|
La psycho
dans Signes & sens
Un écolier est avant tout un enfant
|

Depuis Jules Ferry, la loi pose la scolarité en terme d’obligation dans un souci très louable : permettre l’accès au savoir à tous. La psychanalyse, quant à elle, considère le désir comme moteur au service des apprentissages.
Dans son ouvrage « L’échec scolaire », Françoise Dolto écrit : Je suis désolée quand je vois les trésors d’astuce pédagogique que déploient les professeurs quand un enfant n’est pas motivé, consciemment ou inconsciemment. Aussi, contrairement à ce qui est véhiculé par un certain consensus médiatico-politique, ce n’est pas tant l’École qui va mal, que l’écolier en échec, blessé dans son être au « non » d’un sacrosaint « sujet-supposé-savoir ».
Accepter l’échec scolaire
Le symptôme est d’autant plus visible actuellement que n’existent plus à l’école primaire les classes de «perfectionnement» ; elles permettaient de regrouper les élèves qui n’avaient pas acquis la lecture sous prétexte de déficience intellectuelle. Aujourd’hui, ces élèves restent dans les classes dites normales mais leurs difficultés n’ont pas pour autant disparu.
L’Éducation Nationale a mis en place des R-A-S-E-D (Réseaux d’Aides Spécialisés aux Élèves en Difficulté), structures dont la mission est donc d’aider les élèves en échec scolaire. Elles se composent d’un maître spécialisé, d’un rééducateur et d’un psychologue scolaire. Théoriquement, chaque école relève d’une telle structure, même si sur le terrain le manque de postes se ressent. Le service public fait cependant ce qu’il peut pour faire évoluer les choses. Il reste que réussir à l’école fait encore partie de ces obligations perçues incontournables. L’acharnement pédagogique est-il la seule solution ? Pourquoi ne pas finalement accepter l’échec comme étant un acte manqué, c’est-à-dire un discours réussi, à l’instar de la célèbre affirmation de Jacques Lacan ? Selon la psychanalyse, névrose d’échec et angoisse du temps sont liés. L’enfant qui ne réussit pas à l’école est préoccupé inconsciemment par tout autre chose que l’enseignement. Ainsi, par utilisation importante d’énergie, ne dispose-t-il pas de la libido nécessaire aux apprentissages. Ni fainéant, ni débile, il ne peut s’investir. Einstein fut un piètre écolier, ainsi que Blaise Pascal. Django Rheinard, célèbre virtuose de la guitare, savait à peine lire et écrivait phonétiquement. Il y a bien d’autres exemples moins célèbres, voire inconnus, tel cet émigré égyptien qui connaît juste assez
d’arithmétique pour savoir si ses deux restaurants tournent bien ;
le reste, il le laisse à son expert comptable. Et ce garagiste, pratiquement
illettré mais compétent ; il affiche une réussite sociale
n’ayant rien à envier à celle d’un cadre «moyen» avec son bac +
4. Que dire, à l’inverse, de ces caissières de supermarchés, nanties de diplômes qui ne leur servent à rien dans l’exercice de leur profession du moment. On l’aura compris, la réussite scolaire n’est pas un passeport pour la réussite tout court. Et, même si elle peut y contribuer, encore faut-il que cela ait du sens… Mieux vaut être un jardinier municipal, bien dans ses baskets, qu’ « ingénieur à Grenoble » comme le disait malicieusement Coluche, et mal dans sa peau. En voilà encore un qui n’a pas été bon écolier !
Et pourtant…
En outre, un écolier est avant tout un enfant à qui l’on a dit que
l’école est obligatoire. Or, seule l’instruction l’est ! Y a-t-il une
nécessité absolue à envoyer un enfant dans un lieu s’il s’y sent
malheureux ? Il ne pourra alors que projeter sa souffrance sur
autrui. Le risque existe, dès lors, de déplacer le symptôme en
mobilisant toute une institution qui ne saura plus que faire de
ce sujet. Récalcitrant à toutes les solutions proposées, cet écolier
est dit « atypique », faute de trouver une autre étiquette.
Alors que les protagonistes risquent de s’enferrer dans un
conflit dommageable pour tous, la psychanalyse aurait peut-être
son mot à dire dans de telles situations, si toutefois on la
sollicitait plus souvent… Plutôt que de s’attacher au pourquoi de la situation, la psychanalyse va d’ailleurs s’intéresser au
comment. Comment faire sans la réussite apparente ?
Comment faire avec l’échec objectivable ?
L’échec scolaire a un sens
Au fil des séances pédo-psychanalytiques, dédramatiser l’échec
sera la priorité du travail en tant que le symptôme a un sens dont il faudra faire son allié. La pédagogie, et c’est sa vocation, a tendance à lutter contre l’échec. Mais, ce faisant, elle prend, à son insu, le risque de le faire grossir, voire de le déplacer. L’analyse, laissant de côté l’écolier, s’occupe de l’enfant. L’échec scolaire n’est pas une urgence pour l’analyste. Ainsi, sont prises en compte l’angoisse du temps de ce sujet et sa problématique d’échec. C’est ici que la psychanalyse se différencie de la psychologie scolaire et de toutes les aides spécialisées. Un enfant qui échoue à l’école est un enfant qui réussit ailleurs. La psychanalyse des enfants va privilégier le sujet aux dépens du supposé-savoir et du symptôme. De fait ce dernier disparaîtra-t-il de surcroît ou, persistera, débarrassé toutefois de son aspect invalidant. Le problème n’est pas au niveau de l’écolier lui-même mais plutôt en tant que cet enfant incarne le symptôme. La représentation que les adultes tutélaires se font de l’échec, comme de la réussite scolaire, agit ici. En effet, l’institution peut «renvoyer», aux parents de l’écolier en difficulté, une image négative qu’elle va reprendre en retour par un effet de rétorsion. Elle actualise, de ce fait, de façon externe, un conflit ne relevant pas d’une incompétence pédagogique ou éducative. Ce conflit concerne plutôt, mobilise et convoque un sentiment de désarroi de part et d’autre. L’enfant alors ne sait plus quoi faire de ce rôle d’écolier qu’on veut lui faire jouer. Là est le danger. Il va donc se défendre en arborant le masque de l’échec, voire celui de la réussite. Le surdoué souffre psychiquement au moins autant que le sous-doué. Ainsi, la cause des écoliers est-elle un beau challenge à mener à condition que l’on en « cause » différemment, la psychanalyse restant
un outil possible au service de cette différence.
Gilbert Meunier
|