Mireille Dumas
Une “ psychanalyste cathodique ”


 

Du documentaire aux émissions de télévision, Mireille Dumas a trouvé sa place, à bonne distance entre l'intime et le social, le visible et l'invisible, la normalité et le basculement. Journaliste-réalisatrice-productrice, elle explore tous les rôles en vraie femme de passion. Rencontre.

Psychanalyse Magazine : Qu'éveille en vous l'univers de la psychanalyse?
Mireille Dumas : J'ai envie de dire que j'y suis “ tombée ” toute petite... À partir de l'âge de vingt et un ans, je me suis occupée d'un petit garçon, le fils de mon mari, qui avait des problèmes et qui était suivi par plusieurs psychothérapeutes. En ce qui me concerne, je n'ai jamais été analysée.

P. M. : Depuis votre émission “ Bas les Masques ”, vous êtes perçue comme une “ psychanalyste cathodique ” rodée à l'écoute “ bienveillante ”. Cette image vous convient-elle ?
M. D.   : Cette écoute fait bien sûr partie de moi. Dans “ Bas les Masques ”, j'étais impliquée et donc parfois atteinte par ce qui se disait. On a souvent parlé d'attitude de compassion à mon sujet mais je revendiquais ce choix de mise en danger. En réalité, j'ai toujours fait des allers-retours entre écoute et empathie.

P. M.  : Êtes-vous dans une démarche d'autoanalyse ?
M. D. : J'ai déjà trouvé un certain nombre d'explications sur mes paradoxes et mes conflits et, avec les années, j'en découvre même de nouvelles. Pourtant, je pense aussi que ces conflits font ma création.

P. M.  : Quelle petite fille étiez-vous ?
M. D. : Il y a quelques années, j'ai voulu faire un point sur mon métier en passant par l'écriture. L'image qui a resurgi de mon enfance, c'était moi près du grand radiateur de fonte de l'école où ma mère était institutrice. J'adorais tout particulièrement m'y retrouver en hiver car je m'y sentais à bonne distance entre la chaleur de l'intimité de la maison, de ma mère et la cour de récréation, la vie, l'extérieur, les autres mômes... Je me sentais spectatrice de la vie dont j'attendais qu'elle vienne me chercher à travers la fenêtre pour m'embarquer avec elle. Je me suis souvent dit que ma place de journaliste-réalisatrice était justement cette place à la jonction de l'intime et du public.

P. M.  : À quel moment la vie a-t-elle choisi de vous “ embarquer ” ?
M. D. : La première fois que j'ai quitté la maison et la cour d'école, je pense... J'ai fait trois mois d'aérium à la montagne parce que je mangeais très peu et que j'étais toujours fatiguée... Je n'étais pas malade et pourtant j'entrais dans cet univers d'hôpital qui n'était pas le mien. Je me rappelle avoir toujours profondément aimé être avec les gens mais, en même temps, avoir souvent le sentiment d’être à l’écart, comme une spectatrice. Ces émotions-là m'ont donné l'envie de transmettre, tout d'abord par le théâtre puis, à travers la réalisation.

P. M.  : Quelle image aviez-vous de vos parents ?
M. D. : Avec le temps, je me souviens de mon angoisse terrible que ma mère disparaisse après mon père et mes grands-parents. Elle était tout ce qui me restait et je craignais qu'elle me laisse orpheline. Je l'aimais plus que tout mais je pense que je lui en voulais de ne pas avoir su nous protéger contre la mort de ceux que nous aimions. Je me réfugiais dans mon univers intérieur, une sorte de monde parallèle qui ressemblait à une recherche de la mort. À trois ans, juste après la mort de mon père, je me rappelle l'avoir cherché partout : dans l'horloge, dans les placards, dans le grenier et jusque dans son fauteuil roulant...

P. M.  : Avez-vous finalement “ trouvé ” votre père ? Peut-être ailleurs...
M. D. : Dans son souci d'intégration au village, ma mère, qui était italienne et qui n'allait pas à l'église, m'avait envoyée au catéchisme. J'avais l'habitude de réciter le “ Notre Père ” devant le visage d'un Christ de pierre. J'étais persuadée de parler à mon père. J'ai longtemps communiqué avec lui de cette façon et je n'ai jamais vraiment eu le sentiment qu'il m'avait quittée. Le sentir près de moi, dans cette présence/absence, m'a donné une force incroyable. Puis, avec l'adolescence, je l'ai perdu. Je l'ai retrouvé avec mes premiers films qui ont tous tourné autour de l'image d'un père. Ensuite, si j'ai pu parler aussi librement des pères violents et incestueux, c'est parce que je découvrais une réalité qui ne pouvait pas me faire peur n'ayant pas, moi-même, d'idées bien arrêtées sur le rôle paternel. J'avais inventé mon père et un père, ça pouvait tout être...

P. M.    : Les mots avaient-ils une place dans votre enfance ?
M. D. : Chez nous, on parlait énormément mais jamais des sentiments d'émotion et de souffrance. Question d'époque et de sémantique, je crois. Pour ne pas faire de peine à ma mère, j'ai gardé pour moi toutes les questions que je me posais par rapport à l'absence de mon père. Quant aux mots d'amour, on ne les disait pas par pudeur, même si jamais je n'ai douté de l'amour de ma mère. Le “ Je t'aime ” ne pouvait appartenir qu'à la sphère amoureuse et pas à l'intimité familiale. Je me souviens d'ailleurs de l'angoisse ressentie le jour des premiers mots d'amour prononcés devant un garçon... Il y avait d'autres étrangetés à propos des mots. Ma mère, que j'appelais “ Maman ” à la maison, devenait “ Madame ” quand nous étions en classe. Il y avait aussi ce sentiment d'appartenance à une communauté grâce au statut d'institutrice de ma mère et la possibilité d'en être exclue à tout moment, compte tenu de nos origines étrangères. Je me suis toujours sentie à la fois dedans et dehors.

P. M.  : À partir de quel moment avez-vous éprouvé le désir de vous confronter au langage ?
M. D. : En ce qui me concerne, c'est vers la fin de l'adolescence que j'ai désiré me confronter aux mots d'amour et de souffrance, par le théâtre, pour m'expérimenter, moi et l'autre, à l'intérieur de moi. Je suis devenue quelqu'un de paroles alors que, dans le théâtre, je travaillais sur la méthode de Peter Brook basée sur l'iranien ancien et donc sur une communication d'émotions qui allait au-delà des mots. Je travaillais, à l'époque, dans un hôpital psychiatrique des environs de Marseille et investir ces mots neutres, les exprimer avec ma voix et mon corps, m'a fait découvrir notre incroyable capacité à nous comprendre. Je me souviens du regard d'un homme, atteint de tremblements, interné dans l'hôpital, qui avait été capable, après un long travail, d'interpréter pour nous le rôle d'un arbre immobile...

P. M.  : Dans votre vie, pourquoi ce choix de ne pas être mère ?
M. D. : À vingt et un ans, je m'occupais de l'enfant de mon compagnon qui vivait avec nous. Je savais que je n'en étais pas la mère et pourtant je le protégeais comme si c'était mon fils. J'ai eu un plaisir fou à partager des choses avec lui. Donc, si le désir d'enfant a toujours été là, je n'ai, par contre, jamais eu l'envie de transmettre mon sang, de porter et mettre au monde un enfant, d'avoir “ mon ” enfant pour me reconnaître en lui. Mon propre rapport fusionnel à ma mère doit y être pour quelque chose, en plus de mon appartenance à cette génération de femmes de “ l'après 68 ” qui ont eu la chance de pouvoir se réaliser dans le travail, tout en vivant une sexualité épanouie. Je n'ai jamais vécu mon non-désir d'enfantement comme un problème et, maintenant qu'Antoine est grand, j'aurais envie de transmettre à d'autres enfants que je pourrais adopter : leur construire une famille, leur donner un peu de chance et transformer la réalité...

P. M. : En dix ans, le dialogue s'est ouvert sur des sujets jusque-là tabous, comme l'homosexualité, les violences familiales ou encore la transsexualité. Avez-vous le sentiment d'y avoir contribué ?
M. D.  : Quand je suis arrivée dans les années 80, chiffres à l'appui, en parlant de la réalité de l'inceste, en disant que c'est toujours dans le milieu familial qu'on génère le plus de haine et que se perpétuent les crimes les plus odieux, personne ne voulait l'entendre. Ce genre de message renvoie à soi-même et à une souffrance de laquelle tout le monde se sentait protégé. Les monstres en nous, voilà les terrains que j'ai voulu explorer. On m'a longtemps vue comme une journaliste de la marginalité, avant de prendre conscience des vraies proportions de ce qu'on cachait : crime passionnel, viol ou inceste. Pour moi, cette parole a représenté un engagement politique. Ce discours n'a pu porter que grâce à l'évolution de la société et parce qu'aujourd'hui les frontières des tabous se sont simplement déplacées.

P. M. : À trop schématiser, la télévision ne présente-t-elle pas un certain nombre d'effets pervers ?
M. D. : Bien sûr que si ! Si la télévision a joué un rôle d'éducation de masse pour faire comprendre certains schémas psychologiques et autres risques de scénarios de reproduction, cette démarche, dans laquelle je me suis moi-même inscrite, a cependant eu un effet boomerang. Je me suis aperçue avec terreur, il y a quelques années, que la télévision pouvait faire naître de la confusion, des glissements de compréhension, voire un enfermement, pour certaines catégories de personnes. Dans le cas de parents abuseurs, on avait tendance à insister sur le fait qu'ils avaient souvent eux-mêmes été abusés dans leur enfance. Or, le message qui était parfois retenu était que la majorité des enfants abusés deviendront également violents à l'âge adulte. Ce qui serait alors sans espoir pour les victimes... Nous sommes maintenant beaucoup plus prudents avec les risques de simplification.

P. M. : Le témoignage est désormais une “ valeur sûre ”, présente sur tous les plateaux de télévision. Selon vous, peut-on parler de dérive ?
M. D. : Si les mots d'amour sont aujourd'hui plus présents à l'intérieur du cercle familial, la pudeur subsiste quant aux grandes souffrances. Dans ces conditions, la télévision joue le rôle de l'inconnu croisé dans la rue et à qui on s'ouvre parce qu'on ne le reverra plus jamais. Il y a huit ans, les témoins étaient des femmes à 65 %. Elles venaient, la plupart du temps au nom de toutes, pour raconter comment elles s'en étaient sorties. Les hommes étaient beaucoup plus en retrait, plus pudiques. Aujourd'hui, les hommes viennent parler de leurs souffrances à part égale avec les femmes. Ils viennent souvent afin qu'on les voit pour ce qu'ils sont devenus. Mais on a connu, c'est vrai, un phénomène de saturation avec toutes ces émissions de témoignages bruts, de mise à l'antenne de la souffrance trash. Mes émissions étaient à l'opposé : ce qui m'intéressait, c'était l'analyse. On m'a pourtant assimilée aux présentateurs d'émissions spectaculaires et cela m'a fait horreur parce que je n'ai jamais perçu le témoignage comme un phénomène de mode.

P. M.  : Avez-vous passé des compromis avec votre nature de “ défricheuse ” ?
M. D. : J'ai continué sur ma voie, c'est tout. En 1976, pour mon premier papier dans les pages “ Faits divers ” du Monde, j'avais choisi l'histoire d'un homme normal, brutalement passé de l'autre côté en tuant ses voisins. De l'exploration de la normalité et de la folie, quand je suis les cailloux de mon chemin, je constate que je me suis toujours intéressée à la capacité de chacun de “ déconnecter ” et de “ passer à l'acte ”.

 

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