Joan Miró, un geste significatif 
			          | 
		         
		       
			   
			   
  Ce  « Catalan international », comme il se définit lui-même, a marqué  son siècle. Impossible de faire l’impasse sur cet artiste majeur  du surréalisme et de l’art moderne, au style unique.
                Joan  Miró Ferrà naît à Barcelone le 20 avril 1893. Le futur peintre,  sculpteur et céramiste, a pour mère Dolorès Ferrà i Oromi, fille  d’ébéniste, et pour père Miquel Miró i Adzeries, bijoutier.  Très tôt, le petit Joan est attiré par le dessin mais son père  tient à ce qu’il ait une formation commerciale. Il a 17 ans  lorsqu’il travaille dans une droguerie, puis dans une industrie de  produits chimiques. Visiblement, cette voie n’est pas la sienne. Le  jeune Miró se montre dépressif et contracte le typhus. Son père  accepte enfin l’orientation artistique de son fils.               
                 L’initiation
               En  1911, Joan Miró intègre l’École d’Art de Barcelone dirigée  par Francisco Galli, un architecte baroque. Il y suit son  enseignement jusqu’en 1915, s’initiant aux différentes tendances  de l’art européen de l’époque. Parallèlement, il fréquente  l’Académie libre du Cercle Saint-Luc et perfectionne sa technique  du dessin. Il se lie d’amitié avec le peintre Ricart et loue avec  lui un atelier. Du 16 février au 3 mars 1918, il expose ses  premières œuvres à la galerie Dalmau de Barcelone, puis entre dans  le « groupe Courbet » composé d’artistes se réclamant de la  peinture révolutionnaire du maître. Pendant cette période  d’apprentissage tous azimuts, les toiles de Miró s’imprègnent à  la fois de l’influence de Van Gogh, de Matisse et du fauvisme, de  Gauguin et de l’expressionnisme, du cubisme. Miró expérimente et  cherche son style propre.
                Un  artiste libre
               Âgé  de 27 ans, le jeune peintre décide de monter à Paris. Il y  rencontre André Breton et le mouvement surréaliste. Si Miró se  révèle un artiste ouvert et à l’affût de la modernité, il n’en  reste pas moins un artiste libre. Il ne se veut inféodé à aucun  groupe de pensée et si Breton dit de lui qu’il est le  plus surréaliste d’entre nous,  c’est avec une pointe d’humour acide. Joan Miró est un  solitaire. Il ne parle pas beaucoup, se méfiant de toute  conceptualisation érigée en système, aussi révolutionnaire  soit-elle. Ce que je cherche, c’est  un mouvement sans mouvement, quelque chose d’équivalent à ce  qu’on appelle l’éloquence du silence… Je me dégage de toute  convention picturale (ce poison),  écrit-il. S’il aborde l’abstraction, il ne se définit pas comme  un peintre abstrait. Miró possède la faculté étonnante de  s’approprier un style pour mieux s’en libérer. Aucun déni ici  mais plutôt un tremplin pour aller vers plus de créativité.
                L’engagement  républicain
 
               Le  12 octobre 1929, Joan Miró épouse Pilar Juncosa à Palma de  Majorque. Deux ans plus tard naît leur fille, Maria Dolores. En  1932, la famille s’installe en Espagne. Le maître poursuit sa  recherche et aborde le collage. « Dix-huit peintures selon un  collage » sont réalisées à partir d’images extraites de  publicités et de revues. Les  collages me servent comme point de départ pour des peintures… Je  ne copie pas les collages. Simplement je les laisse me suggérer des  formes, aime rappeler le peintre. Le  monde ne va pas bien et les peintures reflètent l’inquiétude des  temps qui viennent comme en attestent deux de ses œuvres célèbres  : « Homme et femme face à une montagne d’excréments » (1935), «  Femme et chien face à la lune » (1936). Au moment où éclate la  guerre civile, il est à Paris pour une exposition. Il décide de ne  pas rentrer en Espagne et de mettre sa notoriété et son talent au  service de la cause Républicaine. Pilar et Maria Dolores le  rejoignent. Il réalise l’affiche « Aidez l’Espagne » qui fait  l’objet de l’édition d’un timbre destiné à soutenir les  antifranquistes. Afin de sensibiliser un large public, il entreprend  de peindre des toiles de grandes dimensions. 
                La  maturité
 
               En  1942, la France étant occupée par l’armée allemande, l’artiste  fait le choix de reprendre contact avec son pays. En 1943, il  s’installe dans la maison familiale à Barcelone, transformée en  véritable laboratoire. Pour le galeriste John Prats, Miró réalise  la série « Barcelona », comportant cinquante lithographies en noir  et blanc sur lesquelles il laisse libre cours à son refus de  l’oppression. Ce travail agit sur lui comme une véritable  catharsis puisqu’il lui permet ensuite de se remettre à la  peinture sur toile. C’est à cette époque qu’il peint des œuvres  qui témoignent d’une maturité indiscutable : « Femme dans la  nuit » (1944), « Au lever du soleil », « Danseuse écoutant de  l’orgue dans une cathédrale gothique » (1945). Il développe en  même temps la gravure, la céramique et le modelage. Sa créativité  s’intensifie avec des sculptures peintes de couleurs vives et  utilisant des objets du quotidien. En 1947, il illustre « L’antitête  », un ouvrage de Tristan Tzara. Il récidive avec « Anthologie de  l’humour noir », d’André Breton et « La clé des champs » de  René Char. L’artiste est reconnu et consacré en recevant le Prix  de la Gravure à la Biennale de Venise.
               Aller  à l’essentiel
               Il  est important pour moi d’arriver à un maximum d’intensité avec  un minimum de moyens. D’où l’importance grandissante du vide  dans mes tableaux… À partir de  1960, le peintre expérimente le monochrome s’inspirant des  techniques chinoises et japonaises. Il accorde une importance extrême  au mouvement du pinceau lorsqu’il dépose sur sa toile les lignes  et les points. Il s’agit pour lui de reproduire le geste  de l’archer japonais. Ses toiles  s’épurent comme en témoigne « Le triptyque bleu ». Après avoir  réalisé tout au long de son existence plus de 2 000 peintures, 5  000 dessins, 500 sculptures, 400 céramiques, 3 500 pièces en  lithographie, eau forte, l’artiste exécute une ultime œuvre, «  Femme et oiseau », en 1983. Dédiée à sa ville natale, la  sculpture, en partie recouverte de céramique et peinte de tons  rouge, jaune, vert et bleu, s’offre au public comme un clin d’œil  à la vie. Joan Mirò quitte le monde à l’âge de 90 ans, le jour  de Noël de la même année. Il laisse à la postérité, à  Barcelone, une fondation qui porte son nom et à laquelle il a légué  lui-même une grande partie de son œuvre. Une visite essentielle à  faire dont on ne revient jamais indifférent !
                
               
               Miguel Santos