La résilience et moi

     
    C'est un moment insolite, inattendu, parfois difficile de leur existence. Ils ont choisi de témoigner et de nous confier comment ils s'en sont sortis... seuls. Ils nous expliquent aussi ce qui a changé en positif et " pour de bon " dans leur vie à partir de l'obstacle ou de l'épreuve qu'ils ont eu à franchir et à dépasser. Si vous avez connu un épisode de ce type auquel vous n'étiez pas préparé, adressez-nous votre courrier qui sera lu et mis en ligne si son contenu a été sélectionné par la Rédaction...
     

    " J'ai eu un diagnostic
    de tumeur cérébrale "

    " J'ai eu un diagnostic de tumeur cérébrale "
    ©iStock
     

    Sylvie est âgée de 30 ans lorsqu’elle décide de consulter un médecin endocrinologue : mince, elle trouve cependant que sa taille a un peu épaissi à la suite de ses deux grossesses…

    J’ai consulté les Pages Jaunes au hasard, hasard auquel je ne crois d’ailleurs pas ! Le nom d’un médecin a particulièrement retenu mon attention : son patronyme était à l’identique du nom de jeune fille de ma mère, à une lettre près. Ce clin d’œil m’a, naïvement, suffisamment mise en confiance pour que je prenne rendez-vous avec lui.
    En plein centre ville, au premier étage d’un immeuble qui avait dû être cossu au siècle précédent, se trouvait son Cabinet. L’automne était déjà bien avancé et la salle d’attente, vide, non chauffée. Quelques revues peu récentes, abîmées, se trouvaient mal rangées sur une vilaine table basse rustique, les quatre sièges façon Henri II dénotant tout autant. Au mur, deux reproductions sous-verre d’œuvres de Vasarely ajoutaient à l’atmosphère une impression de décalage absolu. Sur la porte d’entrée, une petite plaque signalait qu’il fallait sonner et entrer. Ce que j’avais donc fait pensant être accueillie par une secrétaire. Après avoir scruté le lieu, je m’étais rendu compte qu’il n’y avait pas de secrétariat et c’est ainsi que je découvrais les gravures, les sièges, la table et les revues. Au sol, une vieille moquette vert bouteille plissait par endroits, dessinant de gros sillons menaçants : il fallait vraiment lever les pieds pour ne pas tomber, ou… lever le pied ? En dehors des bruits de voiture venant de la rue, le silence était total. Je m’étais assise face à une des portes, imaginant qu’il s’agissait de l’entrée du bureau du praticien dont je pensais alors qu’elle devait être capitonnée par souci d’intimité et de secret professionnel. Cependant, au bout d’un quart d’heure, c’est l’autre porte qui s’ouvrait…
    Un homme s’est posté dans l’encadrement de la porte en me demandant si j’avais rendez-vous. Après ma réponse affirmative, je pénétrais – invitée par le médecin à le faire – dans son bureau, sombre, vieux, petit, à l’odeur de renfermé…
    Après qu’il m’ait interrogée sur le motif de ma consultation, une table d’examen m’était indiquée sur laquelle, après m’être dévêtue, je devais m’allonger. Ayant soigneusement mesuré mon tour de taille, puis mon périmètre crânien, le professionnel – de façon docte et solennelle – m’indiquait que le rapport tour de taille-tour de tête pouvait laisser penser à une anomalie cérébrale de type tumeur ! Le couperet s’était abattu sur moi, brutalement, sans complaisance. Le médecin, s’étant ressaisi soudainement devant ma mine déconfite, s’était ravisé en m’indiquant qu’une tumeur pouvait certes être maligne mais aussi bénigne… Affolée mais arrivant tout de même à garder mon calme (j’ai été élevée à la dure enfant), la suite des « opérations » n’était guère plus rassurante : je devais être hospitalisée rapidement pour des bilans médicaux complexes qui ne pouvaient pas être pratiqués en ambulatoire. Avant même d’avoir posé la moindre question, l’homme de sciences avait déjà compulsé son agenda et fixé le jour où je devais entrer à l’hôpital ! Je ne savais pas alors qu’il était chef de service de ce même hôpital…
    J’habitais à 30 km de la ville où je venais d’être auscultée et, une fois installée au volant de ma voiture, les idées les plus noires parcouraient mon imagination : j’allais mourir, un point c’est tout, laissant deux orphelins en bas âge et même si leur père était un homme responsable, travailleur, honnête, il ne pourrait jamais remplacer dans leur cœur leur maman. Je pleurais à chaudes larmes, sincères, conduisant par réflexe, sans m’intéresser à la route. En arrivant chez moi, je m’effondrais littéralement dans les bras de mon mari. Très pragmatique, son affirmation se voulait pleine de bon sens : ma vue, notamment, n’avait pas baissé, mes maux de tête remontaient quasiment à Mathusalem, j’avais attiré simplement un médecin consciencieux… Quoi qu’il en soit, les examens médicaux ultra pointus étaient prévus et il fallait qu’ils aient lieu.
    Bien qu’ayant demandé d’avoir, si possible, une chambre seule (trois jours d’hospitalisation prévus, c’est long, surtout lorsqu’on est gravement malade !), je me retrouvais dans une chambre à deux lits, jusque-là inoccupée. Le calme ne devait pas durer longtemps. Peu de temps après mon admission dans cet établissement médical, l’endocrinologue consulté en ville pénétrait dans la pièce dans laquelle j’avais été priée par une aide-soignante de me déshabiller, de mettre un vêtement de nuit et de me coucher. Le spécialiste, toujours aussi glacial et sérieux, entouré d’une équipe de jeunes étudiants et d’une infirmière, m’expliqua que j’allais avoir des prises de sang régulières tout au long de la journée. Pour commencer, une toutes les heures. À jeun. La phrase m’est restée : même pas question de mâchouiller un chewing-gum composé de sucre ! L’heure était décidément grave, moi de plus en plus ratatinée, condamnée à finir ma brève existence dans un univers hostile, instrumental, robotique où, surtout, le malade semblait ne pas avoir voix au chapitre. Le programme se déroulait donc comme prévu jusqu’au moment où j’entendis la porte de la chambre s’ouvrir… L’aide-soignante qui m’avait accueillie accompagnait une dame, de très forte corpulence, étrangère, bruyante, victimisante, soupirante, rebelle, (c’est un euphémisme) et le calvaire de véritablement commencer… pour moi !
    Le scénario était à l’identique du mien : « mon » endocrinologue suivait aussi cette patiente et, bien que ne cherchant pas à écouter ce qu’il lui indiquait au moment de sa visite et, soit dit en passant qu’elle ne comprenait visiblement pas, elle souffrait – elle aussi – du même mal que moi… Même protocole donc, mêmes cadences de prises de sang entre autres ! Sauf que la patiente en question n’avait rien de docile. Elle passait son temps à « ruminer » dans un jargon insaisissable pour moi et pour le personnel soignant d’ailleurs…
    Peut-être était-ce psychologique mais je sentais mes forces s’amenuiser d’heure en heure. Première nuit complètement blanche (c’est le cas de le dire !), puis, contre toute attente, un plateau de petit déjeuner aux aurores. Pas terrible mais j’avais faim. Ma voisine de chambre, toujours aussi agitée, s’habilla alors soudainement, voulant a priori partir. Ce qu’elle fit, ramenée peu de temps après par une infirmière sur laquelle s’abattaient ce qui me semblaiit être des insultes. Je pensais que cette agitation matinale allait me donner l’occasion de voir surgir rapidement le médecin endocrinologue mais mes prévisions étaient erronées. Entre temps, la patiente étrangère avait reçu une injection d’un produit calmant – ce qui n’avait pas été simple – puisqu’elle dormait enfin. Plus d’examen médical en cette matinée, toujours pas de médecin à l’horizon, aucune consigne particulière et vers 11 heures 30 un plateau-repas avec des aliments particulièrement maigres… De toute façon, cette attente incompréhensible ne m’avait pas ouvert l’appétit.
    En début d’après-midi, mon mari me rendit « visite ». Je lui expliquai les heures passées, illogiques. Décision prise d’un commun accord : il fallait que je sorte de là, tumeur ou pas ! L’infirmière était furieuse et je signais donc une décharge pour pouvoir quitter l’établissement selon les règles.
    Mon médecin-traitant, prévenu, me reçut rapidement (à l’époque de cet épisode de ma vie, il était possible de se rendre chez un spécialiste de son propre « chef »). Charmant comme toujours, il me précisa que la première chose à faire était qu’il entre en contact avec l’endocrinologue. Ce ne fut pas chose aisée ! Quant à obtenir les résultats des premières analyses médicales, il fallut attendre… un mois ! Elles étaient normales et je décidais de conclure cette histoire déroutante en voulant saisir la leçon positive qu’il fallait que j’en retire.
    Ma conclusion peut paraître bien banale et sans grand intérêt mais, pourtant, ce chambardement dans ma trajectoire existentielle m’a apporté des réflexes sains que j’ai acquis pour toujours : ne jamais faire confiance à un interlocuteur les yeux fermés, même s’il occupe une position sociale assise et rassurante. Et si prendre un avis éclairé et autorisé se révèle souvent nécessaire et logique, l’étudier sous l’angle du bon sens reste primordial. Effectivement, dans ce diagnostic médical, la petite lumière qui m’a aidée à ne pas sombrer a été la phrase de mon mari : « Ta vue n’a pas baissé »…

     


     
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