenant qu’elle n’était pas au centre de l’Univers (révolution copernicienne), ni d’essence supérieure (révolution darwinienne), ni maîtresse d’elle-même, chaque sujet étant tributaire d’un inconscient (choc psychanalytique). Pour vous, cette dernière secousse n’est pas universelle…
Michel Cazenave : Oui, le choc freudien est ethnocentré : notre culture est la seule où se soit bâtie l’illusion du moi. La psychologie elle-même est une notion née en Europe à la fin du XVIème siècle. Un Hindou ou un Japonais n’ayant pas été formés dans une école occidentale comprendront difficilement ce que c’est.

S & s : Un choc non seulement ethnocentré mais aussi dilaté dans le temps…
M. C. Cette histoire des idées qui fait apparaître la psychanalyse comme une coupure radicale est une histoire mythique. Comment comprendre Freud sans Schopenhauer ou Spinoza ? Lacan sans Hegel ou la mystique espagnole du XVIème siècle ? Jung sans le néoplatonisme ? La psychanalyse n’a pas surgi toute armée du XIXème siècle. Elle a une histoire et même une préhistoire avec le shamanisme qui, bien au-delà du simple fait religieux, est la première pratique humaine. Celle-ci a intégré toutes les formes de culture… Exceptée la culture occidentale.

S & s : Selon vous, ne devient pas shaman-guérisseur qui veut. Mais seulement des individus qui ont traversé un épisode psychopathologique et en ont triomphé. Vous suggérez qu’il doit en être de même pour un psychanalyste…
M. C. : Les grands psychanalystes fondateurs le pensaient tous… Comment pourrait-on être capable de comprendre et de soigner le mal d’autrui si on n’est pas passé par les mêmes troubles… J’entends souvent de la part de mes amis psychanalystes : « Moi, je préfère tel cas… ». Et ces cas qu’ils préfèrent traiter, ce sont toujours ceux qui ressemblent au leur !

S & s : Cela soulève un problème…
M. C. Oui, le problème de trouver pour soi le bon psychanalyste, celui qui nous convient. Et c’est au thérapeute de savoir déclarer, s’il y a lieu, dès la première ou la seconde séance : « Ce dont vous souffrez n’est pas de mon ressort… Mais je peux vous indiquer quelqu’un d’approprié ». Ce devrait en tout cas être la pratique courante.

S & s : Lors de sa transe, le shaman entre en relation avec les esprits du monde supérieur auquel le nôtre doit être ordonné pour que le malade recouvre la santé. Quels « esprits supérieurs » le psychanalyste aurait-il à consulter pour que cesse le symptôme ?
M. C. : Cette question, qui est aussi celle de la transcendance, divise psychanalystes freudo-lacaniens et jungiens… Bien que tous s’accordent sur le fait que l’ordre du symptôme n’est pas primordial ! Ceci dit, selon les premiers, il n’y a en dehors de l’organisation psychique que d’illusoires constructions religieuses : pour Lacan, Dieu n’est rien de plus qu’un pur signifiant, une structure sémantique ; pour Freud, la vie ne peut avoir aucun sens. Jung, quant à lui, se situe du côté religieux… Ses archétypes sont aussi ses dieux. Il croit au sens, quitte à ce que ce sens soit une construction du sujet.

S & s : Le shaman invoque parfois les mythes fondateurs de sa société pour obtenir la guérison, ce que Claude Levi-Strauss nomme efficacité symbolique. La psychanalyse évoque la nécessité d’une symbolisation pour supprimer le symptôme… Est-ce strictement équivalent ?
M. C. : Non. Car dans une optique freudo-lacanienne, cette efficacité symbolique est liée à la prégnance du langage, soit à la fonction paternelle… Jung affirme au contraire qu’une expérience mystique, telle que celle du shaman, est toujours le fait de la partie féminine de la personnalité, l’« anima ». De même, une analyse de type jungien, où le patient doit trouver son mythe personnel, se situe davantage du côté de l’Eros et du dépassement de la loi, à savoir sur le versant maternel de la psyché.

S & s : Pouvez-vous préciser la différence ?
M. C. : Dans son XXème séminaire, « Encore », Lacan avance que la jouissance féminine est radicalement différente de la jouissance phallique : le féminin échappe à la loi de la castration, ne connaît pas de finitude, de limite… On ne peut en construire un concept. Voilà ce qu’il veut dire lorsqu’il affirme que « La femme n’existe pas » ou que la femme « n’est pas toute ». Ce n’est bien entendu en aucune façon de la misogynie. S’ils se positionnent différemment, Lacan et Jung s’accordent aussi sur le fond. Psychiatres tous les deux, ils ont pu mesurer à quel point, sous l’emprise maternelle du premier âge, l’homme se vit d’abord au féminin. Leurs premiers travaux concernent d’ailleurs des femmes érotomaniaques pour le premier ou psycho-hystériques pour le second.

S & s : Pour le shaman, la remise en ordre du monde n’est pas une fin mais le moyen de la guérison. Lacan affirmait au contraire que, si guérison il y a, elle vient de surcroît… Le récent « Livre noir de la psychanalyse » ne s’est pas privé de le mentionner dans sa diatribe !
M. C. : Lacan a certes énoncé que la psychanalyse devait permettre au sujet d’entrer en contact avec la réalité, à savoir avec ce fait qu’il n’y a pas de sens. Et si cela permettait de guérir, tant mieux ! Certains ont pris au pied de la lettre ce qui est une très belle position intellectuelle, mais pas une attitude concrète adoptée avec des êtres souffrants. En bon psychiatre, ce qu’il était aussi, Lacan voulait bien sûr guérir ses patients. Ce qui est écrit dans ce « Livre noir » résulte d’une grande méconnaissance…

S & s : Vous affirmez cependant que l’évolution de la psychanalyse vous inquiète, que l’institution et la règle ont pris le pas sur l’inventivité. La critique n’est pas neuve…
M. C. : Oui. Elle était même à l’origine de la dissidence des lacaniens. Aujourd’hui, ils sont touchés à leur tour. Car c’est dans la logique de toute institution. Gérard Haddad, l’un des psychanalystes lacaniens parmi les plus brillants aujourd’hui, parle de la fonction sectaire de l’institution analytique. Celle-ci normalise l’inconscient, préserve en quelque sorte de ses effets de surprise.

S & s : La communauté analytique rend plutôt responsable d’une telle normalisation les neurosciences et les thérapies cognitivo-comportementales, « Le livre noir de la psychanalyse », retour du refoulé ?
M. C. : C’est un livre collectif non homogène ; certains textes donnent à penser, d’autres sont d’une bêtise incroyable, qui reflètent sans doute une peur, un refus de ce que la psychanalyse a à nous révéler… Mais il faut dénoncer cette inculture de plus en plus notoire des analystes obnubilés par la seule technique… J’ai en mémoire ce texte où Henri Corbin exprimait sa peur de voir les psychologues devenir des jouets automatiques. Beaucoup se contentent à présent de réciter leur maître, comme des perroquets. Alors que Jung lui-même préconisait qu’avec un patient, on oublie tout ce que l’on a appris. Car le concept doit être constamment remis au travail. Mais encore cela requiert-il une extraordinaire formation culturelle.

S & s : Pourquoi, malgré votre passion et votre culture, n’êtes-vous pas psychanalyste ?
M. C. : Pour être psychanalyste, il faut avoir une vocation médicale. Ce n’est pas la mienne, même si l’analyse m’a permis de me soigner, d’affronter des épisodes très durs de mon existence et de me construire. Apparemment, ma vocation, c’est plutôt d’écrire !

*Michel Cazenave est l’auteur de romans (Les fusils de l’IRA, la légende d’Agador…), d’essais (La science et l’âme du monde, Figures de l’Eros). Il produit et coordonne une émission de radio sur France Culture : Les vivants et les dieux.

 

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