Jean Cocteau aurait dit : «Un enfant prodige est un enfant dont les parents ont beaucoup d’imagination». Aujourd’hui, les médias se sont emparés du sujet. Le thème de l’enfant surdoué fait recette.
Il existe un mythe de l’enfant prodige ou « surdoué », véhiculé par les médias qui ouvrent la voie à un amalgame de représentations. Ainsi, il arrive que le résultat au test de QI d’un enfant dépasse 125. Si ce type de résultat témoigne de compétences supérieures à la moyenne au niveau de ce qui est mesuré (raisonnement, capacités déductives, etc), certains auteurs ont malheureusement une propension à employer le terme prodige ou même génie. Pourtant, ces enfants, très sensibles du point de vue émotionnel et physique, sont très fragiles dans des registres où la logique ne peut agir. De plus, étant considérés comme hors norme, leur intégration sociale est difficile car ils font l’objet de préjugés et d’une méconnaissance de ce qu’ils sont vraiment.
Différencier le mythe de la réalité
Mozart était certes un génie musical mais le mythe de l’enfant prodige jouant du piano à 5 ans fait oublier qu’il n’était pas le seul bambin dans son milieu à faire de même. Il était en effet de coutume, à cette époque, et qui plus est dans une famille de musiciens, qu’un enfant joue du piano avant de savoir lire. Il ne faut pas oublier non plus les heures de gammes que Léopold, son père, lui imposait. On a tendance aussi à mettre de côté l’utilisation qu’en a fait Léopold au point d’exhiber Wolfgang, tel un objet de foire, de le préférer à sa soeur moins douée, pour assouvir ses propres rêves de gloire. Dans le même ordre d’idée et pour actualiser le phénomène, réussir son bac avant 15 ans ouvre les portes de la petite lucarne et permet à des millions de téléspectateurs de s’extasier. Pourtant, tout comme l’enfant vedette du
show business, l’enfant prodige est parfois parachuté précocement dans un monde d’adulte où son âme d’enfant peut être malmenée. En effet, une confusion dans l’ordre psychogénétique peut entraîner des conséquences dommageables. L’enfant, aussi « prodige » soit-il, reste toujours avant tout un enfant dont les préoccupations ne peuvent être celles d’un adulte.
« Ses ailes de géant l’empêchent de marcher »
L’enfant surdoué se trouve, quoi qu’on en dise, dans une situation paradoxale. S’il réussit ce que le commun des mortels ne réussit pas à son âge, il demeure pourtant prisonnier de ce principe de réalité qui veut que son développement physique et affectif soit celui de sa classe d’âge. C’est pour cela que l’on parle de la « souffrance de l’enfant précoce », même si il existe toujours des exceptions pour confirmer la règle. Le docteur Alain Gaubert, ancien psychiatre des hôpitaux, parle du « Complexe de l’albatros », en référence au célèbre poème de Charles Beaudelaire. Lors d’une conférence-débat, ce médecin a précisé qu’il peut paraître banal de comparer l’Albatros du poète, piteusement empêtré dans ses grandes ailes blanches dès qu’il abandonne les hauteurs, pour se mettre au niveau du commun des Hommes et l’enfant dit « surdoué », tellement gêné (pour ne pas dire « handicapé ») par sa haute intelligence qu’il doive parfois inhiber ses potentialités (rogner ses ailes) pour tenter de s’adapter au système scolaire qu’il trouve souvent peu stimulant pour lui et se faire socialement accepter... Il en va de même en ce qui concerne l’enfant vedette. René Simard, ex-enfant vedette à qui on demandait de donner des conseils à des parents d’éventuels enfants célèbres, répondit après un long silence évocateur :
Attendez qu’ils aient 18 ans, ils voleront de leur propres ailes. Selon un reportage sur le sujet effectué au Canada, c’est à l’école que le prix à payer de la célébrité est le plus lourd. Les quolibets issues de la jalousie fragilisent ces enfants différents.
Et si chaque enfant était un prodige !
La période de l’enfance prépare à une vie d’adulte responsable. Aussi, respecter la maturité affective de chaque bambin, en se gardant de toute notion de performance, éviterait bien des questionnements quant à des discours tels que « plus intelligent que…, grand pour son âge…, surdoué, etc… ». Ces tentatives de définition, même si elles reposent sur quelques fondements, peuvent réduire un enfant à une étiquette. Ainsi, à insister sur le fait qu’un enfant est
précoce, s’il réussit là où d’autres de la même classe d’âge échouent, on risque d’alimenter une mauvaise différence, alors qu’il devrait être question d’unicité. Certes, il est utile de se pencher sur le cas de tout élève qui sort de la norme pour essayer d’en comprendre les mécanismes, ce que ne manquent pas d’ailleurs de faire les spécialistes. Mais il serait aussi judicieux de penser que chaque enfant, surdoué ou pas, est un être fragile, dépendant d’adultes qui ont la responsabilité de ne pas faire de lui un objet de foire. Françoise Dolto a ouvert la voie, elle qui voyait en chaque petit d’Homme un prodige à lui tout seul. Elle ne s’occupait surtout pas des apparences mais de la vie intérieure de chacun d’entre eux. Un enfant trisomique avait pour elle des ressources que les gens dit normaux ne voyaient pas. Il suffit d’écouter les anecdotes qu’elle cite dans ses conférences pour en être convaincu. Aimer un enfant pour ce qu’il est et non pas pour ce qu’il fait pourrait être le challenge de notre société, malheureusement souvent à l’affût d’un sensationnel qui la détourne parfois de l’essentiel.
Xavier Brisseau
