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Que la relation disciple/maître doive aujourd’hui s’établir sur des bases autres
que celles que la plupart des maîtres ont connues, et ont vécues, n’entre pas
dans leur schéma référentiel. De ce fait, ils ne sont pas animés du souci majeur
de permettre à leur disciple de s’individualiser et de s’autonomiser. Ne l’étant
pas eux-mêmes vis-à-vis de la tradition à laquelle ils se réfèrent, comment
pourraient-ils l’envisager pour d’autres ?
Pour qu’ils y parviennent, il leur faudrait se
démarquer de la tradition ou de la vérité à laquelle
ils consacrent leur existence. Ce n’est qu’à ce
prix qu’il leur sera possible de s’ouvrir et de s’harmoniser
aux nouveaux courants de forces qui affluent sur
le monde. Tant qu’ils n’agiront pas ainsi, ils ne pourront
s’élever au niveau de la boucle suivante de la spirale
évolutive.
L’éveilleur moderne
L’enseignant du vingt et unième siècle ne se positionnera
plus en gourou. Du reste, il se défera de ce titre
pour en adopter un qui sera moins connoté. Il ne jouera
plus le rôle de guide au sens où nous l’entendons
habituellement. Il deviendra un inspirateur et un focalisateur
pour tous ceux qui se trouveront à sa périphérie. À sa périphérie et non plus en son centre. La différence
est notable. Le maître d’hier et d’aujourd’hui est
un être qui sait, qui voit, qui prévoit ce qui est juste et
utile pour son disciple. Le focalisateur de demain amènera
son collaborateur à éveiller sa créativité, ses aptitudes
et son discernement, à son point de manifestation
le plus haut. Son sens psychologique développé et sa
connaissance approfondie du potentiel humain lui permettront
d’inciter, sans véritablement intervenir, ses
collaborateurs à dépasser leurs limites, à s’épanouir en
créant et à prendre de plus en plus de responsabilités.
En agissant lui-même dans le monde et pour le monde,
l’éveilleur moderne sera, pour ses semblables, un
modèle. Par son engagement au sein de la société
humaine, il les invitera à poser des actes féconds et ce,
dans l’optique du bien commun.
Une spiritualité de circonstance
Trop rares encore sont les chercheurs de vérité qui perçoivent
le rôle qui leur est dévolu dans le schéma évolutif
actuel. La plupart vivent de plus en plus en déphasage
avec leur aspiration à incarner une spiritualité
vivante dans le monde d’aujourd’hui. Je ne compte
plus le nombre de chercheurs de vérité que j’ai rencontrés
ces trente dernières années qui vivent en spiritualité
au moment de leur méditation journalière et au
cours de retraites annuelles. Chercheurs qui, le reste du
temps, adoptent des modes de comportement profanes.
Ces êtres scindent leur monde en deux réalités qui se
côtoient sans pouvoir se retrouver et fusionner. Ils
vivent une spiritualité de circonstance. Il suffirait de
peu pour que nombre d’entre eux trouvent leur centre,
en manifestent l’essence et prennent conscience de la
réalité vibrante spirituelle. La méditation, les retraites,
ne sont pas des buts en soi. Elles sont des soufflets de
forge qui permettent au disciple d’aviver sa propre
flamme intérieure. En l’attisant, il trouve en lui l’énergie
nécessaire pour se jeter avec encore plus d’ardeur
dans la bataille que se livrent les forces d’inertie (involution) à celles du mouvement (évolution).
Le disciple contemporain
Le mot disciple n’est plus à interpréter dans le sens de
dévotion et de soumission à une autorité supérieure.
C’était sa définition ancienne. Le disciple actuel est
celui qui se trouve en état de tension créatrice, qui se
forme pour devenir maître en son domaine et qui, pour
y parvenir, s’astreint à une réelle discipline de vie. Le
disciple moderne ne fait plus de distinction entre la
méditation, les retraites, l’étude et sa participation active
et quotidienne dans le monde. Lorsqu’il s’adonne à
son activité professionnelle, il médite. Lorsqu’il évolue
au sein de son cercle familial, il instaure la dynamique
d’une retraite spirituelle. Lorsqu’il s’octroie un
temps d’instrospection, c’est pour entrer en relation
encore plus profonde avec ses semblables. Le disciple
contemporain donne vie aux valeurs du partage, de l’écoute,
de l’attention, de l’empathie, de l’oubli de soi,
de la responsabilité collective et de l’engagement. Le
disciple nouveau oeuvre dans le monde pour réunir,
unifier et solidariser.
Un disciple apprend à dépasser sans cesse les limites
au sein desquelles il ne veut pas et ne peut pas rester
enserré. Il n’a pas le choix, sa nature de disciple le
pousse à agir ainsi. S’il en allait différemment, il ne
serait pas encore devenu disciple et n’éprouverait
aucunement la nécessité d’oeuvrer dans un sens altruiste.
Un disciple met la puissance de son cœur et la bienveillance
de son mental au service de la vie. Il ne fait
que donner en mettant sans cesse entre les mains de ses
semblables, s’ils le souhaitent ardemment, les matériaux
dont ils ont besoin pour que leur quête aboutisse.
En imprégnant leur espace d’expression de pensées élevées, de beauté et de sentiments délicats, il stimule
leur créativité et leur imaginaire.
Qu’aujourd’hui maints chercheurs de vérité souhaitent
parcourir le sentier de l’évolution en formation de
groupe, et non plus individuellement comme par le
passé, est un signe des temps. Participer collectivement à des oeuvres fraternelles, susceptibles d’apporter des
changements féconds au sein de la conscience de l’humanité
pour l’élever, est un signe évident qui révèle
que, de plus en plus, les êtres parcourant le sentier entrent
véritablement dans la voie du service. Ce signe
annonce une métamorphose collective.
Alain Brêthes*
*Pour en savoir plus, lire :
« Quand le disciple est prêt…
le maître disparaît »,
Éditions Oriane.
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