La résilience et moi

     
    C'est un moment insolite, inattendu, parfois difficile de leur existence. Ils ont choisi de témoigner et de nous confier comment ils s'en sont sortis... seuls. Ils nous expliquent aussi ce qui a changé en positif et " pour de bon " dans leur vie à partir de l'obstacle ou de l'épreuve qu'ils ont eu à franchir et à dépasser. Si vous avez connu un épisode de ce type auquel vous n'étiez pas préparé, adressez-nous votre courrier qui sera lu et mis en ligne si son contenu a été sélectionné par la Rédaction...
     

    « J’ai attiré une hystérique »

    " J’ai attiré une hystérique "
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    Jean est marié depuis quelques années. Il papillonne beaucoup jusqu’au jour où sa femme Marie se lie d’amitié avec Catherine…

    Mes études de pharmacie avait été épuisantes. Issu d’un milieu agricole, je voulais sortir de ma France profonde. Orgueilleux, il n’était pas question que je prenne la suite de la modeste ferme de mes parents. Seul un de mes oncles paternels avait pu un peu évoluer : il était devenu percepteur et, enfant, son beau costume et sa cravate m’attiraient. Lui, au moins, dans la famille, il ressemblait à quelque chose ! Toutefois, dans le village, cet oncle avait très mauvaise réputation. Il se murmurait qu’il avait été « collabo », ce qui lui aurait valu de partir à l’étranger un temps. Pas question donc pour moi, par réflexe inconscient sûrement, d’envisager une carrière de fonctionnaire car, si à l’époque, j’étais prétentieux, la collaboration me faisait horreur depuis tout petit gamin (il faut dire que je suis né au début de la seconde guerre mondiale, période qui a laissé au fond de moi des traces indélébiles). D’ailleurs, avec les produits de la ferme, j’avais compris que mes parents aidaient discrètement des personnes en difficulté. C’étaient des gens d’une autre époque, un peu arriérés mais honnêtes. Du reste, de l’oncle il n’était jamais question et j’avais compris, sans qu’on me le dise, qu’il valait mieux que je n’en parle pas et que je ne m’extasie pas ouvertement sur son beau costume bleu marine rayé ! Le traître avait mauvaise « odeur » jusqu’aux yeux de son frère, c’est-à-dire de mon père mais, enfant, je ne comprenais pas précisément pourquoi. Ce n’est qu’à l’âge de 12 ans, en classe de sixième, qu’un copain avec lequel je m’étais disputé pour une histoire de billes me balança au visage : « Quand on a un oncle collabo, on s’écrase »… À partir de cette altercation, j’ai commencé à faire des liens avec les non-dits concernant l’abominable « tonton ». Mes parents ne le fréquentant plus, même lorsqu’il est rentré de sa planque syrienne, je m’évertuais à oublier ses tenues vestimentaires qui pouvaient cependant me hanter dans des cauchemars dans lesquels il m’ordonnait de porter le même costume que lui, obtempérant, tremblant, terrorisé, avec honte et détestation…
    Le temps passait doucement. Le collège me permettait de… m’évader ! Très bon élève, je dévorais les livres mis à disposition par la bibliothèque de l’établissement scolaire. En quatrième, je commençai le programme de Physique-Chimie et ces deux matières me donnaient des ailes. J’attendais les cours impatiemment. Je vénérais mon professeur, Monsieur B., qui - par-dessus son costume gris -, portait, fermée du haut en bas, une longue blouse blanche. C’est ainsi qu’il se distinguait notamment du professeur de mathématiques qui, lui, endossait avec désinvolture et laissait ouverte une toute aussi longue blouse grise… Monsieur B. et sa blouse blanche me fascinaient littéralement ! Ce n’est que plus tard, bien plus tard, que je compris pourquoi, indépendamment de l’excellente qualité de son enseignement : le costume envié, à l’origine, de l’oncle collabo se trouvait dorénavant caché sous une blouse blanche, le blanc ayant aussi une valeur symbolique de pureté ! Avançant dans mes études, l’idée de travailler - adulte - dans un laboratoire en blouse blanche s’imposait de plus en plus à moi. Les traces mnésiques de l’oncle, planqué, cachet, allaient finir par parachever mon choix : un jour, je serai pharmacien ! Je m’attelai (bon sang ne saurait mentir !) à ce désir et j’y parvins. Mes parents étaient fiers et moi, je jubilais…
    Pendant mes études, je sortais avec une jeune fille de bonne famille : les parents de Bernadette étaient médecins, issus eux-mêmes de parents médecins. Elle voulait devenir… médecin. À la réflexion, je pense que j’étais plus attiré par son milieu bourgeois, où le thé était un rituel (retrouvais-je alors inconsciemment l’oncle et la Syrie ?), que par elle ! Elle me présenta un jour une amie tout à fait à l’opposé : Marie était agent hospitalier (dans les années 60, l’appellation de cette profession était moins élégante…), d’un milieu très modeste (le père était menuisier) mais elle avait les yeux verts très clairs par lesquels je fus attiré au premier regard ! Bernadette et ses yeux marron ne pouvaient pas lutter malgré sa culture et sa grande intelligence. Marie n’était pas une lumière mais je m’arrangeai tout de même pour la revoir très vite. Bernadette le vécut mal et laissa sa place sans même attendre que la moindre relation commence avec son « amie ». Je sus, par la suite, que les idées bourgeoises de sa famille avaient poussé mon ex à me plaquer ! Ses géniteurs espéraient, au fond d’eux-mêmes, un gendre de meilleure lignée… Malgré ma vanité de l’époque, je n’en fus pas attristé car mes ébats physiques avec Marie m’entraînaient vers des horizons encore inconnus de moi. Je rêvais de ses yeux lagons et j’oubliais que nos conversations ne présentaient aucun intérêt… Marie m’annonça un jour qu’elle était enceinte ! Compte tenu de sa foi chrétienne, il ne fallait pas lui parler d’avortement (l’IVG n’était pas encore légale)… Elle voulut des fiançailles et son petit solitaire. Deux mois après, le mariage fut célébré à la mairie et à l’église de son village. Ses parents ayant décrété qu’ils n’avaient pas d’argent, les miens - à leur compte en banque défendant - payèrent jusqu’à la robe de mariage ! J’avais fauté, j’avais détourné « Marie » de son droit chemin, il fallait réparer et mon statut d’étudiant ne me permettait pas de mettre le moindre franc dans la « pièce montée ». De « pièce montée », il s’agissait bien car Marie avait saisi qu’étant un étudiant reconnu brillant par ses maîtres à l’Université, elle faisait plutôt une bonne affaire ! Je n’avais rien en biens immobiliers et elle non plus : nous nous mariâmes ainsi sous le régime de la communauté…
    À l’instant où je dis oui devant Monsieur le Maire, je me demandai ce que je foutais là ! Cette journée se passa pour moi dans une sorte de brouillard, l’ambiance campagnarde et la danse du balai me donnaient la nausée (alors que ma femme, enceinte, se portait à merveille !) et je pensais - avec tous les regrets du monde - à la famille de Bernadette. J’imaginais furtivement, coupé moralement de nos familles et de nos invités en ce jour sacré où je devins époux, comment se serait déroulée mon union avec Bernadette, le raffinement, l’élégance, la classe de cette improbable cérémonie… Rattrapé par moment par une sagesse d’apothicaire, je me disais que les yeux quelconques de Bernadette auraient fini par abîmer notre couple et je dérivais vers les yeux émeraude de ma toute jeune épouse.
    Le soir de nos noces, Marie se refusa à moi pour la première fois. Elle était fatiguée. Futur Docteur en Pharmacie et même si je ne comprenais rien à la gynécologie, je m’endormis en me disant que dans quelques heures, je m’abîmerais (eh oui !) à nouveau dans les bras de ma dulcinée avec volupté. Que nenni ! La grossesse devint un rempart infranchissable entre nous et la future maman avait plus d’un tour dans son sac (c’est le cas de le dire !) pour m’expliquer que les rapports sexuels pouvaient entraîner une fausse couche… Effectivement, la fausse couche au sens figuré commençait à être objectivable. Me permettrez-vous de vous confier que j’avais les glandes ! En revanche, Marie assurait son service à l’hôpital, ce qui mettait du beurre dans les épinards et de ça, je devais (malheureusement) lui être infiniment reconnaissant toute ma vie… Je restais fidèle malgré tout, respectant les humeurs d’une femme dont le ventre s’arrondissait et s’imposait dorénavant, telle une forteresse défendue. Les yeux de Marie me laissaient toutefois entrevoir que nous rattraperions le temps perdu après la naissance du bébé. Antonin n’était pas très joli quand il vint au monde et je me demandais si cette apparence avait pu entraîner la dépression post-partum de la jeune maman… Je n’avais pas d’avis satisfaisant et étant le premier papa de ma promotion, aucun de mes copains ne pouvait me répondre. Il est vrai que marié à 23 ans, mes amis continuaient leur adolescence tardive avec les élèves de l’école d’infirmières ! Guy, à qui j’avais confié l’absence de vie sexuelle à la maison qui s’éternisait depuis des mois, me traitait de maso. Il ne comprenait pas pourquoi je ne démarrais pas une liaison avec Martine qui était raide amoureuse de moi. Il finit par me convaincre en argumentant que le devoir conjugal, au nom de la loi, doit être respecté ! Je n’aimais pas Martine qui - je le regrette aujourd’hui coupablement - m’offrit sans résistance aucune sa virginité. Pour une fois, je ne faisais pas de « fixette » sur la couleur de ses yeux. Elle m’apportait une bouffée d’oxygène et, même si je l’utilisais un peu, je compensais en l’aidant dans ses études où elle ramait particulièrement.
    Marie avait repris son travail après son congé de maternité, faisant officiellement bouillir la marmite (seulement au sens figuré puisque très mauvaise cuisinière par ailleurs) et j’arrivais à me convaincre que sans elle, je ne serais pas devenu pharmacien ! L’heure du service militaire venait de sonner. Femme, enfant et maîtresse restèrent dans la même ville et moi, je gagnai la capitale française. Paris m’éblouissait et les Parisiennes surent me faire voyager au point que je refoulai le fait que j’étais marié et père de famille. Lorsque je rentrais à la maison, quand les permissions le permettaient, Marie avait tendance à boire un peu (trop) au dîner, reculant (je n’en eus conscience que longtemps après) l’heure du coucher. C’est dommage car, en y réfléchissant et mes expériences extraconjugales me servant de repères, elle avait des atouts sexuels, lorsqu’elle s’en donnait la peine, non négligeables… Et ses yeux me fascinaient toujours autant chaque fois que je la revoyais physiquement. Comme vous l’avez compris, mon service militaire fit de moi un officier joyeux et plein d’assurance. La vie active m’attendait dorénavant et j’eus la chance de trouver un emploi de pharmacien dans une ville de province que je ne connaissais pas. Mes maîtresses ne suivraient pas, j’étais tranquille et de plus en plus radieux. Je ne sais pas ce qui prit à ma femme mais toujours est-il que cette perspective d’aller vivre dans cette région du sud la rendit un peu plus souriante. Elle voulait un second enfant et arrêter de travailler ! Je ne savais pas encore que ma légitime avait dû depuis longtemps faire ses calculs mais, de toute façon, de plus en plus prétentieux, je décrétai qu’une femme de pharmacien, ça ne travaille pas, commençant à croire que cette idée venait de moi. J’y ajoutai volontiers le fait qu’avec deux enfants, il était plus raisonnable qu’elle cesse toute activité professionnelle, si nous ne voulions pas avoir de futurs délinquants ! En y repensant, Marie racontait, à qui voulait l’entendre, que je ne voulais pas qu’elle travaille…
    Tout juste arrivés en province, ma femme se précipita vers la paroisse de la petite ville que nous investissions dorénavant pour se présenter à Monsieur le Curé. Dans l’officine où je travaillais dorénavant, une cliente - fidèle paroissienne - me confia qu’elle connaissait ma femme qui lui avait dit qu’elle était infirmière ! Il est bien évident que je ne démentis pas et la femme du pharmacien devint, par miracle, « l’infirmière qui ne travaillait pas parce que son mari ne voulait pas qu’elle travaille »… Notre jolie Sabine est née et, l’argent rentrant maintenant grâce à moi, mon épouse me suggéra qu’il serait bien que nous engagions une femme de ménage. Je trouvai que c’était bien pour mon standing ! Je remarquai que Marie en profitait pour ne plus s’occuper des enfants et sortait beaucoup. Les choses continuaient à me revenir aux oreilles et elle mentait de plus en plus. Mon épouse s’était inventée une filiation de médecins et je me doutais - sans vraiment encore vouloir me l’avouer - qu’elle s’identifiait à ma chère Bernadette qui avait eu la faiblesse de me présenter ma future femme… C’est ainsi que Marie devint l’amie de Catherine, fille de chirurgien.
    Catherine était en échec total. Son niveau de quatrième désespérait son père qui était arrivé à la caser à un fils de pépiniériste très riche. Car Catherine, très belle « plante », avait une réputation sulfureuse. Elle avait débuté très tôt ses aventures amoureuses et, malgré son mariage, accumulait ses liaisons. Ma femme faisait souvent venir sa nouvelle amie qui tint à me présenter son père. Elle insista, un jour, pour que nous allions le saluer à l’hôpital où il exerçait. Prévenu, il nous reçut tous deux dans son bureau. Immense, maigre, il portait une grande blouse blanche boutonnée… Je revis instantanément Monsieur B., mon professeur de Physique-Chimie du collège. Ce médecin, désespéré par les frasques de sa fille unique, avait sûrement transféré sur moi dès l’instant où il me vit, moi le gendre idéal ! Il voulut que nous dînions rapidement ensemble, me faire entrer au Lions Club dont il était Président, me présenter des amis… Un tourbillon se mit dès lors en place et je ne devinais pas son manège : en fait, le couple de sa fille battait de l’aile, son gendre étant volage et peu instruit, il se mit dans la tête de me faire épouser Catherine (ce que je compris, à mes dépends, a posteriori, une fois le mal enclenché). De mon côté, j’avoue aujourd’hui que je venais de rencontrer le père idéal, cultivé et bourgeois… Je comptais bien aussi posséder un jour « ma » pharmacie et je savais que le chirurgien était un ami intime de mon employeur qui, déjà âgé, pensait sérieusement à prendre sa retraite… Un détail avait tout de même son importance : si Catherine n’était pas objectivement jolie, elle avait un certain charme et était particulièrement bien roulée ! Cet adjectif prendrait progressivement tout son sens.
    Ma femme s’embourgeoisait avec une évidente maladresse, des fautes de goût, des gaffes monumentales dans les repas, des répliques idiotes assénées à ses interlocuteurs mais elle ne souffrait apparemment que de peu de critiques car elle était, ne l’oublions pas, la femme du pharmacien ! Elle dépensait énormément d’argent et devait, en outre, s’identifier à Catherine puisqu’elles arboraient toutes deux maintenant un maquillage ostentatoire qui créait une certaine confusion, jusque dans la façon de se vêtir, même si leurs corps respectifs différaient… Ma femme, disais-je, s’embourgeoisait de façon pathétique et décida, un jour, pendant que je travaillerais au mois de juillet, de partir à l’hôtel sur la Côte avec les deux enfants. Elle donnerait ses congés à « son » employée de maison et moi, j’irais la rejoindre le week-end… Marie partit donc pour quinze jours, oubliant de remplir le réfrigérateur (voulant ressembler à la silhouette exceptionnelle de Catherine, elle s’était mise au régime alors qu’elle n’en avait pas besoin) et me laissant sans femme de ménage ! Un peu dépité, j’en parlai à mon patron qui raconta l’anecdote au chirurgien… Allez savoir pourquoi ? L’homme au bistouri m’appela derechef pour que nous dînions chez lui le soir même. J’acceptai et fus reçu, au bord de la piscine, pour apéritif et repas. Catherine, malgré l’heure avancée de la soirée, se baignait. Il faisait encore chaud mais je trouvais ce comportement un peu incongru. Quand elle sortit de la piscine, je changeai immédiatement d’avis ! J’avais devant moi un corps sculptural : 1 mètre 75 environ, d’une rare harmonie. Le chirurgien me parlait, je n’entendais rien, ce qui ne lui posait curieusement aucun problème puisqu’il finit par s’installer dans un monologue… Du haut de mon mètre 70, la tête me tournait quand Catherine me proposa de faire quelques brasses avec elle. Sa mère, un peu confuse, la priait de me laisser tranquille. Catherine me dit qu’elle comprenait qu’à cette heure, il m’était peut-être pénible de venir nager mais le lendemain, à midi, je pourrais venir déguster une salade, chez ses parents (elle était toujours mariée, ce que j’oubliai sur le champ) pour être en forme l’après-midi à la pharmacie… Je me laissai tenter et j’honorai le rendez-vous. Pas que le rendez-vous d’ailleurs, la dame aussi, puisque la maison était vide ! Nos ébats commencèrent sur le transat, se poursuivirent sur la pelouse, se terminèrent dans son lit de jeune fille ! J’arrivai complètement à l’ouest à la pharmacie, plombé ! Je venais de rencontrer la passion.
    Catherine avait un culot monstre. Je pense qu’elle imaginait que la profession de son père lui donnait tous les droits. Les gens la trouvaient superficielle, voire idiote, moi je défendais le point de vue contraire : elle avait une intelligence normale mais avait été une enfant trop gâtée, dotée d’une mère égoïste et d’un père absent de par son métier. Du grand n’importe quoi ! Catherine continuait à fréquenter ma femme et prenait un malin plaisir à le faire. Je n’intervenais pas, ne réalisant même pas qu’à la façon de mon oncle collabo, je trahissais, franchissant la ligne blanche sans que s’imposent à moi les moindres réflexes d’une morale élémentaire. Je ne voyais pas non plus que Catherine faisait tout pour que notre liaison soit connue du plus grand nombre. Outre le fait qu’elle en parlait audiblement à sa coiffeuse, dans le salon de coiffure qu’elle fréquentait (ce que j’appris un peu tardivement), elle aimait que nous allions ensemble dans des restaurants où nous étions sûrs de rencontrer des connaissances. Je me laissais manipuler, ma femme me faisait des scènes ayant enfin compris la situation, mais des scènes bien timides, redoutant que je la quitte, jusqu’au jour où le mari de Catherine demanda le divorce ! Le couple vivait dans une maison appartenant à la famille de son époux et le chirurgien prit les choses en main : dans la foulée, il acheta une villa à sa fille ! Je m’installai progressivement dans une double vie. Ma femme fermait les yeux et ma maîtresse activait son divorce avec une énergie qui aurait dû m’alerter. Entre temps, j’obtins la possibilité d’acheter la pharmacie, très aidé par le chirurgien et ses accointances bancaires et administratives. Ma passion pour Catherine ne s’effritait pas et nous consacrions beaucoup de temps au domaine sexuel. J’en oubliais qu’elle avait peu de centres d’intérêt, hormis la mode et le cinéma. Je faisais tout ce qu’elle voulait. Nous partions en vacances ensemble, personne ne l’ignorait, nous traversions la ville dans la même voiture mais mon travail ne s’en ressentait pas. Bien qu’ayant été largement prévenu de comportements pathologiques de Catherine par un entourage amical qui m’aimait bien, je considérais qu’ils étaient jaloux de moi. Ainsi, leur jugement ne m’influençait pas. Ma belle avait pris l’habitude de venir me voir à la pharmacie à n’importe quel moment de la journée. Au début, elle attendait que je sois disponible, puis elle pouvait s’impatienter quand elle considérait que je m’attardais trop longtemps avec un client. Elle rouspétait alors tout haut, faisant des réflexions désobligeantes. J’ai honte aujourd’hui de dire que son toupet pouvait m’amuser. Elle s’arrangeait, dès qu’elle le pouvait, pour m’entraîner dans un petit bureau et se jetait littéralement sur moi, m’embrassant goulûment, m’excitant et se collant à moi pour m’imprégner de son parfum aux senteurs orientales un peu lourdes… J’empestais le patchouli, le savais mais ça me plaisait ! Je gardais son odeur avec moi le reste de la journée. Je me dégageais de ce type de scénario sans aucune envie, frustré mais sachant que dans quelques heures, je la rejoindrais chez elle pour une durée qu’elle s’arrangerait à allonger habilement.
    Ma femme essayait tout pour arrêter cette folie qui la menaçait, qu’on le veuille ou non, de devoir partager nos biens communs. Il faut dire que dans la foulée de la pharmacie, le chirurgien avait œuvré auprès de sa banque pour que je puisse acheter une maison mais il s’était porté caution, ce que j’avais accepté sans la moindre gêne. Étonnamment et bien que restant marié, le père de Catherine faisait pencher la balance pour que j’aille voir de mon côté un avocat. C’était sans compter sur mon épouse bassement matérialiste…
    Catherine multipliait ses visites à la pharmacie jusqu’au jour où, alors que j’étais occupé à travailler avec le préparateur, elle entra rapidement et vint m’embrasser sur la bouche ! Je ne réagis pas, mon employé s’éclipsa et ma maîtresse de lancer (nous étions heureusement seuls dans le magasin) : Joyeuse Saint Valentin mon amour… Sauf que nous étions au mois de mai ! Bien sûr, c’était une plaisanterie mais je trouvais mon amoureuse particulièrement euphorique. J’avais une réunion professionnelle ce soir-là et je dis à Catherine qu’exceptionnellement, je ne passerais pas chez elle avant de rentrer chez moi, il serait trop tard. Ce à quoi elle ajouta en gloussant : Tu ferais mieux de venir dormir à la maison car tu risques d’avoir la soupe à la grimace chez toi… Quand on ne veut ni entendre, ni comprendre, il n’y a rien à faire. Partant de façon aérienne, elle ajouta dans un léger éclat de rire : À ce soir mon chéri… Décidément, Catherine m’aimait et me le prouvait ! Après ma réunion, je filai directement, comme prévu, chez moi et là, je trouvai ma femme en larmes : Catherine était passée l’après-midi la voir et lui avait annoncé non seulement que nous allions divorcer (il n’en avait jamais été question) mais, en plus, elle lui avait livré des détails croustillants sur notre intimité. Psychologiquement et en y repensant, la suite me semble terrible. Je dis à mon épouse que les choses n’allaient pas se passer comme ça, que Catherine dépassait les limites et que j’allais de ce pas le lui formuler. Ma maîtresse avait pris soin depuis longtemps déjà de me donner les clefs de sa maison, j’entrai et la trouvai en train de regarder tranquillement la télévision. Elle m’accueillit tout aussi sereinement par un langoureux et surprenant : Je savais que nous passerions cette soirée de la Saint Valentin ensemble… Elle avait mis une liquette transparente dont ses longues jambes dépassaient. Elle était totalement nue dessous… Je me sentis perdre mon contrôle. Elle me fixait, de façon coquine, droit dans les yeux et me jeta avec une violence feinte sur le canapé. Sa nudité me fascinait. Je ne parlais pas et me laissais faire. Mon désir pour elle me submergeait et je finis la nuit dans son lit…
    Me levant un peu à la hâte compte tenu de l’heure, je ne réveillai pas ma folle passion qui dormait à poings fermés et passai en coup de vent chez moi. La femme de ménage était là, ce qui m’arrangea bien. Mon épouse ne put me poser aucune question, ni me faire de scène. Mais en avait-elle finalement l’intention ?
    Il était un peu plus de midi quand je reçus un coup de fil de Catherine qui avait envie de déjeuner avec moi. Un représentant m’attendait depuis un moment, je savais que le matériel qu’il voulait me proposer nécessitait un temps de discussion assez long et je déclinai le repas. À 15 heures, on vint me prévenir qu’une femme était rentrée volontairement avec un véhicule dans ma voiture et que les dégâts étaient importants. La conductrice ne s’était pas enfuie, elle se trouvait toujours au volant. Furieux, je sortis en trombe pour constater que la conductrice n’était autre que Catherine qui m’invita à venir la rejoindre ! J’obtempérai comme téléguidé, aspiré par la sensualité de ma maîtresse. Je m’assis à côté d’elle et devant les témoins médusés, elle m’embrassa sur la bouche en me disant calmement : Aime-moi comme je t’aime, mon amour, c’est tout ce que je te demande. Fais comme j’ai fait pour toi : divorce… Je descendis de la voiture comme un automate, oubliant les quelques badauds qui ne comprenaient rien à la scène. Je repris progressivement mes esprits et le terme divorce revint dorénavant régulièrement dans mes réflexions. Je commençais à envisager une telle procédure, sachant que Marie, qui avait fait un « placement » sur moi, me donnerait du fil à retordre : ce serait 50/50 ! Je prévins Catherine que, dans un premier temps, j’allais louer une villa de façon à ne pas précipiter les événements et à ne pas traumatiser nos enfants dont - il faut le reconnaître - ni leur mère ni moi-même ne nous occupions très bien. Catherine était aux anges. Je l’avais dans la peau et j’étais convaincu que j’étais tout pour elle. Décidément, les méchantes langues allaient se taire : moi, le pharmacien, j’allais faire de cette jeune femme méprisée à tort ma femme !
    Sans difficulté aucune, je trouvai une maison, trop grande pour un couple mais je choisis de la louer malgré tout. Catherine gardait officiellement sa demeure mais venait quand elle le désirait chez moi. À une nuance près, je ne parvenais pas à quitter mon épouse et mes enfants. C’est-à-dire que ma liaison avec Catherine se passait ouvertement dans ma location mais la nuit je dormais dans le lit conjugal de façon normale. Ma femme ne vivait pas très bien cette situation à cause du qu’en dira-t-on. Ceci dit, elle cherchait à gagner du temps et s’arrangeait pour ne pas me faire de reproches. Quant au divorce, je le rangeai aux oubliettes, ce qui ne fut pas le cas de Catherine. Au bout d’un an de location, mon amoureuse m’annonça qu’elle envisageait de s’installer au Maroc ! Je la questionnai et elle me dit qu’elle avait bien réfléchi et qu’elle ne voulait pas être une briseuse de ménage. Elle se rendait bien compte que le divorce me semblait une épreuve insurmontable, aussi se renseignait-elle pour partir définitivement. Ce à quoi je m’entendis lui répondre : Si tu pars, je pars ! Nous nous jetâmes dans les bras l’un de l’autre et une folle étreinte s’empara de nous une fois de plus. Je dérapais complètement, je le sentais mais je m’imaginais déjà vivant enfin un amour paisible à l’étranger, loin des regards indiscrets.
    J’avais constaté que mon fils maigrissait et j’avais mis cette perte de poids sur le dos de nos difficultés familiales. Ma femme s’inquiétait aussi et elle finit par le conduire chez le pédiatre qui prescrit une série d’examens médicaux. Ce médecin était un de mes amis et devant la liste d’analyses demandées, je l’appelai. Sans vouloir m’affoler, il me spécifia que mon enfant semblait anémié. Je trouvais la batterie d’examens alors un peu excessive pour une suspicion d’anémie mais les résultats nous atterrèrent : notre garçon souffrait d’une leucémie aiguë lymphoblastique. Bien qu’il ait eu à plusieurs reprises des épisodes inexpliqués de petite fièvre, jamais je n’aurais pu imaginer ce diagnostic. Catherine, brutalement, n’existait plus. Je remuai ciel et terre pour que notre petit malade soit le mieux soigné, le plus entouré. Je confiai mon officine, pour un temps indéterminé, à un jeune pharmacien adorable, sérieux, compétent, ayant compris tout de suite mon désarroi et me déchargeant de tout son possible de mes contraintes professionnelles. Catherine m’inondait de coups de fil et me demandait régulièrement si je l’aimais toujours. N’ayant pas d’enfant elle-même, elle ne pouvait pas saisir le drame que je traversais. Je lui pardonnais l’énergie qu’elle me raptait sans le vouloir mais elle n’arrivait pas à réaliser que je ne pouvais plus rien lui accorder pour l’heure.
    Mon fils était hospitalisé à 150 kilomètres de notre domicile et avec ma femme, nous nous relayions à son chevet. Chaque fois que je revenais, je passais par la pharmacie pour voir si la journée s’était bien déroulée. En me garant ce soir-là, je vis un attroupement devant mon officine. Je pénétrai à l’intérieur comme je pus, la police était là, mon remplaçant semblait accablé, déphasé. Des tas de produits jonchaient le sol, des petites vitrines étaient brisées, des éclats de verre se retrouvaient dans des endroits improbables. J’hallucinais. Je fus mis au courant du passage éclair de Catherine qui avait cherché à tout casser avant de s’enfuir, hurlant à qui voulait l’entendre que notre enfant n’était pas malade, que c’était un prétexte pour ne pas divorcer et qu’elle me le ferait payer… Au point où j’en étais de l’étalage de ma vie privée, je n’en étais plus à ça près. Pour autant, il fallait que je la retrouve car je me disais qu’elle était capable de faire une bêtise, ayant l’art extrême de se faire remarquer, de victimiser et de se mettre en scène. Je fonçai chez elle, sa voiture était là, elle aussi. Elle m’accueillit en riant en me disant que son père, prévenu, règlerait la facture ! Elle dansait, un verre de whisky à la main… J’avais devant moi une hystérique. Soudain, elle mit de la musique à fond que j’arrêtai immédiatement. Elle se jeta sur moi, changeant de ton, hurlant, vociférant des insultes pour finir par me griffer au visage… Elle était pitoyable. Je mis beaucoup de temps à la maîtriser et lui fis entendre raison en lui proposant, si elle ne me croyait pas, de m’accompagner jusqu’à l’hôpital où était soigné mon fils, quitte à l’expliquer à ma femme qui, elle aussi, avait d’autres préoccupations que de simples réflexes de jalousie. Ma proposition était indécente, une fois de plus, aux yeux d’une morale basique, mais je sus à cet instant que Catherine était border line. La suite le démontra : ses tentatives de suicide s’enchaînaient et son père l’aidait comme il pouvait, comprenant la gravité de la situation et mon impossibilité à y faire face compte tenu de la maladie de mon fils. Catherine connut la douleur des hôpitaux psychiatriques et les traitements lourds qui plongent dans une position d’indifférence. Son père me donna de moins en moins de nouvelles et décéda sans que sa fille ne s’en sorte. Elle finit par se défenestrer lors d’une permission de sortie… Au moment de sa mort, mon garçon cherchait encore à se battre, lui qui abandonna sa vie définitivement la veille de son dixième anniversaire…
    Malgré toutes ces atrocités, je ne voulais pas faire de mon existence un enfer. J’ai touché le fond, comme beaucoup d’êtres humains, mais j’ai choisi de remonter, m’assurant qu’il fallait que j’accepte le tumulte de mon chemin de vie. J’ai essayé d’appartenir alors à des groupes de paroles, puis à des groupes de prières. L’étincelle bienfaitrice ne se faisait pas vraiment. Mes nuits étaient agitées, mes journées désinvesties, je faisais semblant. Un jour où je regardais un documentaire sur le nazisme, je découvris un extrait de film tourné dans un camp de concentration. La scène était insoutenable bien que très courte : des nazis avaient rassemblé une centaine de femmes sous la menace de leurs armes. Soudain, j’aperçus sur la pellicule un enfant de moins de 2 ans, seul, courir vers sa mère pour la rejoindre. Un des nazis donna des coups de pied au petit pour le chasser afin qu’il soit récupéré par un autre nazi et coupé à jamais de sa mère. C’était abominable. À ce moment, je ressentis la détresse supposée de ce petit innocent qui devait se demander pourquoi il ne pouvait pas rester avec sa maman. Je me suis mis alors à me repasser le film de ma propre vie : mon oncle collabo - la honte de la famille - mes trahisons, Catherine et sa fin tragique, la maladie fatale de mon petit bonhomme… Mais toutes ces personnes, lors de leurs horribles drames respectifs, pouvaient s’exprimer. Elles parlaient, elles avaient l’usage de la parole, elles communiquaient : leur amour, leur folie, leur douleur, peu importe… Mais un petit garçon de moins de deux ans ne peut rien libérer, lui… Mon travail de deuil s’est enclenché ici : je devais faire du bénévolat en milieu autistique car, moi aussi, malgré mes études, les mains tendues, je m’étais toujours comporté comme un véritable autiste. À la retraite maintenant, j’accompagne, dans leur projet de vie sociale, des jeunes présentant des troubles autistiques…

     

     
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