George Sand,
une féministe avant l’heure

George Sand, une féministe avant l’heure



Aurore Dupin, baronne Dudevant, plus connue sous le nom de George Sand, s’inscrit dans la mémoire collective en reconnaissance d’une œuvre littéraire, en harmonie avec le romantisme de son époque et l’instauration des premières valeurs républicaines.

Aurore naît à Paris le 1er juillet 1804 au sein d’un couple dont la mère, Antoinette Sophie Victoire Delaborde, avait vécu un temps de ses charmes et dont le père, Maurice Dupin, colonel de l’armée française, descendait d’une lignée aristocratique, trop attaché à une mère devenue veuve. L’enfant est placée très tôt en nourrice, rejetée par la famille paternelle et éloignée de sa mère. Elle connaît, dès ses premiers pas, les affres de la séparation et ce, tout au long de sa vie. Récupérée par ses parents vers l’âge de trois ans, elle fait la douloureuse découverte de sa mère attendant un enfant. Un petit frère naît aveugle et décède quelques mois plus tard. Son père disparaît à son tour peu de temps après lors d’un accident de cheval. Ces disparitions successives renforcent la culpabilité de la petite Aurore qui se croit responsable des tragédies familiales. À la suite de ces profondes injustices qui frappent la famille, elle part vivre à Nohant, au cœur du Berry, chez la grand-mère Dupin qui l’éloigne encore une fois de sa mère. Éduquée et habillée à la manière d’un garçon prénommé “ Maurice ” en mémoire de son père, Aurore finit par s’inscrire dans une totale confusion identitaire, manifestant déjà des signes de révolte et d’insoumission. Plongée dans l’acmé de ses souffrances, elle vit déchirée entre deux femmes : Ma mère et ma grand-mère, avides de mon affection, s’arrachèrent les lambeaux de mon cœur… À l’adolescence, elle intègre un couvent à Paris. Elle devient un vrai petit diable connaissant, cependant, de grandes périodes d’apathie et de mélancolie. Au contact d’une religieuse, elle se jette dans la dévotion mystique, refoulant ainsi toute l’agressivité qui la ronge : Je brûlais littéralement comme Sainte-Thérèse, je ne dormais plus, je ne mangeais plus…

Une union réparatrice
De retour à Nohant, Aurore est confrontée à la grave maladie de sa grand-mère qui, sentant la fin se rapprocher, lui révèle la vie de débauche de sa mère. Succombant à l’inéluctable réalité, elle tente de mettre fin à ses autoaccusations par un acte suicidaire. Cependant, la pulsion de vie reprend rapidement le dessus et quelques mois plus tard, Aurore se met en quête d’un mari. Séductrice de nature, elle n’a aucune difficulté à conquérir le sous-lieutenant Casimir Dudevant, un homme à l’image de son père. Leur mariage est célébré le jour même de la date anniversaire du décès de Maurice Dupin… Les premiers temps de la vie commune, Aurore se sacrifie corps et âme pour son époux, déniant toute vie personnelle. La venue de son premier enfant, qu’elle prénomme Maurice en réparation du père disparu, semble quelque peu apaiser les souffrances d’une enfance en mal d’affection. Mais une distance s’établit rapidement au sein du couple et Casimir en vient à reprocher à sa femme son manque de tendresse et sa frigidité dans leurs ébats amoureux. Dès lors, les symptômes hystériques s’amplifient et les conflits psychiques se convertissent en symptômes corporels : migraines, toux, coliques… D’un commun accord, elle part à Paris se consacrer à l’écriture et au journalisme et, en septembre 1828, naît un deuxième enfant, Solange, dont la paternité reste floue.

Une femme phallique
Casimir quitte l’armée et se met à boire. La vie devenant intolérable au près de cet homme jaloux, Aurore décide de se séparer de son conjoint dont elle ne supporte plus la présence et les violences. Partagée entre Paris et Nohant, elle prend des dispositions pour le bien-être de ses enfants et bénéficie maintenant d’une totale autonomie, avouant : Pour moi, la liberté de penser et d’agir est le premier des biens. Elle écrit des nuits entières et poussée par la réalité économique, met sa plume au service de journaux contestataires où elle défend les droits de la femme dans une société très phallocentrique. Elle se lance ardemment dans la littérature : L’amour du travail sauve de tout. Je bénis ma grand-mère qui m’a forcé d’en prendre l’habitude. C’est la naissance de ses premiers romans qu’elle signe désormais du pseudonyme de George Sand avec “ Indiana ” et “ Valentine ” en 1832 et “ Lélia ” en 1833. George ne laisse personne indifférent, inspirant enthousiasme et calomnie. Elle fume le cigare, s’habille comme un homme, fréquente les lieux culturels prisés de la capitale, animée du puissant désir de rivaliser avec la gent masculine ; séductrice au caractère affirmé, embrasant les regards, elle érotise ses relations pour captiver les détenteurs du pouvoir. L’ambiguïté identitaire, qui la poursuit depuis son enfance, remonte donc au temps où on l’appelait Maurice et à l’enfant de remplacement qu’elle fut pour la grand-mère Dupin. Elle bannit son prénom féminin, Aurore, pour prendre celui de George, prénom on ne peut plus ambivalent. Musset, dans ses lettres, l’appelle Mon George ! Elle établit inconsciemment des rapports de femme phallique à hommes châtrés, entre elle et ses amants. Elle prend la place du père dans ses relations amoureuses, et son amant, celle de l’enfant maladif et capricieux. Constante insatisfaite, elle impose à ses amants le fantasme de la jouissance. L’hystérique cherche dans l’autre une relation de dominant à dominé qui l’attire et bientôt la déçoit. C’est un arrêt sur image au stade phallique, figé sur une amphibologie sexuelle où, selon Lacan, le sujet mâle ou femelle s’interroge sur ce que c’est qu’être une femme. L’hystérique s’identifie au phallus imaginaire, à cet objet qui symbolise le pouvoir, le savoir, l’homme, soit le Père.

Musset et Chopin
Musset écrit à George Sand ces vers : Te voilà revenue dans mes nuits étoilées. Bel ange aux yeux d’azur, aux paupières voilées. Amour mon bien suprême, et que j’avais perdu… Le poète l’aime comme on aime une mère. George, dans sa dernière lettre, lui adresse en vain ces mots : Adieu mon enfant, que Dieu soit avec toi ! Dans “ Elle et Lui ”, publié en 1859, George Sand décrit ses amours et les troubles morbides du “ Poète déchu ”. Elle devient la maîtresse de Frédéric Chopin et partage neuf années d’une vie torrentueuse avec ce compositeur névrosé et souffreteux, fuyant les contraintes de sa propre destinée. À l’image de Musset, il tient le rôle du fils malade et George celui de la mère aux soins de son enfant. C’est l’odyssée du voyage de 1838 à la Chartreuse de Valdemosa à Majorque où se rejoue Venise. Dans son roman “ Lucezia Florani ”, elle parle des infortunes de sa relation avec Chopin.

L’engagement politique
Lors de la Révolution de février 1848, elle est emportée par l’exultation de la foule défilant sur les grands boulevards de Paris. C’est son heure de gloire où elle s’implique politiquement dans l’espoir de parvenir à l’abolition des inégalités sociales. À Maurice, elle écrit sa joie de vivre : Me voilà occupée comme un homme d’État. J’ai fait deux circulaires gouvernementales aujourd’hui… Et sa lutte lui fait reprendre goût à la vie : J’ai le cœur plein et la tête en feu. Tous mes maux physiques, toutes mes douleurs personnelles sont oubliés. Je vis, je suis forte, je suis active, je n’ai plus que vingt ans. En s’identifiant au peuple révolutionnaire, elle récupère son manque à être : le déni de la castration l’anesthésie de la douleur d’être une femme. Elle sublime son amour meurtri sur des espérances en un monde plus juste. Elle se sent du peuple, du côté des prolétaires, elle en qui coule un peu de sang royal. Ses opinions socialistes se font plus radicales et ses idées remettent en cause l’aliénation des travailleurs au capitalisme bourgeois. Elle est portée par le mouvement populaire, mue par les intellectuels de gauche et l’esprit quarante-huitard : Michel Bourges, Cavaignac, Lamennais, Pierre Leroux… Son idéalisme incite le peuple à remonter sur les barricades et à verser le sang pour sauver la IIème République pressentie en péril. Mais le gouvernement fait les yeux doux aux conservateurs, les socialistes sombrent dans la désillusion et George s’écrie : Soyons communistes ! Elle sent les possédants revenir au pouvoir. Les utopistes de 1848 sont balayés par le coup d’État de Louis-Napoléon. L’avènement du nouvel impérialisme mate rapidement les tentatives subversives des insurgés et brise les symboles de la République.

Une retraite créative
Aurore, déçue, frustrée, retourne dans son pays berrichon pour y méditer de longues heures sur son piano le “ Don Giovanni ” de Mozart. C’est le retour à l’histoire de sa vie, de la littérature avec “ La petite Fadette ”. Cette retraite est favorable à la reprise de son œuvre et sa vie d’écrivain prend un essor nouveau. Certains de ses livres connaissent un succès considérable comme “  La mare au diable ”, “ Les Beaux messieurs du Bois doré ”, “ Daniella ”, “ Jean de la Roche ”, “ Mademoiselle la Quintine ”…, édités dans le monde entier ; d’autres sont adaptés au théâtre. Son épanouissement affectif semble évoluer singulièrement cependant qu’elle écrit : Je ne veux pas, je ne peux pas vivre sans aimer…

Alexandre Manceau
Elle rencontre alors Alexandre Manceau, un graveur sur cuivre de quelques années plus jeune qu’elle. Il est le premier amant à établir une relation tendre de partage. En fait, il se refuse à profiter d’une femme hypersensible… Alexandre œuvre pour son art. Il s’occupe parallèlement de la propriété et de la comptabilité de Nohant, ainsi que de recopier les écrits de Sand, prenant soin d’elle au moindre épuisement, tout en continuant de l’appeler “ Madame ” en public. Pour la première fois, Aurore donne l’image d’une femme sur la voie du bonheur : Je me porte bien, je suis heureuse, je supporte tout, même son absence, c’est vous dire, moi qui n’ai jamais supporté cela !

La paix intérieure
Travaillant jour et nuit, dormant peu, elle se consacre le jour à son jardinet, sa couture, ses enfants et à la petite Nini, fille de Solange qui meurt à l’âge de deux ans d’une scarlatine… Aurore a passé sa vie à dissimuler sa souffrance dans ses romans… La séparation d’avec sa mère, survenue trop tôt après sa naissance, a laissé une cicatrice impossible à refermer. Cette blessure narcissique, que l’enfant vit comme une perte de son moi, est réanimée à chaque rupture qui survient avec l’objet aimé. George Sand n’a pas manqué d’événements tragiques en ce sens. Elle a cru en l’amour de sa mère, elle a cru en l’amour des hommes, au partage absolu de l’Amour. En dépit de ses besoins affectifs, elle a multiplié ses rencontres amoureuses et dévoré les hommes dans l’espoir de retrouver une partie d’elle-même dans les bras de ses amants. Elle s’offrait comme tout hystérique mais ne se donnait jamais par peur de se perdre. Désormais, forte de sa générosité, elle se met au service des plus démunis, pratiquant la charité anonyme qu’elle appelle l’or du bon Dieu. Elle éprouve enfin la paix intérieure : Ne vous plaignez pas du travail ingrat et acceptez-le comme une bonne chose, les trois-quarts de vie sacrifiés à un devoir quelconque font le dernier quart très fort et très vivant. Elle a, comme autre bonheur, celui d’être à nouveau grand-mère d’Aurore et de Gabrielle, les deux filles de Maurice. George, la révoltée, la fougueuse, ayant exhorté haut et fort l’amour libre et la passion, trouve au crépuscule de sa vie un peu de douceur : Depuis que je sens la main de la vieillesse étendue sur moi, je sens un calme, une espérance et une confiance en Dieu que je ne connaissais pas dans l’émotion de ma jeunesse…

La voix de la femme
En 1875, déjà diminuée par des rhumatismes paralysant son bras droit, elle commence à ressentir de vives douleurs entériques. Envisageant la mort avec sérénité, elle écrit : Le bonheur c’est (…) l’acceptation de la vie quelle qu’elle soit. Le 8 juin 1876, celle dont Tolstoï disait qu’elle respire toujours la bonté et la distinction morale, décède d’une occlusion intestinale. Elle reste par ses écrits et ses engagements politiques, son rôle social avant-gardiste et son existence même, la voix de la femme en un temps où la femme se taisait, exposant à l’humanité entière les désirs de la gent féminine du XIXème siècle.

 

Alain Laudet

 

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