« Lorsque sur les conseils de mon médecin, j’ai commencé un travail en art-thérapie, j’étais dubitative. Mais, n’arrivant pas à émerger d’une dépression sévère à la suite de la mort de ma fille Maïa, décédée dans un accident de la route, je me suis laissée guider. Je m’inquiétais du principe même de la peinture-thérapie car si je peignais en amateur, je ne comprenais pas très bien comment cette médiation muette pourrait m’aider. Plus le temps avançait et plus je ne pouvais que constater mon changement d’attitude face à la révolte que je pouvais ressentir devant l’injustice du décès prématuré et violent de mon enfant. Ma thérapeute me laissait libre, en apparence, de peindre ce que je désirais. Cependant, au bout d’environ un an, je réalisai que chaque rencontre démarrait autour d’un mot, d’une idée, d’un souvenir. Cette induction me conduisait à projeter sur la toile ce qui me gênait au plus profond de moi. Jusqu’au jour où mon art-thérapeute m’ayant fait « associer », en début de séance, sur le mot rivalité, j’ai représenté un bocal avec deux poissons rouges à l’intérieur. J’avais peint un lit de galets assez impressionnant par rapport au reste de la représentation. Je suis restée un peu médusée quant à mon travail. Ma thérapeute m’a laissée un grand moment face à mon œuvre, c’est-à-dire confrontée à mon inconscient. C’est là où j’ai retrouvé la mémoire. Mon père, colon, était mort lors des évènements d’Algérie. Je croyais qu’il avait été tué par balles. Tout d’un coup s’est imposée à moi l’idée d’une lapidation. Dès la fin de ma séance, j’ai appelé ma mère, très âgée, mais toujours en vie. Celle-ci croyait que je « savais » : effectivement, mon père était tombé dans une embuscade et avait été assassiné à coups de pierres. Tant que la réalité de ce drame n’avait pas été mise à jour, je ne pouvais en aucun cas aborder non-névrotiquement la mort de Maïa. D’autant que je compris alors qu’on ne peut s’occuper des tragédies de notre vie que dans la mesure où on les règle selon un ordre chronologique juste. Par ailleurs, la mise à jour des conditions réelles de la mort de mon père m’a permis aussi de comprendre le lien avec la disparition de ma fille : le conducteur du camion qui a provoqué l’accident fatal transportait à ce moment-là dans sa remorque un énorme tas de pierres ».
Élisabeth, 55 ans.
