La résilience et moi

     
    C'est un moment insolite, inattendu, parfois difficile de leur existence. Ils ont choisi de témoigner et de nous confier comment ils s'en sont sortis... seuls. Ils nous expliquent aussi ce qui a changé en positif et " pour de bon " dans leur vie à partir de l'obstacle ou de l'épreuve qu'ils ont eu à franchir et à dépasser. Si vous avez connu un épisode de ce type auquel vous n'étiez pas préparé, adressez-nous votre courrier qui sera lu et mis en ligne si son contenu a été sélectionné par la Rédaction...
     

    " Ma femme buvait en cachette "

    " Ma femme buvait en cachette "
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    Myke est marié depuis 10 ans avec Irène. Cette union s’est faite sous le sceau de l’amour. Pour autant, un bébé n’est jamais venu. Le couple a fini par accepter cette situation douloureuse et n’a pas voulu tenter l’adoption. Toutefois, Irène a décliné peu à peu…

    Ma profession de pilote de ligne pouvait permettre à ma femme de ne pas travailler. Cependant, compte tenu de mes absences professionnelles, elle a choisi de ne pas arrêter son métier d’avocate. Nos revenus confortables nous ont permis d’acquérir rapidement une belle demeure sur les hauteurs de Nice, bénéficiant d’une vue exceptionnelle. Nous avions des exigences en matière d’aménagement, de confort, de décoration, de jardin, de piscine, d’environnement et au bout de sept ans, notre maison ressemblait vraiment à l’idée préalable que nous nous en faisions. Nous avions un peu attendu pour « mettre un bébé en route » car nous désirions l’accueillir dans les meilleures conditions possibles. Le temps passait et nous dûmes nous rendre à l’évidence : malgré une sexualité qui fonctionnait très bien dans notre couple, Irène ne parvenait pas à être enceinte. Au début de cette attente, nous faisions mine de rire de cet aléa en nous disant que nous appellerions cet enfant Désiré(e). Puis, nous avons délaissé ce sujet de conversation jusqu’au moment où nous prîmes tout de même la décision de consulter un gynécologue. Tous les protocoles médicaux furent respectés mais, malgré le parcours habituel lié aux infertilités psychogènes, nous comprîmes que nous ne serions pas parents… Pour compenser ce manque, nous dépensions énormément d’argent, recevions beaucoup et nous étourdissions en sorties. J’avais remarqué que ma femme, qui ne buvait pas la moindre goutte d’alcool quand je l’avais rencontrée, pas plus que pendant nos premières années de mariage, s’était mise à apprécier le champagne. Pourquoi pas ? Mais, réceptions aidant, je trouvais que les quantités qu’elle absorbait devenaient de plus en plus importantes. Il lui arrivait alors de se faire remarquer en riant à gorge déployée ou, à l’inverse, de sortir de ses gonds si un sujet de conversation ne tournait pas à son avantage. J’avais essayé gentiment de le lui faire remarquer mais elle mettait ses nouveaux comportements sur le dos de son travail difficile nerveusement… Lors de mes déplacements, je lui téléphonais quand les décalages horaires le permettaient. Un jour - il devait être 21 heures en France -, elle me parut bizarre au bout du fil, endormie et incohérente. Inquiet, je m’empressai de lui demander si elle allait bien. Le verbe hésitant et trébuchant, elle m’assura que oui ! Je lui demandai alors si elle était seule ou si elle avait invité une de ses relations à dîner. Sa réponse ne fut pas très claire mais signifiait qu’elle regardait la télévision étendue sur le canapé et, très fatiguée par une plaidoirie, elle somnolait… Je n’insistai pas mais, peu convaincu par cet échange de mauvaise qualité avec mon épouse, une contrariété tenace s’empara de moi. Dès que je le pus le lendemain, je pris un prétexte pour l’appeler. Sa voix ne posait aucun problème et je ne fis surtout pas allusion à ce qui s’était passé la veille. Ce genre de scénario se répéta à de nombreuses reprises et je commençai à mettre en place un plan de surveillance à la maison. Consciencieusement, je fis des repères discrets sur les bouteilles d’alcool et vérifiai les niveaux en rentrant de mes déplacements à l’étranger. Je ne notai rien d’inquiétant. J’évitais dorénavant le plus possible les invitations en prétextant fatigue et tensions professionnelles mais je ne pouvais pas systématiquement toutes les décliner. Irène buvait plus que de raison lors de ces repas, y compris lorsque nous recevions chez nous. Je ne savais comment m’y prendre pour évoquer ce problème avec elle sans la blesser. Elle ne pouvait que constater mon inquiétude et c’est donc elle qui fit le premier pas. Au petit déjeuner qui suivit une soirée qu’elle avait particulièrement bien arrosée, d’un ton assez léger elle me dit qu’elle se rendait compte qu’elle avait pris l’habitude de boire compulsivement lors de certains repas et qu’elle avait décidé de tout arrêter… Je restai sur mes gardes, fis semblant de banaliser mais poussai un « ouf » de soulagement intérieurement. Irène étant une femme de très grande volonté avait compris qu’elle était dans la mauvaise direction. Elle allait sûrement se ressaisir et arrêter là ses dérives autodestructrices. C’est le cœur un peu plus léger que j’envisageai à nouveau l’avenir…
    Je ne comprenais pas pourquoi je n’arrivais pas à joindre Irène certains soirs. Je lui en fis part et elle m’annonça qu’elle débranchait le téléphone pour ne pas être dérangée si elle devait plancher sur des dossiers difficiles d’une part et que, d’autre part, elle ne voulait pas prendre le risque d’être invitée à dîner car elle ne voulait pas tenter le diable côté alcool… Cette réponse, bien que se voulant rassurante, me laissa dubitatif : déjà par le fait que, du même coup, elle ne me parlait plus quand j’étais éloigné de mon domicile, ensuite parce que son raisonnement me portait à croire qu’elle demeurait bien fragile face à l’alcool…
    Les fêtes de Pâques arrivaient et il fut décidé que nous inviterions mes parents à la maison. J’avais quelques jours de vacances, Irène aussi. Ma mère et mon père aimaient la région et appréciaient de venir se détendre en notre compagnie. Ils sont charmants, discrets et les recevoir est toujours un grand plaisir. Nous étions allés à la messe du dimanche tous les trois, Irène ayant préféré rester à notre domicile pour préparer le repas. À notre retour, elle avait fait le minimum, la table n’était pas mise et elle riait pour un oui, pour un non… Gêné devant mes parents, je leur glissai furtivement que leur belle-fille était stressée actuellement, déprimée même et que son médecin lui avait prescrit un traitement « euphorisant » ! Mes parents, comme à leur habitude, se firent encore plus petits, s’effacèrent mais je sentais bien qu’ils avaient compris qu’Irène avait… bu. Effectivement, en fait d’euphorisants, elle avait surtout pris des remontants… J’avais mis une bouteille de champagne au frais avant de partir et fus poussé à aller vérifier si elle était toujours dans le réfrigérateur : elle avait disparu ! Je me mis à trembler, à transpirer, à ressentir des bouffées d’angoisses, réalisant que mon épouse bien-aimée était devenu alcoolique. Le repas fut sinistre et Irène lamentable. Nos invités ne sachant plus quelle attitude adopter, ils décidèrent alors calmement d’aller faire une sieste (ce qu’ils ne font jamais) pour ne pas rajouter davantage de lourdeur au climat, à ma gêne et à ma peine… La fin de leur séjour fut morose mais, heureusement, l’incident fut clos.
    Un mois plus tard, le week-end s’annonçait superbe. La piscine était en eau et, bien que sa température ne permit pas de s’y baigner, Irène et moi nous installâmes chacun dans un transat. Je m’endormis peu de temps et, à mon réveil, ma belle n’était plus là… Elle revint assez rapidement. J’eus une envie soudaine de l’embrasser. Elle se laissa faire mais son haleine dégageait une forte odeur d’alcool. Je ne lui montrai rien de mon désarroi et dès que je le pus, j’allai vérifier les niveaux des bouteilles d’alcool, niveaux qui n’avaient pas bougé… J’en conclus qu’Irène buvait maintenant en cachette car, une fois de plus, je n’avais pas rêvé.
    Compte tenu de ces événements, partir maintenant pendant plusieurs jours d’affilée me contrariait. Ma femme était malade de l’alcool et cette « saloperie » pouvait lui jouer des tours : elle pouvait tomber, se blesser, laisser le gaz allumé… Mon sommeil était de plus en plus perturbé et je me dis que, étant donné ma profession qui nécessite une vigilance extrême, je ne pouvais plus continuer comme ça. Après tout, Irène était majeure et vaccinée et son état n’appartenait qu’à elle, combien même était-il régressif et déficient. D’ailleurs, les psys le disent : si le malade ne décide pas de régler lui-même sa dépendance alcoolique, personne n’y peut rien… Je ne savais comment j’en étais arrivé à cette conclusion mais je savais que je ne reviendrais jamais dessus. Pourtant, chaque fois que je revenais à Nice (Anis ?), j’observais - sans le lui dire - le manège de ma femme qui disparaissait à intervalles réguliers de la pièce où nous étions et qui réapparaissait en sentant l’alcool. À la fin de la journée, si elle n’avait pas travaillé à l’extérieur, elle était ivre… Curieusement, je n’intervenais jamais alors que j’aimais toujours avec la même intensité mon amour de jeunesse. Je ne lui faisais pas le moindre reproche. Je savais que mon entourage jazzait, ce genre de jugement revenant toujours aux oreilles tôt ou tard mais je me fichais de l’avis des uns et des autres. Je sentais que je n’avais pas à intervenir dans la maladie d’Irène et je ne permettais à personne de me donner le moindre conseil. Cet état de fait devait se voir à des kilomètres à la ronde puisqu’aucun de mes proches ne s’y aventurait. Irène, si mince, avait pris du poids et là encore, je ne lui fis pas remarquer. Un matin, au réveil, elle fut prise de vomissements. M’en inquiétant, elle me précisa qu’elle avait l’impression que c’était de la bile. Grande elle était, grande elle prendrait la décision de consulter un médecin si le cœur lui en disait… Une fois de plus, je ne lui dis rien qui puisse l’influencer. Je partais le soir même pour Paris prendre mon poste de pilote et, en me faisant un bisou, elle éprouva le besoin de me glisser de ne pas m’inquiéter. Elle reçut un baiser en guise de réponse qu’elle interprèterait à sa guise, là n’était pas mon histoire ! À mon retour, elle se crut obligée de me relater qu’elle avait consulté un médecin qui lui avait prescrit une série d’examens et d’analyses. Je ne fis pas de commentaires. C’est alors que je remarquai dans les heures qui suivirent qu’elle n’allait pas boire en cachette… Irène avait peur, c’était une évidence. Elle me fit part de ses résultats médicaux, alarmants. Irène m’avoua que son alcoolisme était très ancien… Elle ne voulut pas faire de cure de désintoxication et son médecin la laissa libre de cette décision. Irène ne toucha plus jamais une goutte d’alcool, faisant sûrement partie de ces exceptions qui confirment la règle.
    J’ai - on s’en doute - souvent repensé à ma conduite face à la régression d’Irène. Je me sentais à la fois impuissant face à son addiction et quelque chose me soufflait systématiquement à l’oreille - lorsque j’avais quelques velléités à intervenir - qu’il ne fallait pas que je le fasse. Je faisais comme si je ne voyais rien. Reprenant progressivement confiance en mon épouse (ce fut très long…), j’eus largement le temps d’analyser ma résistance illogique envisagée d’un point de vue humain. Aujourd’hui, j’ai la réponse, « ma » réponse : si j’étais intervenu, Irène n’aurait jamais été confrontée à sa problématique. Je serais d’ailleurs devenu une sorte de bouc émissaire privilégié qui aurait pris sur ses épaules toute la responsabilité, toute la culpabilité quant à la non-venue d’un bébé dans notre couple. Quand Irène a eu ses vomissements le matin au lever, dus à ses excès répétés d’alcool, elle a sûrement ressenti ce que pouvait ressentir une femme au tout début de sa grossesse : les nausées. En outre, une femme enceinte se fait suivre médicalement, tout comme Irène a consulté et a eu des prescriptions d’examens et autres analyses. Il fallait qu’elle passe par cette étape pour réaliser qu’avoir un enfant n’était pas pour elle. C’est ce qu’elle m’avoua plus tard, un peu plus ancrée dans son sevrage volontaire : son cousin germain étant décédé d’une cardiopathie à l’âge de deux ans, elle avait toujours redouté de perdre un enfant dans ces conditions. Irène ne voulait pas d’enfant. Elle n’avait jamais voulu d’enfant, mais elle n’avait pas osé me le dire…


     

     
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