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La psycho
dans Signes & sens
Rompre avec les addictions
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Le terme « addiction » (utilisé en psychiatrie depuis 1990) renvoie à l’étymologie latine « ad-dicere », signifiant « dire à ». Les esclaves romains, ne possédant pas de nom propre, étaient « dits à » leur maître. Ainsi la notion d’esclavage s’inscrit-elle archaïquement chez l’addictif.
Couper le lien avec une telle dépendance n’est quoi qu’il en soit jamais aisé. Pourtant, l’objectif reste réalisable, en privilégiant, entre autres, le bénéfice de la guérison plutôt que la perte de l’étayage artificiel.
L’avis des spécialistes
Le psychiatre anglais Aviel Googman définit l’addiction comme étant un processus dans lequel est réalisé un comportement qui peut avoir pour fonction de procurer du plaisir et de soulager un malaise intérieur, et qui se caractérise par l’échec répété de son contrôle et sa persistance en dépit des conséquences négatives. Pour le docteur William Lowenstein, auteur de « Ces dépendances qui nous gouvernent : comment s’en libérer ? », il est indispensable d’identifier son comportement addictif et de s’en préoccuper sérieusement quand vouloir n’est plus pouvoir (vouloir arrêter mais ne plus le pouvoir), quand savoir (que ce n’est pas bon pour la santé, pour son couple, son travail) n’aide plus à pouvoir (réduire ou stopper sa consommation ou son comportement), quand lors de l’arrêt de la consommation, ou de sa forte diminution, tout va plus mal et « on ne pense qu’à ça ».
Oser en parler
Les raisons qui font qu’un être humain développe une addiction sont propres à chaque individu. Ainsi est-il mal indiqué de vouloir coller une étiquette réductrice sur toute forme de dépendance. Reconnaître son addiction, ses dangers et ses dérives reste la première attitude à avoir, à condition de ne pas sombrer dans une victimisation ou une culpabilité démoniaque. Vous êtes accro au tabac, à l’alcool, aux jeux (d’argent ou virtuels) ou au sexe ? Sachez en tout premier lieu qu’il ne s’agit pas d’une fatalité et qu’il est possible d’agir efficacement. Le premier pas sur le chemin de la libération consiste à oser en parler sans se sentir jugé. Une telle démarche est possible, tout en gardant un certain anonymat. Des services de permanence téléphonique en matière d’addictologie (y compris en matière de drogue) peuvent permettre de sortir d’un sentiment de honte, tout en esquissant des solutions. La consultation médicale ou psychologique permet aussi d’envisager des ouvertures. Rompre avec l’addiction commence toujours en remplaçant les maux par des mots…
Stop à la résignation !
Avant d’en arriver à une extrémité qui deviendrait pathologique et irrémédiablement autodestructrice, les spécialistes en addictologie encouragent à expérimenter la méthode la plus en adéquation avec sa sensibilité : thérapie comportementale pour les uns, travail en profondeur pour d’autres (de type psychanalytique, voire spirituel). Armand, ex-alcoolique, ne boit plus une goutte d’alcool depuis 7 ans à l’issue de sa cure de désintoxication réussie. J’étais intimement prêt à faire le pas, témoigne-t-il. Cet état d’esprit a contribué pour 50 % à ma réussite. Il n’en a pas été de même pour Gwendoline qui, rechutant après 2 mois d’abstinence, a éprouvé le besoin de démarrer une cure psychanalytique pour comprendre à qui elle s’identifiait inconsciemment lorsqu’elle buvait. Ce travail sur elle lui a permis petit à petit de se débarrasser des angoisses sous-jacentes liées à sa compulsion orale. Pierre, addict au jeu d’argent, a pu rompre avec les casinos grâce à un enseignant de yoga auprès duquel il a acquis des outils psychocorporels qui l’ont aidé à maîtriser ses pulsions incontrôlables jusque-là. On voit bien, à la lumière de ces exemples, que le principe de guérison, inhérent à chacun, prend des formes différentes. Le tout est d’être persuadé qu’il y a mieux à faire que de se résigner.
Choisir la liberté
Les addictologues s’accordent à penser que les interdictions, aussi judicieuses soient-elles, ne suffisent pas à induire une attitude libératrice. À l’inverse, une réelle motivation faisant appel à un engagement intime pour se libérer vient à bout de n’importe quelle addiction. C’est à partir d’une telle décision que les opportunités se manifestent. Les techniques de gestion mentale, de sophrologie ou de toute autre médiation fonctionnent dès lors qu’elles sont envisagées comme des supports au service d’une liberté à reconquérir. Car il s’agit bien d’une reconquête ! L’addiction est venue à un moment donné, séduisante mais illusoire, combler un manque. Le problème reste qu’elle s’est transformée en prison de moins en moins dorée… Sortir de la dépendance consiste à délibérément se prendre en charge et à ne plus laisser l’addiction décider pour soi.
François Delcourt
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