Nathalie Baye  
                     ou le plaisir de jouer  
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		       Depuis  “ La Nuit américaine ” de François Truffaut, elle navigue dans les  aux claires et troubles de la psyché féminine. Parisienne amoureuse dans  “ Rive droite, rive gauche ”, mère de famille en fuite dans “ Un  week-end sur deux ”, épouse de psy hystérique et cocasse dans “ Ça  ira mieux demain ”, femme à fantasmes dans “ Une liaison  pornographique ”, autant de perles de rôles qui font de Nathalie Baye une  actrice chère au cœur des Français. C’est cependant une relation étrange et  forte qui la lie au cinéma. Comme un sauvetage ou, plutôt, un passage à la  condition d’adulte réussi devant la caméra, grâce au regard de l’autre. Ces  moments douloureux de l’enfance, – la rigueur de la danse classique, le  sentiment de n’“ être personne ”, le désir de “ ne pas  peser ” –, elle a pu les transformer en matière à jouer et à rêver.  “ Je n’aime pas trop ceux qui aiment trop ça ”, confiait-elle à  Fabrice Luchini en évoquant, à distance, le monde des acteurs. Échange avec une  comédienne sereine et une femme libre.
		       Psychanalyse Magazine : Vous semblez ne pas aimer les  mythes d’actrices. Le cinéma est donc si naturel pour vous ?
                 Nathalie Baye : Cela fait partie de ma vie et je ne la conçois  pas autrement. Voyager en soi et hors de soi, entrer dans la peau d’une femme  qui est aux antipodes de moi, tout cela est absolument naturel et très  plaisant. Il y a quelques moments difficiles à gérer quand un tournage s’arrête  mais je ne néglige pas le bonheur de rentrer chez soi (au propre comme au figuré)  après des semaines de tournage.
		       P. M. : Vous n’en parlez même pas comme d’un travail…
                 N.  B. : Je n’ai pas  le sentiment de travailler. Je ne sais pas comment appeler cette relation au  monde mais ce n’est pas du travail. Si j’analyse les événements, tout est parti  de l’image abominable que j’avais de moi à l’adolescence. Je me sentais différente,  par rapport à mes amis, avec des parents artistes qui ne s’entendaient pas…  mais j’étais surtout une mauvaise élève en classe, dyslexique, complètement  ailleurs, comme si je n’étais personne. À quatorze ans, j’ai arrêté l’école et  je suis entrée dans un cours de danse classique. Tout pour échapper à l’école…  Pendant quelques années, j’ai appris à coup de baguette, d’engueulades,  d’humiliations avec un professeur russe. J’ai détesté cette femme et pourtant  je crois qu’elle m’a vertébrée, ouvert un accès à la discipline et à la  rigueur. Si je n’étais pas passée par la danse, j’aurais peut-être raté l’étape  du cinéma et je n’aurais peut-être pas fait grand’chose…
		       P. M. : Vous vous êtes donc choisi une loi très jeune. Comment  avez-vous trouvé la souplesse nécessaire pour rencontrer le plaisir du jeu dont  vous aimez parler ?
                 N.  B. : Il est vrai  qu’inconsciemment, je dois avoir fait des choix. Adolescente, quand je  m’interrogeais sur mon avenir, je souhaitais avant tout être indépendante. Je  pensais à mes parents qui étaient peintres et n’avaient pas beaucoup d’argent.  En fait, je ne voulais pas peser. Je suis donc entrée au cours de danse, puis  j’ai accompagné une amie dans un cours de théâtre. Là, René Simon m’a fait  passer une audition et m’a dit tout de suite que j’étais faite pour cela. Il  m’a fait travailler et m’a présentée au Conservatoire. Mes parents l’ont  rencontré parce qu’ils étaient très inquiets mais il a su les rassurer. Je  pense que cet homme m’a offert le plus beau cadeau de mon état de jeune adulte.  C’était la première fois que quelqu’un me faisait confiance. Je suis donc entrée  au Conservatoire sans trop savoir ce que je venais y chercher. J’ai été reçue  tout de suite, j’ai eu des prix, des félicitations… Toutefois, je n’arrivais  pas à les goûter parce que, pour moi, il n’y avait de travail que dans la souffrance ;  je n’avais connu que cela. Subitement, a surgi la découverte de cette facilité,  avec le plaisir dans le travail et surtout quelqu’un qui m’a dit la valeur de  ce que je faisais ; j’étais alors incapable de recevoir tous ces  compliments.
		       P. M. : Tout à coup, vous deveniez bonne élève…
                 N.  B. : Ne croyez  pas cela. Mon image un peu sage peut laisser imaginer une jeune fille bonne élève  mais j’ai toujours eu le complexe de ne pas l’être. D’ailleurs, à l’époque, je  tombais amoureuse, je rêvais, je fichais le camp, je laissais tout tomber pour  vivre une passion. Je n’ai rien de Grace Kelly. Quand je dis aux gens que j’ai  quitté l’école à quatorze ans, personne ne veut me croire.
		       P. M. : Vous dites : “ Je ressemble à la fille de la  porte d’à côté ”. Pourtant vous n’aimez pas l’image de la femme discrète  que les médias vous renvoient. Est-ce ce malentendu qui crée la surprise quand  on vous retrouve à l’affiche d’“ Une liaison pornographique ”  de Frédéric Fonteyne ou encore de “ Si je t’aime, prends garde à  toi ” de Jeanne Labrune ?
                 N.  B. : C’est étrange  ce qui se passe avec cette image lisse que l’on me colle souvent. Si j’étais  lisse, je n’aurais pas cette vie-là ! Les gens ont oublié “ Notre  histoire ” où je jouais une femme qui allait draguer les hommes dans les  gares. Mais si j’essaie de comprendre le sentiment de proximité du public à mon  égard, je pense qu’il vient aussi un peu de cette image. Mes rôles ont toujours  été des femmes du quotidien dans lesquels les autres femmes ont pu  s’identifier. Il n’y a pas, dans mon cas, de vraie distance ou de mythe  d’actrice. 
		       P.  M. : Est-ce un sentiment d’empathie qui vous ouvre l’accès au monde intérieur  des femmes que vous interprétez ?
  N.  B. : Quand  j’accepte un rôle, je ne passe pas par des vecteurs concrets de ma vie. Je  l’accepte parce qu’il fait écho en moi comme, je crois, à toutes les femmes. Il  s’agit presque, à chaque fois, de femmes hors norme et intemporelles dont nous  avons toutes quelque chose en nous. Je vous parlais de cette période  transitoire de la fin de l’enfance que j’ai vécue avec une certaine violence,  c’est ce genre de faille que j’ai ressentie en lisant le scénario de “ Un  week-end sur deux ” de Nicole Garcia : une femme perdue, en déroute,  pour laquelle rien ne marche et qui décide de fuir avec ses enfants pour  essayer de se rapprocher d’eux. C’est une enfant elle-même et c’est là que je  trouve de la matière à jouer. C’est la même chose pour Angèle dans “ Vénus  Beauté ” de Tonie Marshall, protectrice et solide, elle est, en réalité,  complètement larguée. On a tous un pied dans l’enfance et on a tous besoin d’être  consolés, je crois…
		       P. M. : Et pour “ Une liaison pornographique ”, un  film qui évoque le désir, avez-vous eu l’impression de participer à un  “ film de femmes ” ?
                 N.  B. : J’étais en  affinité complète avec l’histoire de cet homme et de cette femme qui fondent  leur rencontre sur un mode utilitaire (la réalisation d’un fantasme sexuel)  puis qui sont pris dans une histoire d’amour. Audacieux, courageux et pudiques,  je les comprenais parfaitement. Mais, à aucun moment, je ne cherche à faire  passer de messages sur la vie des femmes. Je ne me prends pas pour une messagère  du progrès ! Pour moi, c’est vrai, il n’y a que le plaisir de faire des  films. C’est drôle, je ne suis qu’actrice or, parfois, on me voit comme une  psychologue. Après “ Une liaison… ”, les journalistes me posaient des  questions comme s’ils venaient voir une sexologue. Ça m’a fait rire sur le  moment… En même temps, il y a du vrai : comme l’analyste, je fouille, je  gratte, dans les sentiments humains. Je voyage dans des émotions que je trouve  en moi. 
		       P. M. : Avez-vous un jour éprouvé le besoin de consulter un  analyste ?
                 N.  B. : Je n’ai  jamais fait de psychanalyse à proprement parler mais une thérapie oui, avec  quelqu’un qui m’a donné un éclairage nouveau sur ma vie qui, à ce moment-là, était  assez difficile. C’était comme si le cadre était tout à coup agrandi, comme si  on avait coupé un circuit qui n’avait plus lieu d’être. Ce fut une étape  difficile pour moi de franchir le pas, d’aller consulter et de découvrir ce  “ temps pour soi ”, ce temps qu’on s’offre dans le fouillis de nos  vies. Curieusement, j’avais peur que cela vienne me bloquer dans mon  travail. En plus, je vivais à l’époque avec une personne qui était farouchement  contre et sans doute fallait-il que l’urgence soit forte pour prendre en compte  ce besoin. Peut-être que le fait d’être actrice m’avait aidé jusque-là à  trouver mon équilibre. Regardez les enfants et leur capacité de sortir de leur  peau pour s’échapper ; moi je suis restée comme eux, je ne suis jamais  devenue raisonnable.
		       P. M. : Comment vit-on de voir ses histoires d’amour étalées  en pleines pages sur papier glacé ?
                 N.  B. : J’avais  commencé le métier bien avant cette utilisation de ma vie par la presse people mais j’ai eu l’impression de ne plus exister que sur ces photos. Je n’ai pas  aimé ce que cette presse a fait d’une très belle histoire d’amour avec un homme  que j’ai beaucoup aimé et avec qui j’ai eu ma fille. Tout ça encombre quand on  veut se reconstruire.
		       P. M. : À la fin d’“ Une liaison pornographique ”, les  amants finissent par se manquer. Est-ce votre vision de l’amour, de loin, par  fragments, dans la liberté ?
                 N.  B. : C’est vrai qu’on  a l’impression d’un ratage à la fin du film. En même temps, il y a tellement  d’histoires d’amour qui durent (et qui durent mal) avec de l’amertume, de la  rancœur et de l’agacement que cette histoire qui s’arrête, même si elle n’a duré  que ce temps-là, est totalement belle et pleine de respect. Rien de nul ne s’est  immiscé entre eux. Un imbécile de poète a fait rimer amour avec toujours, or  une histoire d’amour peut durer une heure… J’ai appris à déguster les choses  qui passent. Il y a des gens qui sont toujours avides de plus mais pas moi. Ce  qui me sécurise, c’est quand cela ne tourne pas au vinaigre, quand cela reste  noble et qu’on peut encore se parler dans une relation qui reste belle. Pour  moi, quand on a eu un enfant, on ne peut pas se permettre l’aigreur, mieux vaut  la noblesse. On ne saurait renier les gens qu’on a aimés.		       
		       
                
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