La résilience et moi

     
    C'est un moment insolite, inattendu, parfois difficile de leur existence. Ils ont choisi de témoigner et de nous confier comment ils s'en sont sortis... seuls. Ils nous expliquent aussi ce qui a changé en positif et " pour de bon " dans leur vie à partir de l'obstacle ou de l'épreuve qu'ils ont eu à franchir et à dépasser. Si vous avez connu un épisode de ce type auquel vous n'étiez pas préparé, adressez-nous votre courrier qui sera lu et mis en ligne si son contenu a été sélectionné par la Rédaction...
     

    On me voit partout !

    Le chirurgien voulait m’enlever mon utérus
    ©iStock

     

    Aurélie, mariée, mère de deux grands fils, Julien et Benjamin, est une femme active. Elle exerce sa profession d’esthéticienne de façon intéressante, organisant même régulièrement des rencontres pratiques entre ses clientes et les responsables des lignes de soins de beauté qu’elle représente. Dynamique, créative, toujours à l’affût de formations innovantes, elle bouge beaucoup…

    Les gens ne sont pas toujours habiles dans leurs questions et j’avais été un peu déstabilisée par une de mes clientes qui m’avait demandé si j’avais quitté mon mari. De façon spontanée, je lui avais répondu par la négative et j’avais senti dans son regard davantage encore d’interrogations. Elle avait d’ailleurs enchaîné en me précisant qu’elle croyait m’avoir vue, avec des sacs pleins de provisions, au bas d’un immeuble situé non loin de chez elle. Elle cherchait à en savoir plus et je trouvai la tournure de la conversation limite. Surtout quand elle commença à me parler de liaisons extra-conjugales, ce sujet faisant irruption sans aucune logique. Ma cliente pensait donc que j’avais un amant… Dans ce cas-là, professionnellement, quand je n’arrive pas à me dépêtrer de propos qui me semblent déplacés, je recentre la personne en soins esthétiques, sur elle, en lui suggérant les nouvelles techniques de massages faciaux par exemple, les produits qui viennent d’être lancés sur le marché, insistant volontairement sur les tendances maquillage qu’elle pourrait essayer… J’insinue alors qu’au lieu de s’occuper des autres, elle ferait mieux de se regarder en face… Ce n’est peut-être pas très gentil mais mon Institut de beauté bénéficie d’une belle réputation et je n’ai pas envie que mon établissement devienne un rendez-vous de mauvaises langues… Quelque temps après cet épisode désagréable avec ma cliente, mon fils aîné Julien - de passage à la maison - chercha à entamer une discussion qui ne collait pas avec ce que nous nous étions dit précédemment. Il y avait une sorte de rupture dans ce qui aurait pu être une continuité : en arrivant à la maison, il paraissait du reste agacé et, tandis que je lui demandais si la neige avait disparu dans la région où il vit, il avait établi un pont bizarroïde pour me dire que si le mauvais temps persistait, les gens ne pourraient pas se rendre au restaurant le week-end qui s’annonçait ! Étonnée, je lui répondis que si c’était regrettable pour les restaurateurs, rester chez soi un week-end n’avait rien de dramatique. Il haussa légèrement le ton, ce qui n’est pas dans ses habitudes, pour me lancer que je ne pouvais pas saisir, moi qui faisais ce que je voulais… Ne comprenant rien à ce qu’il induisait, je pris la décision de le laisser parler dans le vide, ce qu’il déteste. Il amplifia son monologue qui portait maintenant sur les individus qui ont une double vie ! Comme il ne fume pas et ne boit jamais d’alcool, je commençais à me demander s’il n’avait pas un souci personnel dont il n’osait pas me parler. Je lui tendis habilement une perche dans ce sens et me fis remettre vertement à ma place. De toute façon, il était pressé et voulait voir son frère. Pas de chance, lui répondis-je maintenant agacée, il est au ski. Je lui demandai si c’était important qu’il le joigne rapidement car Julien s’agitait de plus en plus. J’obtins pour toute réponse qu’il lui téléphonerait… Sur ce début houleux de rencontre, mon mari arriva. J’avoue que je me sentis soulagée. J’en profitai pour m’éclipser et vaquer distraitement à mes occupations, contrariée tout de même par ce qui venait de se passer : mon fils donnait à voir objectivement des troubles psychologiques. Désirant vérifier son état mental, je rejoignis mes deux hommes quand j’entendis Julien assurer : « Je sais tout ! »… De quoi parlaient-ils donc ? Mon interrogation négative fut vite brisée par mon mari qui m’accueillit en souriant. Rien de plus ensuite mais la venue éclair de mon grand enfant me laissa un goût amer. J’étais inquiète et ce, d’autant plus que malgré le fait que j’aie demandé à mon mari le contenu de sa conversation énigmatique avec « son » fils, sa réponse ne m’apporta pas de quoi m’apaiser, bien au contraire… Un mois s’écoula quand la fille d’une amie vint se faire épiler au salon. Très rapidement, elle s’excusa de ne pas m’avoir saluée à la cafétéria quelques semaines auparavant. Il y avait du monde, elle était avec des collègues de travail, « vous savez comment ça se passe dans ces cas-là » ajouta-t-elle… Je la rassurai en lui disant que je n’allais que rarement à la cafétéria et qu’il y avait plus de deux ans que je n’y étais plus retournée. Ce à quoi la jeune fille me répondit : «  Pourtant je vous ai vue, vous déjeuniez avec un monsieur pas très grand, brun, sûrement un de vos représentants… ». J’étais abasourdie et, pour qu’elle ne puisse pas mal interpréter ma réponse, je lui dis (bêtement) qu’elle avait raison, que ça me revenait, que ce représentant avait insisté pour m’inviter à déjeuner (n’importe quoi !) mais que c’était en tout bien tout honneur (re-n’importe quoi !) et qu’il était marié ! Devant autant de bêtise de ma part, je me mis à rougir ! Je m’en voulais car cette scène et cet homme n’existaient pas. À tous les coups, ma jeune cliente a dû penser que j’étais avec un amant, moi qui suis si fidèle, ce qui ne me demande d’ailleurs aucun effort : d’abord parce que je suis paresseuse et qu’une liaison me fatigue rien qu’à l’idée d’y penser, ensuite parce que malgré mes 29 ans de mariage, mon mari me convient tout à fait. Nous formons un couple équilibré, authentique, même si mon conjoint se montre souvent jaloux… N’est-ce pas une preuve d’amour ? Quand il m’énerve avec ses petites suspicions (« Je suis sûr que tu t’es fait draguer à ton séminaire »), je coupe court en riant et ses insinuations tombent à l’eau… lamentablement ! Malgré ces petits hiatus, j’aime mon époux et notre vie est plutôt agréable…
    Mon frère me téléphona un matin. Il voulait absolument que je sache qu’il m’avait vue dans un embouteillage. En voiture lui-même, sa femme et lui m’avaient adressé de grand signes auxquels je n’avais pas répondu… Tout ça commençait à bien faire ! De deux choses l’une : ou j’étais folle ou j’avais un sosie… Je pris la décision de chasser les deux idées d’un revers de main imaginaire car si j’étais folle, ça se saurait, mon Institut de beauté ne marcherait pas comme il marchait, et si j’avais un sosie, étant donné le nombre d’habitants peu élevé dans la ville où j’habite, je l’aurais découvert… Cependant, c’est très curieux, mais toutes ces histoires me contrariaient. Paradoxalement, je n’osais pas en parler à mon mari. Il faut dire que j’ai un défaut. Enfant, j’étais très timide et je redoutais toujours, sans aucune raison, d’être prise en faute. Bien qu’en étant très consciente, encore aujourd’hui je peux perdre tous mes moyens quand on m’accuse à tort. Ainsi, un soir où une cliente m’avait déjà bien retardée, la voisine de mon établissement professionnel est passée pour me parler de l’insécurité grandissante dans le quartier, selon elle. Il fallait penser à nos commerces respectifs et envisager de les protéger avec des techniques ultra perfectionnées. Tout y est passé : les alarmes sophistiquées, leur coût, les avantages, les inconvénients… Je n’arrivais pas à stopper les angoisses de cette dame et je sentais les miennes s’infiltrer. Je n’osais pas regarder ma montre mais j’étais sûre qu’il était plus de 21 heures. Je n’écoutais plus ce que verbalisait mon interlocutrice et je m’imaginais que mon mari devait mal déclencher son imagination, élaborant les plans les plus fous sans omettre le fait que je pouvais avoir un amant… Tout en utilisant la plaisanterie, de temps en temps il me rappelait qu’avoir une liaison sur mon lieu professionnel, après une certaine heure, ce serait ni vu ni connu… Je n’étais plus du tout dans la conversation quand j’entendis ma voisine me dire : « Je voulais vous en parler au supermarché L. avant-hier, mais j’étais pressée… » ! À un détail près : je ne suis pas cliente du supermarché L. ! Je n’y suis même jamais allée. Voilà, ça continuait et maintenant, « on » me voyait faire les courses dans une grande surface que je ne fréquentais pas. Comme son affirmation m’avait un peu émoustillée, j’en profitai pour dire à ma voisine qu’il fallait justement que je sois prudente et que je baisse le rideau de mon commerce. Je pris mes clefs pour qu’elle comprenne. Elle essaya de continuer la conversation dehors mais je fus sauvée par un froid glacial ! Il me tardait de regarder ma montre, ce que je fis tout de suite dans ma voiture. Je m’y repris à deux fois : le cadran indiquait 21h 50 ! Ajoutons à ce temps horaire dix minutes de route : 22 heures auraient sonné quand je pénètrerais dans mon domicile… conjugal. Qu’allais-je raconter à mon conjoint ? Pas la vérité, il me dirait que je suis de connivence avec la voisine. Est-ce qu’un dialogue de film allait me revenir et pouvoir m’aider ? Je n’aime pas mentir mais, à cet instant, je trouvais que le mensonge s’imposait parfois comme une qualité ! Et si je disais à mon mari que j’avais un dégât des eaux, une fuite, qu’il avait fallu que j’éponge pendant des heures ! Non, n’exagérons-pas et puis, il me parlerait de ma petite stagiaire, étant capable de me dire qu’elle aurait pu éponger à ma place ! J’en avais assez de mes tergiversations scabreuses et je lui dirais donc la vérité… Quand j’entrai dans le salon, mon mari s’était tout simplement endormi devant le match de foot ! Je me gardai bien de le réveiller et, comme si j’étais fautive, je m’empressai de me déshabiller, de mettre une robe de chambre au cas où… J’eus le temps de grignoter sans attirer l’attention de mon homme qui continua sa nuit sur le canapé. Redoutant le pire interrogatoire, j’allai me coucher sans lui ! Mais au petit déjeuner…
    … Je gaffai. Norbert avait fini par se glisser dans la nuit sous la couette mais à une heure suffisamment avancée pour se lever complètement courbatu. J’eus donc droit à une gueule pas possible. Pour dérider monsieur, je lui dis - toujours bêtement, une de mes spécialités - que comme il dormait à poings fermés devant le match, j’avais préféré le laisser se reposer. Il ne prit pas son petit déjeuner et partit sans un mot ! Les jours peuvent s’enchaîner et se ressembler : complètement « à l’envers », j’ouvris mon salon devant lequel m’attendait un représentant qui poireautait depuis une bonne demi-heure, l’ayant complètement oublié ! Ce n’est pas de moi et je sentais que je sortais progressivement de mon axe en raison du fait qu’on me voyait partout. Mon premier rendez-vous (un soin du visage) arriva, comme prévu, et je me retrouvai empêtrée avec ces deux personnes qu’il fallait que je reçoive convenablement. Je demeurais intérieurement gênée par l’attitude de mon mari, ce qui n’arrangeait rien. Je demandai au représentant de m’attendre dans une petite pièce réservée à cet effet, en lui précisant que je n’en avais pas pour longtemps. J’installai ma cliente rapidement qui me dit : « C’est rare Aurélie de vous voir sans les yeux maquillés, ça fait tout drôle mais c’est vrai que je vous ai aperçue dimanche dans une allée du cimetière et vous n’aviez pas l’air dans votre assiette… ». Je gardai mon calme comme je pouvais et bredouillai qu’il y avait eu une coupure de courant à la maison, ce matin, au moment où je me préparais. À l’Institut, j’aurais la possibilité de me faire les yeux, bien sûr… Je me forçai à rire… encore bêtement. J’ajoutai que j’allais être à elle et me dirigeai rapidement vers le représentant en lui mentant énormément aussi : la pseudo coupure de courant à mon domicile avait entraîné le fait que mon portail automatique ne s’ouvrait pas, que j’avais eu du mal à l’ouvrir manuellement, que mon chien s’était enfui, que j’avais couru après lui dans la campagne « comme une folle »… Deux larmes furtives coulèrent sur mes joues et ce gentil représentant m’invita alors à déjeuner à midi à la… cafétéria, rapidement certes mais nous joindrions l’utile à l’agréable : il me parlerait de sa nouvelle gamme de soins anti-âge et j’en profiterais pour me reposer. Les choses sont parfois surprenantes. Je travaille en continu, entre midi et deux, me nourrissant à la va-vite d’une salade composée que je prépare le matin à la maison. Ce jour-là, en raison des intempéries, mes deux rendez-vous (de 12 heures et 13 heures) étaient annulés. Ma stagiaire pouvait garder le téléphone, étant très à l’aise maintenant pour faire des réponses sensées à ma clientèle et je me retrouvais donc libre !
    À midi pile, mon représentant vint me chercher sur mon lieu de travail. Il insista pour que nous prenions sa voiture, ce qui représentait un avantage et un inconvénient : mon véhicule resterait stationné devant l’Institut et si mon mari passait par-là, il serait rassuré, mais traverser la ville dans la voiture d’un homme autre que mon légitime pouvait fabriquer des ragots, combien même seraient-ils complètement injustifiés. J’acceptai pourtant la proposition de co-voiturage de cet homme charmant, regardant furtivement - notamment aux feux tricolores - si nous ne croisions pas quelques mauvaises langues… Par chance, la température en-dessous de zéro faisait que les rues étaient vides. Nous pénétrâmes donc ainsi ensemble dans la cafétéria. Là, je ne me sentis pas potentiellement observée car je savais que bien des collègues de travail (hommes et femmes) prenaient souvent leur repas ensemble ici sans que personne n’en soit choqué. Après tout, l’infidélité conjugale ne fleurit pas à tout bout de champ. C’est d’ailleurs un peu en raison de ces ambiances boulot-boulot que je n’aime pas les cafétérias. Je trouve épuisant, d’autant qu’il y a en général beaucoup de monde, d’entendre parler à la table d’à côté de salaires insuffisants, de primes non versées, de rivalités dans les services, de patrons jugés débiles par ceux qui - de fait - doivent être les employés desdits patrons, etc, etc, à un moment de la journée où la dégustation d’aliments, aussi simples soient-ils, ont pour vertu essentielle de nous inviter à déconnecter des difficultés professionnelles. Il faut croire que chacun n’envisage pas les choses ainsi, ce que je comprends aussi puisqu’en parlant de leurs problèmes de terrain, en dehors de leurs responsables hiérarchiques, certains se libèrent de tensions qui les étouffent. Tout ceci fait lien avec la conversation que nous tenions avec mon représentant : nous nous disions que nous avions beaucoup de chance de travailler dans l’univers de la beauté et du bien-être. J’avais pris un poisson que je jugeais un peu fade, sans l’avouer à mon hôte, quand la porte de la cafétéria me permit de découvrir la silhouette de mon plus jeune fils. Je suis myope mais là, il ne pouvait y avoir erreur : Benjamin était là avec un copain. Je passai par toutes les couleurs au point que mon représentant pensa que j’avais avalé une arête de poisson ! Je balbutiai qu’il fallait que j’aille aux toilettes. Je changeai d’avis en lui demandant de me ramener à l’Institut, tout en lui précisant que je l’attendais dehors ! Je filai à l’anglaise, sûre que mon fils ne m’avait pas vue. Le représentant voulait me conduire à l’hôpital, ce que j’acceptai avec soulagement ! Je le remerciai sur le parking, en lui assurant que j’allais pouvoir me débrouiller et que je préviendrais mon mari pour qu’il vienne me chercher. Ce représentant, que j’ai revu six mois plus tard dans le cadre de mon travail (uniquement !), a réellement cru à ma mésaventure culinaire mais les événements allaient continuer à s’épicer…
    Mon adorable stagiaire n’ayant pas son permis de conduire, j’appelai un taxi qui - et bien que l’éloignement géographique ne soit pas très important -, à l’évocation de l’expression «Centre hospitalier», vint me chercher… J’allais être à l’heure pour mon premier rendez-vous de l’après-midi et j’aurais même le temps de me faire un petit café en arrivant… Je ne vis rien d’anormal sur mon parking, j’entrai un peu plus tranquille dans le salon où m’attendait non pas ma cliente mais… mon mari ! Il voulait me voir, là, tout de suite… Je tremblais comme une feuille. Il venait juste d’arriver (ce que je compris très vite) et voulait s’excuser de sa jalousie du matin ! Je me mis à pleurer, j’entendis mon rendez-vous pénétrer dans le petit hall, mon mari essuya mes larmes et m’embrassa. Je me remaquillai rapidement mais n’arrivai pas à retrouver mon calme. Je ne voulais pas questionner mon employée quant à la venue inopinée de mon mari. C’est elle qui démarra : «  Étant donné l’heure et sachant que vous alliez arriver, je lui ai dit que vous aviez fait un saut chez la commerçante d’à côté qui vous gonfle avec la délinquance dans le quartier. Comme vous m’en aviez parlé ce matin, j’ai trouvé ce prétexte tout de suite »… Ah, l’intuition féminine ! Je vénérai toutes les femmes soudainement…
    Je repris confiance progressivement et la vie continuait son cours. Julien avait toujours gardé comme copain Bastien qui était devenu coiffeur. Il avait bien mené ses affaires et acheté un petit salon de coiffure, cédé par une dame dont la clientèle était très âgée. Bastien, petit à petit, avait dynamisé son commerce, rajeuni la clientèle et s’en tirait fort bien. Il gagnait pas mal d’argent et, célibataire endurci, avait la réputation d’aimer déjeuner ou dîner dans de beaux établissements de la région. Je ne rencontrais Bastien que très rarement et les seules nouvelles que je pouvais avoir le concernant venaient de Julien. Lors de vacances de Pâques, celui-ci en profita pour se faire couper les cheveux par son ami. Quand il revint de sa séance de coiffure, il était furieux, m’assénant, tandis que je préparais à manger dans la cuisine : « Alors, tu continues, tu te fais des tables étoilées à midi pendant que papa travaille… ». J’arrêtai net de hacher l’ail que j’avais dans les mains et lui demandai de me suivre au salon où se trouvaient mon mari, Benjamin et sa copine Maud. Ce qui n’est pas de moi, je me suis mise à hurler. Tout le voisinage devait en profiter ! Je m’en fichais. J’en avais marre : « on » me voyait partout… Je m’effondrai littéralement… Mon mari, calmement, me demanda de reprendre mes esprits et me proposa de tout mettre à plat. Je retrouvai peu ou prou certaines conversations qui objectivaient des situations dans des lieux où je n’avais même jamais mis les pieds. Maud affirma que j’avais un sosie. Devant mon désarroi, toute la maisonnée se rangea à son avis mais je sentais Julien contrarié. Je savais que les Psys parlent de Complexe d’Œdipe et il y a longtemps que j’avais compris qu’il n’avait pas réglé ce complexe vis-à-vis de moi. J’en avais parlé à une cliente, Psychologue de son métier, qui avait justifié les ruptures sentimentales récurrentes de mon fils à cause de ce trop grand amour qu’il me portait toujours malgré ses 25 ans. Quoi qu’il en soit, l’interprétation de Maud ne l’avait pas convaincu, je le voyais bien… En repensant systématiquement à ce doute que je lisais dans le regard de Julien, je me dis qu’il fallait que je trouve ce sosie coûte que coûte. Prendre un détective serait ridicule, je ferais très bien l’affaire ! J’oubliais juste que je n’avais pas beaucoup de temps libre et je n’allais pas parcourir des kilomètres au volant de ma voiture pour voir mon double. Aimant l’idée d’un certain lâcher prise qui finirait par m’envoyer la solution que j’attendais, je me forçais à chasser de mon esprit les doutes affichés quant à moi par Julien. C’était sûr, il pensait que j’avais un amant lui aussi. Encore une fois, mon fils allant d’échecs sentimentaux en échecs sentimentaux, le simple fait de trouver « mon » sosie ne pourrait que lui faire du bien. J’eus d’ailleurs confirmation quelques mois plus tard que sosie il devait y avoir quand une de mes relations me dit de façon complice : « Je t’ai aperçue de loin à l’aéroport il y a un mois avec un très bel homme, je n’ai pas osé franchir les quelques centaines de mètres qui nous séparaient de peur de t’importuner… Fais attention, sois plus discrète à l’avenir car même dans un aéroport, on peut faire des rencontres de gens de son entourage… ». Je ne cherchai pas à démentir car, de toute façon, avec le tempérament de « concierge » qu’elle a, elle ne m’aurait pas crue mais là, j’en étais plus que convaincue, mon sosie devait être particulièrement ressemblant… Ainsi, le repérer devait être un jeu d’enfant ! Ce fut le cas…
    Un lundi après-midi, je connus la désagréable mésaventure de me trouver à la sortie d’un lycée devant lequel se déroulait une énorme bagarre entre deux clans d’élèves. Les coups semblaient violents au point que les gendarmes, qui avaient dû être prévenus, arrivèrent sur les chapeaux de roues. Ils sautèrent de leur véhicule et commencèrent leur travail en prenant soin au préalable de disperser la foule de curieux de façon à laisser passer les voitures. Le bazar monstre faisait que la circulation était carrément paralysée jusqu’au moment où arriva une mini Austin rouge comme la mienne ! Le même modèle… La conductrice parvint à se garer malgré les événements et descendit de sa voiture. Compte tenu de la position de mon véhicule, je voyais cette femme essentiellement de dos : elle avait la même couleur de cheveux que moi et la même coupe ! J’hallucinais : c’était « mon » sosie ou pas ? Ou une simple coïncidence ? J’étais fébrile, d’autant qu’elle allait bien finir par se retourner… Ce qu’elle fit : la ressemblance d’avec moi était carrément frappante… Je l’observais, elle attendait probablement son fils ou sa fille… Pas du tout : un homme brun, charmant, se dirigea vers elle, un enseignant a priori. Il l’embrassa. En revanche, c’est lui, cette fois, qui prit le volant…
    Si de tout cela, je parlai à ma famille en suffoquant un peu, interloquée même quelques semaines après, j’avais pris le temps de réfléchir à la façon dont je raconterais la scène du lycée et de « mon » sosie, redoutant que Julien pense que je cherchais à me disculper. Les congés d’été avaient permis de tous nous réunir et la chaleur de cette soirée du mois d’août m’avait incitée à dresser le couvert dans le jardin malgré le ciel orageux. Je ne voulais pas me laisser influencer par cet avis de tempête et étais heureuse d’avoir élaboré une façon à moi de divulguer tout ce que ce problème de ressemblance m’avait apporté. Outre le fait que je leur expliquai que j’avais cru que je pouvais être folle puisqu’ « on » me voyait partout, je leur confiai que j’avais réfléchi au domaine de la rumeur et de ses dangers redoutables. Non seulement la rumeur peut entraîner une mésestime de soi mais aussi une dévalorisation de la part de ses proches. Toutes ces déformations de la vérité font un travail de sape terrifiant. L’histoire de « mon » sosie m’a véritablement fait prendre conscience qu’avant de parler, quel que soit le registre, il faut objectiver l’événement et ne le communiquer que s’il regarde réellement l’émetteur et le récepteur. Ne dit-on pas d’ailleurs que le silence est d’or et la parole est d’argent…

     



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