Par leur recrudescence et leur diversité, les consommations de cannabis à l'adolescence lancent un défi clinique aux professionnels de l'aide aux usagers de drogues : pourquoi les « fumettes » de « joints » connaissent-elles un tel développement chez les jeunes ? Comment faire la part des choses entre les usages « festifs » de cannabis et la consommation régulière, voire addictive de ce produit ? Quels liens existe-t-il entre un usage de cannabis et le mal-être adolescent ? Dans quelle mesure cet usage risque-t-il de s'installer au long cours, ou même de faciliter l'utilisation d'autres substances « psychoactives », licites (alcool, etc.) comme illicites (héroïne, ectasy, etc.) ? Et concrètement, comment intervenir, tant sur le versant de la prévention que sur le versant thérapeutique, auprès des « ados » qui fument des « joints », sachant que ces jeunes sollicitent peu d'aide ?
Les professionnels le disent, ces questions se posent avec une insistance particulière aux interlocuteurs de « première ligne » des adolescents : leurs parents. De fait, si peu de jeunes fumeurs de cannabis consultent spontanément et pour eux-mêmes, leurs parents effectuent fréquemment cette démarche. Qu'observe-t-on alors ?
La banalisation du consommateur
L'adolescent tend à banaliser sa consommation : « Ça n'est rien », « Actuellement tout le monde fume », « C'est comme prendre l'apéro », « La loi française est ringarde sur ce point », « On peut arrêter quand on veut ». Les parents, eux, tendent à s'affoler : « Ses résultats scolaires sont en chute libre », « Il refuse d'en parler avec nous », « Il s'isole des autres jeunes », « Ça va le rendre fou », « Rien ne nous garantit qu'il ne se retrouvera pas avec une seringue dans le bras ». La désinvolture du jeune fait paniquer ses parents, ce qui renforce ensuite l'opposition de l'intéressé, occupé globalement – à l'instar de ses pairs – à se démarquer de ses proches pour, à terme, quitter le foyer familial.
La prise en charge professionnelle
Face aux parents et aux adolescents pris dans un tel cercle vicieux, le psychologue intervient en plusieurs temps :
- Il évalue le rapport que le jeune entretient avec le cannabis, sachant que le degré d'attachement psychologique à ce produit va de pair avec la fréquence de son utilisation : l'adolescent a-t-il consommé une fois du cannabis pour faire une expérience (sans suite) ? En fume-t-il de temps à autre pour faire la fête avec ses copains, sans que cette pratique « envahisse » sa vie quotidienne ? Fume-t-il des « joints » de façon quotidienne et plutôt solitaire ? Est-il « accro » au cannabis au point que sans, l'existence lui paraîtrait insupportable ? Certes, à peine 3 % des jeunes qui fument du cannabis sont toxicomanes, c'est-à-dire qu'ils ne peuvent psychiquement pas s'en passer et la plupart des utilisateurs réguliers de cette substance peuvent y renoncer sans redouter d'être submergés par une souffrance psychique plus ou moins camouflée par le produit. Il n'en demeure pas moins que les adolescents qui fument quotidiennement des « joints » ne sauraient être tenus pour des « fêtards » ou pour des « provocateurs ». Chez ces jeunes, le mal-être inhérent à la crise d'adolescence est accentué : les enjeux d'autonomie et d'attachement psychiques normalement conflictuels à cet âge se traduisent chez eux par une intense « tempête sous le crâne ». Dans ce contexte, la consommation régulière de cannabis peut avoir plusieurs significations : un procédé « auto-calmant » qui facilite la gestion d'une agressivité à fleur de peau, un moyen pour accentuer la délimitation d'un espace à soi, d'une « bulle » où l'on peut cultiver ses pensées et ses sensations à bonne distance des proches (en premier lieu, des parents), le contournement d'une certaine gêne à se confier à d'autres jeunes, par exemple en matière de sexualité, etc.
- Le psychologue complète l'évaluation du rapport subjectif du jeune au cannabis par un apport d'informations au sujet des risques objectivement liés à l'utilisation du produit, tout en rappelant de manière « citoyenne » l'état des lois : l'altération de la vigilance (préjudiciable à l'effort intellectuel et à la conduite d'engins motorisés), la démotivation (coupure relationnelle et perte du désir de réaliser des projets), l'absence de garantie d'anonymat de la part des revendeurs (qui n'hésitent pas à livrer le nom de leurs clients en cas d'interpellation par les forces de l'ordre)... Il s'agit par ce biais de diminuer l'écart qui existe, tant chez les parents que chez les jeunes, entre les représentations au sujet du cannabis et la réalité.
- Après avoir circonscrit le rapport psychologique de l'adolescent avec le cannabis et permis aux parents, comme au jeune, de se faire une idée réaliste de la consommation de l'intéressé et des risques qu'il prend, le psychologue engage l'entretien vers les relations intra-familiales. Il s'agit, notamment, de savoir si les parents s'autorisent à faire part de souvenirs ou d'anecdotes tirés de leur propre adolescence pour offrir des repères à leur rejeton, qui se construit psychiquement en adhésion ou/et en opposition à ces repères. Parfois, un tel questionnement suscite un embarras massif chez les parents. Dans d'autres cas, on découvre qu'un usage soutenu de cannabis a débuté à la suite d'un événement familial bouleversant dont le jeune a tenté d'atténuer l'impact en s'appuyant sur les effets sédatifs du produit : déménagement impromptu, séparation des parents, décès, révélation d'un secret de famille, etc.
Sur le plan de la prise en charge, plusieurs options sont possibles. Si l'adolescent n'est pas dépendant du cannabis, des entretiens de guidance lui seront proposés : lors des rencontres, le jeune verbalise ce qu'il ressent auprès d'un adulte extérieur à sa famille (pour ne pas envenimer ses rapports avec celle-ci) ; des entretiens du même type sont proposés aux parents, afin de les aider à mettre en place des mesures éducatives fermes et nuancées et d'en évaluer régulièrement la portée. Par contre, si l'adolescent est « accro » au cannabis ou/et si le malaise de ses parents face à cette consommation semble s'ancrer dans des événements mal « digérés » de leur propre histoire, une prise en charge psychothérapeutique – individuelle ou/et familiale – est nécessaire.
Pascal Hachet
