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                           La psycho  
dans Signes & sens 
                           
                             
                               
                                 Harry Potter,  
                                 les secrets d’un succès 
                                | 
                              
                            
                           
                          
                       
			          
			         
			           
			             Le sixième ouvrage de J.K. Rowling s’est vendu à 800.000 exemplaires,
			               en France, la première semaine de sa parution. Plusieurs
			               centaines de millions d’exemplaires se sont arrachées dans le
			               monde. Quant aux films, trente millions de Français ont vu les trois
			               premiers. Comment expliquer cet attrait sans cesse renouvelé ? Est-ce
			               du marketing bien orchestré ? Les qualités littéraires sont-elles
			               la seule raison? Ou Harry Potter représente-t-il un besoin réel, chez
			               nos enfants ou même chez nous ? 
			              
  Le monde de Harry Potter est avant tout celui de l’école.
  Mais il est nouveau par rapport à celui des années 60-70 en ceci que l’autorité des adultes y est partout présente
  et respectée. Comptez le nombre de « Yes, Sir (ou
  Madam) » que prononcent les enfants ! Dans cette école, les
  maîtres sont, pour la plupart, âgés. Aucune école, au moins
  dans notre pays, n’oserait maintenir en activité de tels enseignants.
  Il est d’ailleurs curieux que la génération intermédiaire,
  celle des 20-30 ans, soit largement ignorée, comme si elle
  n’intéressait pas l’auteur. Autour de 20 ans, quelques « préfets  », grands élèves chargés des plus petits, sont rarement présentés
  et on ne voit aucun adulte jeune entrant tout juste dans
  la vie professionnelle. Cela n’a rien de très étonnant : dans la
  tradition sorcière, l’âge est un facteur positif. 
   La valeur de l’âge 
  Le monde de la Magie (avec un grand M pour la distinguer de
  l’illusionnisme) donne toute sa valeur à l’âge. Il représente à
  la fois l’expérience livresque et pratique mais aussi la maturité.
  La redécouverte de la valeur de l’âge est un point très
  important à noter… À la génération précédente, héritage de
  1968, toute autorité était refusée. Et, dans la société française
  encore à l’heure actuelle, on est à jeter (à la poubelle) sitôt
  atteint 40 ans et parfois un peu moins ! Les pays anglo-saxons,
  eux, réembauchent les plus de 65 ans ! Harry Potter tient ici
  un langage prophétique. Et c’est probablement pourquoi les
  jeunes y trouvent tant d’attrait. En effet, quoi qu’on puisse
  penser, l’adulte a vécu des expériences qui sont transmissibles.
  Dans notre monde ressenti comme dangereux, le jeune
  attend des règles de vie. 
  L’argument de la sorcellerie 
  Le discours de Rowling est donc novateur. Il serait plutôt
  révolutionnaire dans le sens étymologique de « révolution »
  qui veut dire faire un tour complet. Ce n’est pas un complet
  retour en arrière car, à cette époque, les adultes s’appuyaient
  sur une expérience claire, consciente et rationnelle. Or, dans le
  monde inquiétant d’aujourd’hui, ces recettes logiques ne se
  montrent souvent plus très pertinentes. Le sens du message de Harry Potter est que dans l’invisible se trouve la vérité, dans
  les fondements de notre être, dans l’inconscient. Et c’est là le
  message fondamental : la puissance du phantasme. Ici, il faut
  bien mettre les choses au clair. Ce que nous présente l’oeuvre
  de Rowling sur la sorcellerie est de la « bibine » ! Il n’y a
  aucune recette qui, de près ou de loin, puisse être mise en
  application. Harry Potter manie des charmes dont rien ne nous est dit. Les formules latines (du latin « de cuisine ») sont infiniment
  trop brèves et, surtout, trop claires dans leur signification
  pour être utilisables. Il ne faut pas oublier que la sorcellerie
  repose sur une mise en condition de l’esprit d’une manière  à la fois subtile et intense. Car c’est la force de la pensée, en
  fin de compte, qui agit. Une formule magique, énoncée par un
  magnétophone (a fortiori par un ordinateur), avec autant de
  force que nécessaire, n’obtiendra jamais rien. L’art de la
  baguette magique est à peine ébauché chez Harry. En résumé
  (extrêmement bref), la baguette est celle du commandement,
  qu’elle symbolise et concentre. On la retrouve chez le sourcier.
  Mais il est vain de prêter à cette baguette un quelconque
  pouvoir intrinsèque. D’ailleurs, la variété des matières (bois,
  métal, résine de synthèse) et des formes (droite, coudée, en
  Y…) le montre bien. En tous cas, l’idée d’un rayon qui sort de
  cette baguette ne correspond en rien à la réalité, que ce rayon
  soit matériel ou symbolise une force invisible.
  L’usage des poudres est risible, même si certaines sont classiques,
  comme la « poudre de cheminette » employée par
  Harry et ses compagnons pour pénétrer dans le monde invisible  à partir d’une cheminée. Les sorciers ont fait des mélanges
  impressionnants et parfois dangereux. Mais, souvent, ils n’étaient
  pas faits au hasard. Un vieux recueil sur les loups-garous
  (Jean de Ninhauld, 1665) fait une liste de substances
  parfaitement cohérente. Il mêle les hallucinogènes et des plantes
  hautement toxiques tout à fait propres au but considéré :
  le dit « dédoublement de conscience » qu’était en fait la transformation
  en loup-garou. Sur ce thème, d’ailleurs, Rowling ne
  nous apporte rien, puisqu’elle présume qu’il s’agit d’une
  transformation physique, ce que les recherches ont maintenant  éliminé formellement. Rowling ignore tout de ces découvertes…
  Le savoir livresque est largement évoqué, en particulier par la
  jeune Hermione, avec une certaine dérision parfois. Mais c’est
  souvent elle qui offre à Harry et ses compagnons une issue à
  une situation désespérée. Les ouvrages, tous anciens (aucun
  n’est broché !), sont représentés comme d’augustes grimoires.
  C’est dire que le progrès et les recherches récentes sont ignorées,
  voire refoulées. Or, dans la réalité, si la sorcellerie ne
  manifeste pas de progrès évidents, (elle se cache), son héritier
  direct – le paranormal – présente des aspects singulièrement
  novateurs et porteurs d’ouvertures scientifiques, même au
  niveau des théories fondamentales. Rowling a fait l’impasse
  sur le sujet et même sur toute évocation dans ce registre.
  Quant à l’art du balai, il est présenté comme le symbole de la
  sorcellerie. Or, c’est une interprétation des juges lors des
  grands procès. C. Lecouteux, dans son ouvrage « Fées, sorcières
  et loups garous », en donne une interprétation qui convient
  assez bien au champ psy car il le situe principalement au
  niveau phantasmatique. Bien que ce ne soit pas la seule possibilité.
  Chez Rowling, la sorcellerie est donc tout au plus un
  argument. Le mot qui me vient à l’esprit à ce propos est  « C’est magique ! ». Rowling veut nous faire rêver et elle y
  parvient fort bien. Mais la sorcellerie qu’elle nous présente ne
  correspond, tout au plus, qu’à une idée du grand public.L’invisible, l’au-delà et les morts
  Pourquoi alors un tel succès ? Tout d’abord, il faut reconnaître
			               que ces ouvrages sont très bien écrits. En anglais, il s’agit
			               d’une très belle langue. Beaucoup d’enfants ont dit s’être mis
à lire grâce à Harry Potter. Mais il n’y a pas que cela. En effet,
l’auteur parvient à nous faire accepter une constante interaction
entre le visible et l’invisible. Et là, Rowling se situe dans
un parfait discours sorcier ! En effet, pour le jeune qui commence
à réfléchir aujourd’hui, la réalité paraît bien fade.
Certes, même dans des milieux relativement modestes, il a
tous les instruments les plus « magiques » qu’il souhaite :
Ipod, lecteur MP3, téléphone portable… en plus, bien entendu,
de l’ordinateur, du lecteur DVD, etc. Une technologie qui,
il y a dix ans encore, était inaccessible et, il y a seulement
vingt ans, aurait presque appartenu au délire. Mais cette technologie
a une fin. Elle constitue, dans le meilleur des cas, une
distraction qui ne répond pas aux aspirations de la jeune population.
Surtout chez ceux qui souffrent en eux-mêmes (je ne
parle pas de celui qui ne peut l’acheter, il se le fait prêter ou le
vole !). 
Cependant, quand nous sommes atteints dans notre chair ou
notre âme par un deuil, une séparation ou un accident de
quelque ordre que ce soit, la distraction n’est plus de mise.
Nous nous interrogeons. Ceci a-t-il un sens ? Le monde n’est-il
pas qu’un chaos ? Harry Potter répond à ces questions,
même si nous ne nous les posons pas clairement : sans cesse
l’invisible infiltre le visible. Il ne s’agit pas de l’invisible psychanalytique,
celui que révèle la cure, l’intuition ou le rêve,
mais d’un invisible « vrai », « matériel » en ceci qu’il a des
conséquences patentes, la vie, la mort, le cours des choses.
Certes, notre raison nie ce monde parce que, pour la plupart
d’entre nous, nous ne l’identifions pas dans notre existence.
Mais une incursion, même brève, le révèle bien vite dans notre
passé et les coïncidences qui l’ont émaillé.
En bonne anglo-saxonne, Rowling vit avec les fantômes. Elle
vient de Bristol, ville d’Angleterre fort loin de l’Écosse mais
elle n’ignore rien des brumes qui envahissent le Royaume-Uni
et qui y a forgé les esprits depuis des millénaires. En fait, elle
parle à nos profondeurs. Elle nous dit le monde que nous aimerions
voir, celui où nos défunts nous parlent comme s’ils étaient ici, où ils nous avertissent des dangers puisqu’ils voient
à-haut ! 
Le Bien et le Mal 
			               Le discours permanent au sein de l’oeuvre de Rowling est la
			               lutte entre le Bien et le Mal, personnifié par l’odieux Lord
			               Voldemort (qui aurait dû s’appeler « vol-de-vie »…).
			               Rappelons toutefois que le Diable est souvent qualifié de « Seigneur du Mal ». À tout mal tout honneur ! Ce Mal est un
			               phantasme typique. En effet, il est ubiquitaire, toujours prêt à
			               surgir sous une identité spécifique. Il est présent et se révèle
			               parfois sur les murs… car la bâtisse est vieille et porte bien des
			               secrets. On retrouve là une idée traditionnelle et quasi universelle
			               : le Mal est matériel, le Diable (donnons-lui une majuscule,
			               au moins ici !) existe réellement. Bien longtemps, avec
			               certaines interprétations de la psychanalyse, on a cru pouvoir
			               nier la méchanceté et le mal, ramenant tout à la souffrance.
			               Rowling n’y croit pas et elle affirme sa présence permanente,
			               menaçant chacun dans son corps et même dans sa vie. Le sang
			               est visible, il apparaît presque dans toutes les scènes. Avec la
			               perte du mouvement (certains personnages en sont privés,
			               pétrifiés) et la mort, ils constituent un témoin permanent de ce
			               Mal. La société de Poudlard est un monde dangereux, qui justifie
			               des interdits constants. Les enfants les transgressent, au
			               prix de blessures et de traumatismes qui nécessitent souvent
			               une hospitalisation. On est loin d’un monde de toute-puissance
			               où le héros s’en sort d’un claquement de doigt, comme
			               Tintin qui survit à tous les coups sans fracture ni goutte de
			               sang. Rowling donne libre cours à notre imaginaire, à ces
			               vieux démons que nous portons en nous et que véhicule notre
			               société depuis toujours. Cette Magie à laquelle elle fait référence
			               n’a d’historique que l’apparence. Elle est un pâle succédané
			               du Grand Albert, de l’Évangile des quenouilles et autres
			               balivernes du même ordre. Si notre société avait moins exclu
			               ces vieilles traditions, elles ne seraient pas réapparues avec
			               tant de force. L’adhésion des enfants de tous les pays occidentaux
			               est le témoignage d’un besoin viscéral de croire en autre
			               chose. Les adultes, et même l’intelligentsia, devraient se pencher
			               sur cet engouement dans leur discours et leur prétention à
			               détenir la Vérité ! L’être humain a besoin de rêve pour vivre. Or,
			               les sciences ne font plus rêver. Le temps où l’on imaginait que le
			               progrès amènerait le bonheur est révolu. Les religions elles-mêmes
			               se cantonnent à l’action sociale et n’offrent plus cet espace de pensée
		                 où l’on peut dire : « Oui, l’invisible est réel ! »…
		                 
  
			             Docteur Philippe Wallon 
			             
			           
			          
			 
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