La psycho
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      Les bébés
      sont-ils des élèves ?

      Les bébés sont-ils des élèves ?
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      L'enfant de deux ans est-il un élève ? Cette question semble, en fait, en convoquer deux : comment accueillir le mieux possible les enfants de deux ans à l'école ? Faut-il y accueillir les enfants de deux ans ? A mon sens, répondre à la première ne pourrait se justifier que dans un second temps. La pertinence de toutes les autres dépend de la seconde question. Pourtant, il arrive qu'elle soit déniée ou qu'elle fasse l'objet d'une réponse positive suggérant une évidence aveuglante. Il s'agit pourtant d'une question fondamentale et je voudrais m'y arrêter.

      Au cours d'un colloque sur le thème-titre de ce livre, un parent évoquait les bébés non francophones de la communauté turque au moment de leur scolarisation. Et un autre participant demandait : Les bébés sont-ils des élèves ? Ce paradoxe pourrait nous faire rire, mais... Sans vouloir mettre en doute la bonne volonté des tenants de la scolarisation précoce, je crains que nous n'oubliions qu'un enfant de deux ans est effectivement un bébé. Il y a peu de temps encore, le tout-petit pouvait être allaité jusqu'à deux ans. C'est encore vrai dans certains pays. Alors, bien entendu, lorsqu'on «met» un enfant à l'école entre deux et trois ans, il s'agit bien d'un bébé qui devient, ipso facto, un élève. Comment expliquer que la scolarisation de tout-petits puisse paraître possible, voire bénéfique ? Que deviennent nos connaissances sur son développement, ses rythmes particuliers, son besoin d'accompagnement singularisé, ses compétences extraordinaires mais cependant limitées par son immaturité ?

      Projet scolaire, inquiétudes d'adultes ?


      Peut-on penser que l'inquiétude des adultes les conduise à imaginer que seule l'école à deux ans permettrait aux enfants une scolarité ultérieure plus performante, une meilleure insertion professionnelle et sociale à l'âge adulte ? Espérons-nous, par désarroi, qu'il puisse s'agir d'une solution adaptée pour répondre aux difficultés qu'engendrent les nombreuses mutations économiques, sociales et culturelles, le changement de nos représentations familiales et la perte de repères anciens qui n'ont pas encore été remplacés par de nouveaux systèmes de valeurs, communs et partagés. Notre société en transformation, qui prône manifestement pour chacun une rentabilité immédiate et qui valorise la réussite sociale à l'aune des performances et des accumulations financières (tout en permettant l'exclusion du plus grand nombre), veut-elle croire possible de mieux s'adapter à sa jeunesse, de mieux répondre à ses enfants par leur accueil, une année supplémentaire, à l'école maternelle (maternelle, puisqu'il s'agit de s'y séparer de sa mère et de sa famille !) ? Subjugués par la découverte des capacités de l'enfant, aurions-nous peur de gaspiller la moindre parcelle de ses merveilleuses compétences ? Voulons-nous exploiter sans retard la moindre de ses potentialités ? Sommes-nous prêts à succomber à l'impatience, quel qu'en soit le prix ?

      L'école et la famille


      Il y a autant de façons d'élever et d'éduquer qu'il y a de familles et d'enfants. Le nouveau-né est porteur du passé de ses parents, c'est un contrepoids aux erreurs que font ses parents. Autant que leurs réussites, elles constituent une part de son identité. Après avoir soupçonné les parents de démissions laxistes, nous prenons conscience qu'ils ont pu être insécurisés, dévalorisés dans leur parentalité, par la diffusion massive mais réductrice et simplificatrice des connaissances sur l'enfance, par certains aspects (parfois nécessaires, mais parfois abusifs) de la professionnalisation de l'éducation et des soins, par les injonctions éducatives paradoxales successives qu'ils ont subies. Pourrions-nous croire, une fois de plus, qu'il faudrait qu'une institution se substitue à la famille (à certaines familles présumées trop démunies à tous égards) pour le bien des enfants, pour la prévention des incivilités et des délinquances, pour un avenir radieux ? Se pourrait-il que nous soyons aveuglés par notre souci, notre crainte d'un avenir incertain, au point de méconnaître le temps présent des enfants ? L'espoir de leur procurer une vie meilleure que celle de leurs aînés pourrait-il nous conduire à minorer ou à mésestimer les conquêtes de l'enfance au point de leur substituer des attentes prématurées ?

      Grandir et se construire


      Se pourrait-il que nous oubliions qu'élever un enfant, ce n'est pas seulement l'éduquer et l'instruire mais qu'il s'agit aussi de lui permettre de vivre et d'expérimenter, d'éprouver pour penser et comprendre, de percevoir et de sentir, à sa mesure? Se pourrait-il que nous valorisions et induisions trop précocement des acquisitions au détriment des pré-requis qui constituent la base des apprentissages, en préservant la richesse et la complexité ultérieures et en garantissent la solidité ? Oublions-nous que les maturations physiologiques, psychiques, affectives, et intellectuelles s'étayent mutuellement et que les sous-stimulations comme les sur-stimulations de l'un de ces deux champs peuvent déséquilibrer l'enfant ? Oublions-nous que l'intégration des découvertes infantiles et la réalisation des potentialités innées sont liées à certains délais et à des phases du développement qui constituent des périodes sensibles qui ne reviendront plus ? Les défenseurs de la scolarisation précoce attribuent à la fréquentation scolaire deux vertus : proposer à l'enfant des exercices adaptés à des acquisitions jugées nécessaires – si nombreuses et complexes qu'on pourrait se demander ce qu'il lui restera à découvrir le reste de son âge – et, par-dessus tout, socialiser. Ce sont, en effet, des objectifs judicieux lorsqu'il s'agit d'enfants qui ont déjà constitué l'essentiel de leur identité. Pour des enfants si jeunes, des bébés, il me semble que l'école risque d'accélérer des processus de maturation qui demandent de la lenteur et des régressions.

      Quelques rappels théoriques


      Au cours de sa troisième année, l'enfant commence à savoir très progressivement, de manière encore lacunaire (infantile), qui il est. Quelle est sa place dans la famille, puis dans le monde ? Entre deux et trois ans, la myélinisation va lui permettre de maîtriser ses sphincters anaux, d'acquérir la maîtrise musculaire qu'il exerce au cours d'un temps d'explosion motrice. Il va mieux se connaître, inventer un peu plus la différence entre le moi et le pas-moi, le dedans et le dehors, renoncer difficilement à la toute-puissance imaginaire pour découvrir peu à peu la réalité. Il ré-élabore constamment ses représentations de l'entourage, du monde et de lui-même. Il s'agit de reconnaître et de créer pour soi ce qui existe déjà, ce qui lui préexiste et à quoi il faut donner existence. Le tout-petit se prépare à reconnaître, en construisant son sentiment d'intimité, de continuité d'existence (Winnicott), de mêmeté d'être (Dolto), ses ressemblances et ses différences avec l'autre pour pouvoir le créer, et se créer, semblable et différent. Ce sont des prémices nécessaires dont il doit exploiter tranquillement l'ensemble des occurrences. Il a besoin pour le faire de s'appuyer sur un adulte maternant, lui-même soutenu par d'autres et par des représentations, dont les interprétations constituent la matrice de ses pensées et qui peuvent désintoxiquer la violence de ses affects. Le tout-petit qui change sans cesse et dont le monde s'élargit constamment a besoin de stabilité et d'habitudes. Il n'a pas de bouclier pare-excitations (Freud). Le rôle de ce filtre, qui protège l'appareil psychique de perceptions trop intenses en qualité ou en intensité qui pourraient le déborder, est d'abord assuré par l'adulte. À cette condition, cette protection se constitue très progressivement. Avant six ans, elle est particulièrement fragile ; à deux ans, elle commence à peine de se tisser. Lorsque certains espaces du bouclier ne sont pas suffisamment élaborés, comme lorsqu'il a été détruit par un événement de la vie, le traumatisme est ce qui va faire effraction en empruntant la voie de frayage ainsi ouverte. En ce sens, l'adaptation apparente du très jeune enfant à l'école (qui n'est pas toujours l'adaptation de l'école à l'enfant) ne dit rien de sa capacité ultérieure à réagir sans souffrance accrue à des évènements imprévisibles et parfois pourtant sans gravité ; les échecs scolaires, le doute de soi-même peuvent en être des conséquences. La disponibilité de l'adulte, d'abord presque absolue et immédiate, puis progressivement plus distraite mais encore extrêmement mobilisable, lui est donc indispensable. L'enfant va reconnaître la société humaine où il vit et s'y situer peu à peu, au fur et à mesure qu'il constitue son identité. Celle-ci ne sera relativement stabilisée qu'au cours de la phase œdipienne, c'est-à-dire lorsqu'il acquiert son identité sexuelle psychique, sa place dans la suite des générations, un Surmoi qui lui permette de distinguer le bien et le mal et lorsqu'il accède au principe de réalité.

      Le chemin de la socialisation humanisante


      Sans mythifier ce qu'il est convenu désormais d'appeler les interactions mère-enfant, le chemin de la socialisation se situe d'abord dans le constat étonnant de ne pas faire un avec la mère. C'est là que, pour renoncer à cette illusion et apprendre par soi-même à accepter de se séparer, l'enfant doit avoir eu la certitude de ne pas l'être (Dolto). Pour apprendre à être seul sans détresse, pour savoir utiliser la solitude avec créativité, il doit d'abord pouvoir être seul en présence de l'adulte (Winnicott). Il doit, avec ses premiers pas, s'éloigner de plus en plus d'une mère, dont l'immobilité lui semble absolument certaine et qu'il vient régulièrement retrouver, vers laquelle il retourne pour des temps de repos qui le restaurent. Persuadé d'être unique pour elle, il peut devenir lui. Ce faisant, il va, sans trop de tensions, explorer le monde et rencontrer les autres. En décidant par lui-même de la quitter, il va peu à peu découvrir l'entourage familial, puis les intimes, ensuite les familiers, plus tard les amis et connaissances pour pouvoir sans inquiétudes ni angoisse rencontrer avec plaisir les étrangers. Ce sont autant de transitions nécessaires, ménageant des pauses, des hésitations, des régressions et autorisant la prise de risque, les bonds en avant, le plaisir d'une autonomie rassurée par sa relativité reconnue et acceptée par l'entourage. Cette progressivité lui permet plus tard, quand il est suffisamment sûr que la séparation n'est ni une disparition ni un abandon, de l'accepter sans crainte et sans danger.

      Inventer d'autres lieux


      Ce que l'on appelle aujourd'hui socialisation dans le jargon de la petite enfance me semble viser la fin d'un processus sans en respecter les différentes étapes. En institution, sans évoquer les affects, heureusement profondément différents de ceux qui doivent rester réservés à la famille, avec leurs ambivalences et leurs sens, il est extrêmement difficile d'accompagner ce processus de manière suffisamment individualisée et attentive. Il est certain que le nombre des enfants, l'aménagement du temps et de l'espace ne permettent pas de répondre correctement aux besoins des enfants. De même, quels que soient le soin, l'attention, le dévouement des adultes, leur nombre est insuffisant. Quelques exemples scolaires pourront nous en convaincre. La condition réaliste d'accepter l'inscription à l'école des enfants lorsqu'ils n'ont plus besoin de couche implique pour beaucoup d'entre eux un dressage (parfois musclé) pendant l'été qui associe d'emblée la contrainte et la scolarité. Ensuite, l'organisation scolaire va enseigner aux enfants à satisfaire leurs besoins physiologiques en fonction des horaires et de l'emploi du temps. À l'âge où ils doivent apprendre à en reconnaître les signes, ils risquent de s'habituer à se fier à l'horloge plutôt qu'à leurs perceptions (à sa première rentrée, une petite fille disait avoir appris à faire pipi quand on n'en a pas envie !). Dans le meilleur des cas, en classe aménagée, il y a deux personnes presque à plein temps, parfois aidées d'une troisième pour dix-huit enfants seulement. Pour trois heures de présence, cela fait de six à neuf enfants de moins de trois ans par adulte, soit environ vingt minutes par enfant dans la matinée, à condition que l'adulte ne s'occupe que de lui sans jamais être distrait par un autre et qu'aucune activité de groupe n'empêche cette relation ! Que deviennent les autres pendant ce temps ? Comment tous ces enfants réunis pourront-ils courir en criant, sans entrave, sans se gêner, pour mesurer avec leur corps, leurs muscles, leur voix, l'horizontalité et la distance ? Comment pourront-ils dresser des tours et grimper pour comprendre la verticalité et savoir comment c'est d'être grand ? Comment vivront-ils des expériences suffisamment bonnes pour intellectualiser leur découverte sans être parasités par leurs émotions ? Le passage sans pudeur aux toilettes, la promiscuité, le bruit à la cantine et au dortoir, les brutalités de la récréation, le partage permanent de l'espace, des matériels et des adultes, l'appartenance constante au groupe, l'impossibilité d'un isolement fécond sans irruptions ni désintérêt sont autant d'irrespects de sa personne à l'époque où il devrait construire le respect de lui-même et des autres. Pour la majorité des enfants qui vont bien et ne rencontrent pas de difficultés personnelles et familiales, les retrouvailles du soir, les plaisirs de la vie compenseront ces inconvénients. Pour les plus fragiles, pour ceux auxquels la vie réservera peut-être de mauvais tours, il sera plus compliqué d'y faire face sans trop souffrir. L'entrée humanisée et humanisante dans le monde, l'usage d'une civilisation qu'on fait sienne pour y vivre avec les autres et parfois la transformer, réclament de la maturité et de la confiance. Les petits en sont parfois capables en présence d'un adulte psychiquement porteur et individualisant. Nous devons inventer des lieux où cela lui est possible. Il nous faudrait refuser la facilité d'aménagements qui composent, avec ce qui existe déjà, pour choisir résolument d'inventer de nouvelles réponses qui tiennent compte de ce que nous savons aujourd'hui des compétences et de l'immaturité du jeune enfant. Soucieux du respect de l'enfant et de sa famille, de leurs diversités et de leurs richesses, il nous faudrait proposer avec imagination, originalité, créativité, des lieux d'accueils nouveaux.

       

      Martine Le Strat

       

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